Un exploitant agricole a contesté la délibération d’un établissement public de coopération intercommunale du 6 février 2020 approuvant un plan local d’urbanisme intercommunal. Il a notamment fait valoir des irrégularités de procédure ainsi que des erreurs de fond dans les choix d’aménagement retenus. Après avoir vu sa demande rejetée par un jugement du tribunal administratif de Pau en date du 30 décembre 2022, le requérant a interjeté appel. Il soutenait devant la cour administrative d’appel de Bordeaux plusieurs moyens tenant tant à la légalité externe de l’acte, comme l’insuffisance de l’information des conseillers communautaires ou l’irrégularité des modifications apportées au projet après l’enquête publique, qu’à sa légalité interne, en arguant d’erreurs manifestes d’appréciation dans le classement de certaines parcelles et d’une incompatibilité du plan avec les documents d’urbanisme de rang supérieur. Le problème de droit posé à la cour consistait donc à déterminer si le plan local d’urbanisme intercommunal avait été adopté selon une procédure régulière et si les choix d’aménagement qu’il contenait n’étaient entachés ni d’erreur manifeste d’appréciation, ni d’incohérence ou d’incompatibilité avec les normes supérieures. Par un arrêt en date du 18 février 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant ainsi la délibération contestée. Elle a estimé que les exigences procédurales avaient été satisfaites et que les choix de planification opérés par l’établissement public ne dépassaient pas les limites de son pouvoir d’appréciation.
L’arrêt permet de préciser les contours du contrôle juridictionnel sur les actes d’urbanisme, en particulier sur les aspects procéduraux qui garantissent l’information et la participation. Il illustre également la retenue du juge administratif lorsqu’il examine les décisions d’aménagement du territoire, qui relèvent d’un choix d’opportunité. Il convient ainsi d’examiner le contrôle exercé par la cour sur la régularité formelle de l’élaboration du plan (I), avant d’analyser la confirmation du large pouvoir d’appréciation reconnu à l’autorité planificatrice (II).
I. Le contrôle pragmatique de la régularité procédurale de l’élaboration du plan
La cour administrative d’appel a examiné avec attention les griefs relatifs à la procédure d’adoption du document d’urbanisme. Elle a validé les modalités d’information des élus et du public, les considérant comme suffisantes au regard des textes (A), tout en appliquant une lecture rigoureuse des conditions permettant de modifier le projet après l’enquête publique (B).
A. La validation d’une information jugée suffisante des élus et du public
Le requérant invoquait une méconnaissance des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à l’information des membres de l’organe délibérant. Il soutenait que la note de synthèse jointe à la convocation était insuffisante, notamment en ce qu’elle ne détaillait pas les avis des personnes publiques associées ni les suites données à toutes les recommandations du commissaire enquêteur. La cour écarte ce moyen en rappelant que l’obligation d’information « doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires » et qu’elle vise à permettre aux élus « d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions ». Elle juge que la note, bien que synthétique, remplissait ces exigences en présentant les objectifs, la procédure, les axes du projet d’aménagement et de développement durables (PADD) et les modifications envisagées. La cour souligne qu’il était « loisible aux élus de solliciter des informations complémentaires », ce qui tempère la portée de l’obligation d’information pesant sur l’exécutif de la collectivité.
De même, s’agissant du respect des modalités de la concertation avec le public, la cour s’en remet aux mentions du bilan de la concertation annexé à la délibération. Elle énonce que ces mentions « font foi jusqu’à preuve du contraire, laquelle n’est pas apportée en l’espèce par le requérant ». Cette solution réaffirme la présomption de régularité qui s’attache aux documents administratifs retraçant le déroulement d’une procédure et place la charge de la preuve d’une éventuelle irrégularité sur les épaules du requérant.
B. L’encadrement des modifications postérieures à l’enquête publique
Un autre moyen de légalité externe portait sur les modifications apportées au projet de plan après la clôture de l’enquête publique. Le juge administratif contrôle traditionnellement que de telles modifications respectent une double condition : qu’elles « ne remettent pas en cause l’économie générale du projet et qu’elles procèdent de l’enquête ». La cour applique précisément cette grille d’analyse. Elle considère d’abord que l’ajout d’un article dans le règlement du plan se bornant à rappeler l’opposabilité d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) annexé ne constitue pas une réelle modification, la servitude d’utilité publique étant opposable « du seul fait de son annexion au document d’urbanisme ».
