L’autorisation d’urbanisme relative à l’implantation d’un parc éolien, en raison de ses incidences potentielles sur l’environnement et le cadre de vie, suscite un contentieux abondant où la question de la recevabilité des recours formés par les tiers revêt une importance primordiale. Par un arrêt en date du 13 février 2025, la Cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’une autorisation environnementale délivrée le 27 avril 2018 par l’autorité préfectorale pour l’exploitation d’un parc de trois aérogénérateurs.
En l’espèce, deux résidentes d’une commune avaient demandé au tribunal administratif d’annuler cet arrêté. Leur demande ayant été rejetée par un jugement du 25 mai 2021, elles ont interjeté appel de cette décision. Devant la cour, les appelantes soulevaient de nombreux moyens de fond relatifs à l’insuffisance de l’étude d’impact, à l’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale, ou encore à l’atteinte portée à la protection de l’environnement et à plusieurs espèces protégées. La société exploitante ainsi que le ministre de la transition écologique concluaient au rejet de la requête, soulevant notamment l’irrecevabilité de la demande de première instance pour défaut d’intérêt à agir des requérantes.
La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si la seule qualité de résident d’une commune d’implantation d’un parc éolien, à une distance supérieure à deux kilomètres, suffit à caractériser un intérêt suffisamment direct et certain pour contester l’autorisation environnementale du projet. La cour a répondu par la négative, jugeant que les requérantes ne justifiaient pas d’un intérêt lésé de façon suffisamment directe pour demander l’annulation de l’arrêté contesté.
Cette décision, qui illustre l’appréciation rigoureuse de l’intérêt à agir en contentieux de l’environnement, repose sur une conception stricte des conditions de recevabilité de l’action (I), conduisant à une mise à l’écart procédurale des débats de fond relatifs à l’impact du projet (II).
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I. L’orthodoxie de l’appréciation de l’intérêt à agir
La Cour administrative d’appel confirme une approche classique de l’intérêt à agir en se fondant sur une application stricte des textes (A), qu’elle applique ensuite de manière factuelle aux circonstances de l’espèce (B).
A. Le rappel du nécessaire lien direct et certain avec le projet
La juridiction d’appel fonde son raisonnement sur les dispositions combinées des articles L. 181-3, L. 511-1 et R. 181-50 du code de l’environnement. Il en ressort qu’un tiers n’est recevable à contester une autorisation environnementale que s’il justifie d’un intérêt lié aux inconvénients ou dangers que le projet représente pour les intérêts protégés, tels que la commodité du voisinage, la protection de la nature ou des paysages. La cour rappelle ainsi une exigence bien établie du contentieux administratif, qui proscrit les recours d’intérêt général et impose au requérant de démontrer en quoi le projet l’affecte personnellement.
Dans le cas particulier des projets éoliens, le juge administratif a progressivement précisé les contours de cet intérêt à agir. La cour s’inscrit dans ce courant jurisprudentiel en affirmant que « le seul fait pour des tiers de résider sur le territoire d’une commune où un parc éolien est prévu ne suffit pas à leur conférer un intérêt à agir ». Cette position vise à écarter les recours formés par des habitants qui, bien que résidant dans le périmètre communal, ne subissent pas d’atteinte substantielle du fait de leur éloignement ou de la configuration des lieux. L’intérêt doit être personnel et direct, ce qui suppose une démonstration concrète de l’impact du projet sur la situation propre du requérant.
B. La sanction du défaut de preuve d’une atteinte personnelle
La cour examine ensuite la situation spécifique des appelantes pour déterminer si elles remplissent cette condition. Elle relève que celles-ci habitent à des distances respectives de 2 580 mètres et 2 700 mètres de l’aérogénérateur le plus proche. Face à un tel éloignement, le préjudice n’est pas présumé et doit être d’autant plus précisément établi. Or, la cour constate que les requérantes « se bornent à soutenir que le projet les désavantageait particulièrement en tant que résidentes du bourg » sans fournir de détails probants sur les nuisances subies.
Le juge ne se contente pas de l’affirmation d’un préjudice ; il attend des éléments objectifs. La cour reproche aux requérantes de ne pas avoir apporté de précisions sur les vues directes qu’elles auraient sur le parc depuis leur domicile. Elle va jusqu’à émettre des doutes sur l’existence même de ces vues en évoquant la présence possible d’écrans visuels, comme le relief ou d’autres bâtiments. En s’appuyant sur les photomontages de l’étude d’impact, qui montrent une perception lointaine des éoliennes, la cour conclut à l’absence de justification d’un intérêt « lésé de façon suffisamment directe ». Cette analyse factuelle rigoureuse conduit ainsi à juger la demande de première instance irrecevable.
Cette approche, si elle garantit une saine gestion du prétoire, conduit inévitablement à écarter le débat de fond, laissant sans réponse les questions environnementales soulevées par les requérantes.
II. La primauté de la logique procédurale sur le débat environnemental
En se focalisant sur la recevabilité, la cour opère un filtrage contentieux efficace qui renforce la sécurité juridique des porteurs de projet (A), mais dont la portée doit être relativisée, car il constitue avant tout une décision d’espèce (B).
A. Le filtrage contentieux au service de la sécurité juridique
La décision commentée illustre parfaitement le rôle de l’intérêt à agir comme mécanisme de régulation des flux contentieux. En exigeant des tiers une démonstration circonstanciée de leur préjudice, le juge administratif entend limiter les recours qui pourraient être motivés par une opposition de principe ou qui ne reposeraient pas sur une atteinte personnelle avérée. Cette exigence est particulièrement marquée dans le domaine des énergies renouvelables, où la multiplication des projets s’accompagne d’une augmentation des contestations judiciaires.
En déclarant l’action des requérantes irrecevable, la cour évite de se prononcer sur la dizaine de moyens de légalité interne et externe qui avaient été soulevés, notamment ceux portant sur la protection de l’avifaune et des chiroptères. Cette solution est économiquement et juridiquement pragmatique : elle consolide l’autorisation administrative sans qu’il soit nécessaire d’examiner des arguments techniques complexes et potentiellement susceptibles d’entraîner une annulation ou une régularisation. Pour le porteur de projet, une telle décision apporte une sécurité juridique rapide et définitive, du moins à l’égard des requérants déboutés.
B. Une solution d’espèce à la portée limitée
Il convient toutefois de ne pas surinterpréter la portée de cet arrêt. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence ni de la fixation d’un seuil de distance intangible au-delà duquel tout recours serait irrecevable. La solution dépend entièrement des faits de l’espèce et, plus précisément, de la carence des requérantes dans l’administration de la preuve. La cour sanctionne un dossier insuffisamment étayé sur le plan des atteintes personnelles. Il est probable qu’avec des éléments plus concrets, tels que des photographies prises depuis leur lieu d’habitation ou un constat d’huissier, la solution aurait pu être différente.
L’arrêt constitue donc davantage un rappel méthodologique à l’attention des justiciables qu’une fermeture de l’accès au prétoire. Il souligne que la contestation d’un projet éolien par des voisins, même relativement éloignés, demeure possible à la condition de dépasser le stade de l’affirmation générale pour apporter des éléments précis et personnalisés. La décision ne préjuge pas de l’appréciation qui serait portée sur l’intérêt à agir de requérants plus proches ou de ceux qui, même lointains, parviendraient à démontrer une covisibilité particulièrement prégnante ou d’autres nuisances spécifiques.