Cour d’appel administrative de Versailles, le 12 juin 2025, n°23VE00022

Par un arrêt en date du 12 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les modalités de détermination du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable à un marché public de travaux, et sur les conséquences de ce choix pour l’établissement du décompte général et définitif.

En l’espèce, une entreprise titulaire d’un lot dans un marché public de travaux de restructuration d’un établissement de soins a vu naître un différend financier avec le maître d’ouvrage au moment du règlement final du marché. L’entreprise a transmis un projet de décompte final, puis, estimant que le maître d’ouvrage n’avait pas respecté les délais pour y répondre, a soutenu être titulaire d’un décompte général et définitif tacite lui octroyant une somme substantielle. Saisi par l’entreprise, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de condamnation du maître d’ouvrage. L’entreprise a interjeté appel de ce jugement, maintenant que le silence gardé par le maître d’ouvrage avait donné naissance à un décompte tacite en sa faveur, en application de la version du CCAG Travaux issue d’un arrêté de 2014. Le maître d’ouvrage intimé a conclu au rejet de la requête, considérant que cette version du CCAG n’était pas applicable au marché.

Il revenait dès lors aux juges d’appel de déterminer si la version applicable d’un cahier des clauses administratives générales est nécessairement celle en vigueur à la date de la consultation des entreprises, ou si la commune intention des parties, manifestée durant l’exécution du contrat, peut conduire à retenir une version antérieure de ce document.

La cour administrative d’appel rejette la requête au motif que la commune intention des parties de se référer à la version de 2009 du CCAG Travaux prévaut sur la clause ambiguë du cahier des clauses administratives particulières qui mentionnait la version « en vigueur au mois de remise des offres ». En conséquence, le mécanisme du décompte général et définitif tacite, prévu uniquement par la version de 2014, ne pouvait trouver à s’appliquer. Cette décision illustre la force de la volonté des parties dans la détermination de la norme contractuelle (I), ce qui conduit à une stricte application du cadre contractuel ainsi défini pour le règlement du marché (II).

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I. La consécration de la volonté des parties comme source de la norme contractuelle

La cour, pour résoudre le litige, s’est attachée à identifier la version du CCAG que les parties avaient réellement entendu appliquer, en se fondant d’abord sur la nature juridique de ce document (A), puis en analysant le comportement des cocontractants durant l’exécution du marché (B).

A. Le rappel de la nature non réglementaire du CCAG

La décision énonce un principe fondamental en droit des marchés publics en rappelant que « le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, qui est un simple document-type dépourvu en lui-même de portée juridique, ne s’applique qu’aux marchés qui s’y réfèrent expressément ». Ce faisant, elle confirme que le CCAG n’est pas une norme réglementaire qui s’imposerait d’office aux parties, mais bien un ensemble de clauses pré-rédigées que les cocontractants choisissent d’intégrer, ou non, à leur contrat.

La conséquence de cette nature purement contractuelle est d’une grande importance et est explicitement tirée par les juges : « aucune règle ou principe d’ordre public ne s’oppose à ce qu’un contrat se réfère à la version d’un cahier des clauses administratives générales issue d’un décret abrogé à la date de conclusion de ce contrat ». Les parties disposent donc d’une liberté contractuelle leur permettant de choisir la version du CCAG qui leur semble la plus appropriée, y compris une version qui n’est plus « en vigueur » au sens réglementaire. Cette liberté rendait inopérante l’argumentation de l’entreprise qui se fondait sur l’entrée en vigueur de l’arrêté de 2014 pour en réclamer l’application automatique, alors même que le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché se référait à l’arrêté de 2009.

B. La recherche de la commune intention des parties

Face à une ambiguïté née de l’article 142 du CCAP, qui visait le CCAG « en vigueur au mois de remise des offres », la cour a procédé à une recherche de la « commune intention des parties ». Elle a constaté que durant toute l’exécution du contrat, les deux cocontractants s’étaient comportés comme si seule la version de 2009 du CCAG était applicable.

Plusieurs indices concordants ont permis d’établir cette volonté commune. D’une part, le CCAP lui-même contenait des stipulations, comme à son article 252, qui renvoyaient à des délais spécifiques à la version de 2009, tel que le délai de quarante-cinq jours pour l’établissement du projet de décompte final. D’autre part, et de manière déterminante, l’entreprise requérante elle-même s’est prévalue de cette version dans ses propres documents : son mémoire en réclamation initial se référait explicitement au délai de quarante-cinq jours du CCAG de 2009. De surcroît, elle avait mis en œuvre une procédure de mise en demeure du maître d’œuvre qui n’est prévue que par cette même version de 2009. La cour en déduit que « l’ensemble de ces éléments traduisent la commune intention des parties de faire application, dans leurs relations contractuelles, des seules stipulations du CCAG Travaux dans sa version issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 ».

II. L’application rigoureuse du cadre contractuel défini par les parties

Une fois la norme contractuelle applicable clairement identifiée comme étant le CCAG de 2009, la cour en tire logiquement les conséquences quant à la procédure de règlement du marché (A), ce qui la conduit à rejeter les prétentions de l’entreprise et à confirmer la solution des premiers juges (B).

A. L’exclusion du mécanisme du décompte général et définitif tacite

La principale conséquence de l’application du CCAG Travaux de 2009 est l’inapplicabilité du mécanisme de décompte général et définitif tacite. Ce mécanisme, qui permet au titulaire d’un marché, en cas de silence du maître d’ouvrage, de voir son projet de décompte devenir le décompte définitif, n’a été introduit que par l’arrêté de 2014. Le CCAG de 2009 prévoyait une procédure différente, reposant notamment sur une mise en demeure du maître d’ouvrage et ne conduisant pas à la naissance d’un décompte tacite au profit du titulaire.

L’entreprise ne pouvait donc se prévaloir de ce mécanisme pour fonder sa créance. En ayant elle-même agi selon les règles de 2009 durant l’exécution du contrat, elle ne pouvait ensuite, à l’occasion du contentieux, invoquer les dispositions plus favorables mais inapplicables de la version de 2014. La décision met ainsi en lumière l’importance de la cohérence pour les parties dans l’application des règles contractuelles qu’elles se sont choisies. La cour juge donc sans équivoque que « la société ECB n’est pas fondée à se prévaloir d’un décompte général et définitif acquis tacitement selon les modalités résultant du CCAG Travaux dans sa version issue de l’arrêté du 3 mars 2014 ».

B. La portée de la décision et le rejet de la demande

Cette décision, bien que rendue sur des faits d’espèce, revêt une portée pédagogique notable pour les acteurs de la commande publique. Elle rappelle que la rédaction des pièces contractuelles, et notamment du CCAP, doit être d’une précision absolue pour éviter toute ambiguïté sur la version des documents généraux applicables. Elle souligne également que le comportement des parties en cours d’exécution est un élément d’interprétation essentiel pour le juge en cas de clause ambiguë.

En l’espèce, l’entreprise a été victime de ses propres contradictions, ayant appliqué un texte durant le chantier pour ensuite en revendiquer un autre devant le juge. En confirmant que le CCAG de 2009 était le seul applicable, la cour a logiquement écarté la demande de paiement de l’entreprise, puisque celle-ci était entièrement fondée sur une procédure inexistante dans le cadre contractuel pertinent. Il en résulte que l’entreprise n’était pas fondée à se plaindre du jugement de première instance qui avait déjà rejeté sa demande, et que sa requête d’appel ne pouvait qu’être rejetée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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