Ensuite, la cour vérifie que les autres modifications, notamment des changements de zonage, procèdent bien de l’enquête, c’est-à-dire qu’elles tiennent compte « des observations émises par les personnes publiques associées et par le public ». Enfin, elle évalue l’ampleur de ces ajustements et conclut, « eu égard à leur faible ampleur en regard du périmètre couvert par le PLUI en litige », qu’ils ne remettent pas en cause l’économie générale du plan. Cette approche casuistique montre que le juge n’interdit pas toute évolution du projet mais s’assure qu’elle ne dénature pas le projet qui a été soumis à l’appréciation du public.
Après avoir validé la procédure d’élaboration du plan, la cour s’est attachée à examiner le bien-fondé des choix d’aménagement contestés, réaffirmant ainsi le pouvoir d’appréciation de l’autorité compétente.
II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité planificatrice
L’arrêt illustre le contrôle restreint que le juge administratif exerce sur les choix de fond opérés par les auteurs d’un plan local d’urbanisme. Ce contrôle se manifeste tant dans l’application du critère de l’erreur manifeste d’appréciation aux décisions de classement (A) que dans la méthode d’analyse globale retenue pour vérifier la cohérence et la compatibilité du plan (B).
A. L’application du contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation
Le requérant contestait le classement d’une de ses parcelles en zone naturelle de préservation des entités écologiques (Nce) ainsi que la création d’une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) sur d’autres parcelles. Dans les deux cas, la cour rappelle d’abord qu’il « appartient aux auteurs d’un plan local d’urbanisme de déterminer le parti d’aménagement à retenir » et que leur appréciation « ne peut être censurée par le juge administratif qu’au cas où elle serait entachée d’une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ».
S’agissant de la parcelle classée en zone Nce, la cour relève qu’elle est à l’état naturel, s’ouvre sur un vaste secteur naturel présentant un potentiel écologique élevé et s’insère dans un couloir écologique. Elle en déduit que, nonobstant sa proximité avec une zone urbanisée, son classement ne constitue pas une erreur manifeste. Concernant l’OAP et le classement en zone à urbaniser (AUa2), la cour rejette les arguments du requérant relatifs à des nuisances potentielles ou à la dangerosité d’un accès, estimant que ces allégations ne sont pas démontrées. Cette démarche illustre la déférence du juge envers le « parti d’aménagement retenu par les auteurs du PLUI », qui disposent d’une marge d’appréciation étendue pour définir l’affectation des sols.
B. La vérification de la cohérence et de la compatibilité à l’échelle du territoire
Le requérant soutenait également que l’OAP contestée était incompatible avec le schéma de cohérence territoriale (SCOT) et incohérente avec le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) du plan lui-même. La cour prend soin de distinguer ces deux niveaux de contrôle. Pour la compatibilité avec le SCOT, elle rappelle que le juge doit procéder à une « analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert ». Elle juge que l’ouverture à l’urbanisation d’un espace interstitiel dans un bourg, même s’il était potentiellement exploité, ne contrarie pas l’objectif de préservation de l’agriculture du SCOT à l’échelle de son vaste territoire.
De même, pour la cohérence interne avec le PADD, la cour adopte une lecture d’ensemble. Elle constate que si le PADD vise à préserver l’activité agricole, il prône aussi la lutte contre l’étalement urbain et le comblement des espaces interstitiels. Le projet contesté répondant à ce second objectif, il ne peut être considéré comme incohérent. La cour précise que « l’inadéquation d’une disposition du règlement ou d’une OAP […] à une orientation ou un objectif du projet […] ne suffit pas nécessairement […] à caractériser une incohérence ». Cette approche globale permet de résoudre les contradictions apparentes entre les différents objectifs, souvent concurrents, que doit poursuivre un document de planification urbaine.