Cour d’appel administrative de Toulouse, le 24 juin 2025, n°23TL02693

Un établissement public à caractère scientifique et technologique, après avoir fait construire un équipement de recherche, a souscrit une assurance dommages-ouvrage. Postérieurement à la réception des travaux, des pannes répétées ont affecté la pompe à chaleur de l’installation, conduisant le maître d’ouvrage à effectuer une déclaration de sinistre auprès de son assureur. Une expertise judiciaire ordonnée par la suite a révélé que la cause de ces désordres résidait dans le sous-dimensionnement de l’équipement. Le tribunal administratif de Montpellier, saisi par l’assuré, a condamné l’assureur à l’indemniser. L’assureur a interjeté appel de ce jugement, tandis que l’assuré a formé un appel incident en vue d’obtenir une indemnisation supérieure. Par un arrêt du 24 juin 2025, la cour administrative d’appel rejette le recours de l’assureur et augmente le montant de l’indemnité allouée au maître d’ouvrage. Elle estime que la déclaration de sinistre portant sur les pannes couvrait nécessairement leur cause, le sous-dimensionnement, et que la prescription biennale ne pouvait être opposée à l’assuré en raison d’un manquement de l’assureur à son devoir d’information. La question de droit qui se posait était double : il s’agissait de savoir, d’une part, si une déclaration de sinistre visant des pannes spécifiques suffit à englober leur cause technique révélée ultérieurement et, d’autre part, si un assureur peut se prévaloir de la prescription biennale lorsque les clauses de la police n’informent pas l’assuré de l’intégralité des causes d’interruption. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative à la première question et par la négative à la seconde, adoptant une solution protectrice des droits de l’assuré.

L’analyse de cette décision révèle une conception extensive des obligations de l’assuré lors de la survenance d’un sinistre (I), laquelle est complétée par une application rigoureuse des devoirs d’information pesant sur l’assureur (II).

I. Une conception extensive de l’obligation de déclaration de sinistre

La cour administrative d’appel précise d’abord la portée de la déclaration de sinistre en l’interprétant de manière large et pragmatique (A), avant de rappeler le fondement purement contractuel de cette obligation pour l’entité publique concernée (B).

A. L’objet élargi de la déclaration de sinistre

L’assureur soutenait que le sous-dimensionnement de la pompe à chaleur constituait un sinistre distinct des pannes déclarées, et qu’il aurait dû faire l’objet d’une déclaration propre. La cour écarte cette argumentation en considérant que la déclaration initiale, visant les dysfonctionnements de l’équipement, incluait implicitement leur cause. Elle juge que la déclaration du 24 août 2017 « doit être regardée comme ayant pour objet de solliciter la garantie de l’assureur au regard des dysfonctionnement affectant ces deux équipements, en ce compris leur sous-dimensionnement éventuel ». Cette solution repose sur le postulat que « l’assuré n’étant pas tenu, au stade de la déclaration de sinistre, d’identifier précisément la cause de ces dysfonctionnements ». En adoptant une telle lecture, les juges d’appel s’inscrivent dans une logique favorable à l’assuré, qui ne dispose pas toujours des compétences techniques pour diagnostiquer l’origine d’un désordre au moment où il le déclare. Cette interprétation est conforme à l’esprit de l’assurance dommages-ouvrage, qui vise un préfinancement rapide des réparations sans que l’assuré ait à se livrer à une recherche de responsabilité ou à une analyse technique approfondie. Conditionner la garantie à une déclaration distincte pour chaque cause technique reviendrait à imposer à l’assuré une charge excessive et à permettre à l’assureur de se dérober à ses obligations par un formalisme excessif.

B. Le fondement contractuel de l’obligation de déclaration

La cour rectifie le raisonnement des premiers juges sur un point de droit significatif. Elle rappelle que le maître d’ouvrage, en tant que personne morale de droit public réalisant des travaux pour un usage autre que l’habitation, n’était pas légalement contraint de souscrire une assurance dommages-ouvrage en vertu de l’article L. 242-1 du code des assurances. Par conséquent, les clauses-types réglementaires prévues par l’annexe II de l’article A. 243-1 du même code, qui imposent une déclaration de sinistre, ne lui étaient pas opposables de plein droit. Cependant, la cour relève que les conditions générales du contrat souscrit par les parties stipulaient expressément cette obligation. Elle en déduit que l’assuré « était non pas légalement, mais contractuellement tenu de procéder à une telle déclaration ». Cette précision souligne la force obligatoire du contrat, qui s’impose aux parties même lorsque l’une d’entre elles bénéficie d’une dérogation légale. Pour une personne publique qui choisit volontairement de souscrire une telle assurance, le respect des procédures contractuelles demeure impératif. La décision réaffirme ainsi le principe selon lequel le contrat constitue la loi des parties, et ce même dans le cadre d’un marché public d’assurance.

II. Une sanction rigoureuse du manquement de l’assureur à son devoir d’information

Après avoir défini les contours des obligations de l’assuré, la cour se penche sur celles de l’assureur, en particulier son devoir d’information relatif à la prescription, ce qui la conduit à écarter la fin de non-recevoir soulevée (A), avant de procéder, à titre subsidiaire, à une analyse méticuleuse des actes interruptifs (B).

A. L’inopposabilité de la prescription biennale faute d’information suffisante

L’argument principal de la cour pour écarter l’exception de prescription biennale est fondé sur un manquement de l’assureur à son devoir d’information. Les juges constatent que les documents contractuels ne rappelaient pas l’ensemble des causes d’interruption de la prescription, notamment celles prévues par le code civil. La police d’assurance omettait de mentionner que, selon l’article 2241 du code civil, une demande en justice interrompt le délai de prescription même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou que l’acte de saisine est annulé. La cour en conclut que « les documents contractuels, qui ne permettent pas d’assurer une information suffisante de l’assuré, méconnaissent ainsi les dispositions de l’article R. 112-1 du code des assurances ». La sanction de ce manquement est l’inopposabilité totale de la prescription biennale à l’assuré. Cette solution, alignée sur la jurisprudence de la Cour de cassation, a une portée pédagogique importante : elle rappelle aux assureurs leur obligation de fournir une information complète et transparente sur les règles de prescription, afin de ne pas priver l’assuré, partie faible au contrat, de ses droits par une connaissance imparfaite des voies de recours. La sévérité de la sanction est à la mesure de l’importance de l’information omise.

B. L’analyse superfétatoire mais protectrice des actes interruptifs

À titre surabondant, la cour examine la chronologie des faits pour démontrer que, même si la clause de prescription avait été valide, l’action de l’assuré n’était pas éteinte. Elle retrace minutieusement la succession des événements : la déclaration de sinistre, la saisine du juge des référés pour obtenir une expertise, et l’introduction de l’action au fond. Elle rappelle qu’en application des articles 2241 et 2242 du code civil, la demande d’expertise en référé interrompt le délai de prescription jusqu’à la remise du rapport de l’expert, date à laquelle un nouveau délai de deux ans recommence à courir. En l’espèce, le juge des référés a été saisi le 13 septembre 2017, et l’action au fond a été engagée le 8 septembre 2021, soit moins de deux ans après le dépôt du rapport d’expertise le 16 septembre 2019. Ce raisonnement subsidiaire conforte la décision en montrant que l’argument de l’assureur aurait échoué sur le terrain des faits. Il illustre également l’efficacité du référé-expertise comme outil procédural permettant à un maître d’ouvrage de préserver ses droits contre un assureur, en interrompant le cours de la prescription le temps que la lumière soit faite sur l’étendue et l’origine des désordres.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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