5ème chambre du Conseil d’État, le 23 mai 2025, n°476057

Par un arrêt en date du 23 mai 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les modalités d’appréciation de la destination d’un bien immobilier dans le cadre d’une demande de changement de destination soumise à déclaration préalable. En l’espèce, une société civile immobilière avait acquis un lot dans un immeuble parisien, décrit dans le règlement de copropriété de 1951 comme un appartement. Souhaitant transformer ce bien en hébergement hôtelier, elle a déposé une déclaration préalable de changement de destination. L’administration municipale s’est opposée à ce projet par deux arrêtés, au motif que le local était à usage d’habitation et que le plan local d’urbanisme interdisait son changement de destination dans un secteur protégé et déficitaire en logements sociaux. La société a saisi le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande d’annulation de ces décisions. La cour administrative d’appel de Paris a ensuite confirmé ce jugement. La requérante a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que le local avait perdu sa destination d’habitation en raison d’un usage prolongé comme bureau, bien que cette transformation n’eût jamais fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme. Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si un usage factuel, continu mais non autorisé, pouvait modifier la destination juridique d’un bien au sens du droit de l’urbanisme. La Haute Juridiction administrative rejette le pourvoi, considérant que la destination d’un bâtiment s’apprécie au regard de sa destination initiale et des seuls changements de destination ultérieurs ayant fait l’objet d’une autorisation formelle, rendant inopérant tout usage factuel contraire, quelle qu’en soit la durée.

I. La confirmation d’une méthode rigoureuse d’identification de la destination d’un bien

Le Conseil d’État, en validant le raisonnement des juges du fond, rappelle les critères stricts permettant de définir la destination d’un local, en faisant prévaloir sa qualification juridique originelle (A) et en écartant toute considération liée à un usage factuel qui n’aurait pas été légalisé (B).

A. La prévalence de la destination originelle légalement établie

Pour déterminer si le projet de la société requérante constituait un changement de destination au sens de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme, il était indispensable de qualifier la destination du local avant la déclaration. En l’absence d’autorisation d’urbanisme ancienne précisant cette destination, la cour administrative d’appel s’est fondée sur des documents de nature civile. Elle a ainsi retenu la description issue du règlement de copropriété de 1951, qui mentionnait un « grand appartement », pour conclure à une destination initiale d’habitation. Le Conseil d’État valide cette approche en jugeant que la cour « n’a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que cette description témoignait d’une destination initiale à usage d’habitation ». Cette solution confirme qu’en l’absence de document d’urbanisme explicite, les actes de droit privé, tels qu’un règlement de copropriété, peuvent constituer des indices pertinents pour établir la destination juridique originelle d’un bien. La force probante de ces documents permet de fixer un point de départ stable et objectif pour l’appréciation des éventuelles évolutions ultérieures du bâtiment.

B. Le rejet de la prise en compte d’un usage factuel non autorisé

Face à cette destination initiale d’habitation, la société requérante opposait une situation de fait : la transformation ancienne et l’utilisation prolongée du bien en bureaux. Cependant, les juges du fond ont constaté que ce changement d’affectation n’avait jamais été entériné par une autorisation d’urbanisme. Le Conseil d’État approuve cette analyse en écartant les divers documents produits par la requérante, notamment un courrier préfectoral de 1988 qui ne constituait qu’une simple demande de renseignements. La Haute Juridiction énonce clairement que la destination d’un bien ne peut être modifiée par le simple écoulement du temps ou par un usage, même constant, qui serait contraire à sa qualification juridique. Elle juge que la cour a pu, à bon droit, considérer le local comme étant toujours à destination d’habitation « sans examiner si la cessation de l’usage d’habitation pendant une longue période avait fait perdre aux locaux litigieux leur destination initiale ». Cette affirmation marque une nette primauté de la situation de droit sur la situation de fait, toute modification de destination nécessitant un acte formel d’autorisation pour être juridiquement reconnue.

II. La portée d’une solution protectrice des politiques d’urbanisme

Cette décision, au-delà de sa technicité, réaffirme une distinction fondamentale entre les polices administratives (A) et conforte l’autorité des documents de planification pour la préservation du logement (B).

A. La distinction réaffirmée entre la police de l’urbanisme et la police du changement d’usage

La société requérante tentait de tirer argument d’une attestation de la mairie relative aux changements d’usage au sens du code de la construction et de l’habitation. Le Conseil d’État balaie cet argument en soulignant que « la destination du local au regard des règles d’urbanisme ne pouvait être déduite de ce document ». Ce faisant, il rappelle l’indépendance entre deux polices administratives distinctes. La police de l’urbanisme, fondée sur le code de l’urbanisme, contrôle la destination des constructions, laquelle est attachée au bien lui-même et se décline en catégories comme « habitation » ou « commerce et activités de service ». La police du changement d’usage, prévue aux articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation, vise quant à elle à réguler l’affectation des locaux d’habitation dans certaines zones tendues et s’attache à l’utilisation effective qui en est faite. En refusant de déduire la destination d’un bien de sa situation au regard de la réglementation sur l’usage, la décision préserve la cohérence de chaque régime et évite toute confusion entre ces outils juridiques qui poursuivent des finalités différentes.

B. Le renforcement de l’effectivité des règles du plan local d’urbanisme

En définitive, cette solution a pour conséquence directe de renforcer le pouvoir de l’autorité administrative dans la mise en œuvre des politiques de logement. Le refus opposé par la maire de Paris était fondé sur les dispositions du plan local d’urbanisme qui, dans un secteur déficitaire, interdisaient la transformation de locaux d’habitation. En refusant de reconnaître un effet juridique à une situation de fait illégale, le Conseil d’État empêche qu’un propriétaire puisse, par une inaction prolongée ou une dissimulation, se prévaloir d’une prescription acquisitive en matière de destination. Une telle solution inverse reviendrait à priver d’effectivité les règles d’urbanisme visant à protéger le parc de logements. La décision garantit ainsi que les objectifs de mixité sociale et de préservation de l’habitat, inscrits dans les documents de planification locale, ne puissent être contournés par la simple constitution de situations factuelles contraires à la réglementation. Elle confère ainsi une pleine portée aux outils dont disposent les collectivités pour réguler l’affectation des sols sur leur territoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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