Cour d’appel administrative de Douai, le 19 mars 2025, n°23DA00230

Une décision rendue par la cour administrative d’appel de Douai le 19 mars 2025 vient préciser les contours de l’intérêt à agir d’une association lorsque celle-ci conteste des décisions individuelles affectant ses membres. En l’espèce, une association ayant pour objet statutaire la défense des intérêts des habitants de plusieurs communes a contesté quatre-vingt-dix-sept titres exécutoires. Ces titres avaient été émis par une communauté de communes à l’encontre de plusieurs membres de ladite association, en vue du recouvrement d’une participation pour le financement de l’assainissement collectif. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Rouen avait rejeté la demande de l’association. Celle-ci a donc interjeté appel du jugement, maintenant ses prétentions et soulevant l’illégalité de la délibération fixant la participation. De leur côté, de nombreux habitants destinataires des titres litigieux sont intervenus volontairement à l’instance d’appel pour soutenir les conclusions de l’association. La communauté de communes a, quant à elle, opposé une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de l’association. Le litige posait ainsi la question de savoir si une association, agissant en son nom propre pour la défense d’un intérêt collectif général, est recevable à contester des décisions individuelles pécuniaires qui ne visent que ses adhérents. La cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que de telles décisions ne lèsent pas en elles-mêmes l’intérêt collectif que l’association s’est donné pour mission de défendre, lequel se distingue de la somme des intérêts particuliers de ses membres.

I. L’application rigoureuse de la condition de l’intérêt à agir

La cour administrative d’appel, pour déclarer l’action de l’association irrecevable, s’en tient à une lecture orthodoxe de l’intérêt à agir, en distinguant nettement l’objet de l’association des préjudices individuels subis par ses membres.

A. La nécessaire distinction entre l’intérêt collectif et les intérêts individuels des membres

Le raisonnement des juges d’appel repose sur une distinction fondamentale entre l’intérêt collectif, pour lequel une association a qualité à agir, et la simple addition d’intérêts individuels. En l’espèce, l’objet statutaire de l’association est de « défendre les intérêts des habitants des communes ». La cour examine si les quatre-vingt-dix-sept titres exécutoires portent atteinte à cet objet. Elle considère que ces actes, bien que nombreux, demeurent des « décisions individuelles défavorables » qui ne peuvent être regardées comme « portant par elles-mêmes atteintes aux seuls intérêts que l’appelante entend défendre, lesquels se distinguent des intérêts individuels de chacun de ses adhérents ». Ainsi, le préjudice allégué, de nature purement financier et personnel à chaque destinataire d’un titre, ne se confond pas avec l’intérêt général des habitants que l’association a pour mission de protéger. Cette dernière n’invoque aucun préjudice qui lui serait propre, ni une atteinte directe à une prérogative ou à son fonctionnement. La solution est classique et rappelle qu’une association ne saurait se substituer à ses membres pour la défense de leurs droits subjectifs, même si le litige concerne un grand nombre d’entre eux et soulève une question de principe commune.

B. La nature des actes attaqués comme critère déterminant de la recevabilité

La nature des actes contestés s’avère centrale dans l’appréciation des juges. Le contentieux ne porte pas sur l’acte réglementaire instituant la participation à l’assainissement – la délibération du 19 décembre 2012 – mais sur les mesures individuelles d’exécution de cette participation pour l’année 2019. Si l’association avait contesté directement la délibération par la voie du recours pour excès de pouvoir dans le délai imparti, son intérêt à agir aurait sans doute été plus facilement reconnu, car un tel acte affecte l’ensemble des habitants de manière générale et impersonnelle. En choisissant de contester les titres exécutoires, qui sont des décisions individuelles créatrices de droits et d’obligations pour leurs seuls destinataires, l’association s’est placée sur le terrain des contentieux individuels. Le juge administratif en déduit logiquement que seuls les destinataires de ces actes, ou leurs mandataires dûment habilités, ont qualité pour en demander l’annulation. L’action de l’association est donc perçue comme une tentative de contourner cette règle en regroupant sous sa seule bannière une multitude de recours individuels.

Cette application stricte de la recevabilité emporte des conséquences procédurales en cascade, tant pour les intervenants que pour la stratégie contentieuse des groupements.

II. Les conséquences de l’irrecevabilité de l’action associative

Le rejet de la requête pour défaut d’intérêt à agir entraîne mécaniquement le rejet des interventions et réaffirme la prééminence du recours individuel dans le cadre d’un contentieux de la créance publique.

A. L’irrecevabilité par voie de conséquence des interventions volontaires

La décision commentée illustre parfaitement le caractère accessoire de l’intervention volontaire en procédure administrative. De nombreux habitants, personnellement visés par les titres exécutoires, avaient formé une intervention au soutien des conclusions de l’association. Cependant, la cour écarte ces interventions sans même en examiner le bien-fondé, au motif que l’irrecevabilité de la requête principale rejaillit sur elles. Comme le précise l’arrêt, « les conclusions à fin d’annulation présentées par l’association (…) étant, ainsi qu’il a été dit précédemment, irrecevables, les interventions (…) le sont également ». Cette solution, bien que sévère pour les particuliers qui manifestaient un intérêt direct et certain à l’annulation des titres, est juridiquement imparable. L’intervention ne peut avoir pour effet de régulariser une requête initiale irrecevable ni de se substituer au requérant principal. Cette issue souligne le risque procédural pris par les habitants, qui auraient dû former leurs propres recours individuels dans les délais, plutôt que de s’appuyer sur l’action de l’association. La voie de l’intervention ne leur offrait ici aucune garantie, leur sort étant entièrement lié à celui de la requête principale.

B. La primauté réaffirmée du contentieux subjectif individuel

Au-delà de son aspect procédural, cet arrêt a une portée pratique significative pour la défense des intérêts collectifs face à des décisions administratives individuelles sérielles. Il confirme que la voie de l’action associative n’est pas l’instrument adéquat pour contester des créances publiques individualisées. La solution contraint chaque redevable à agir personnellement, ce qui peut représenter un obstacle en termes de coût et de complexité, même si les questions de droit sont identiques pour tous. Cette décision incite indirectement les justiciables à privilégier d’autres formes d’actions groupées, telles que la désignation d’un mandataire unique pour représenter plusieurs requérants, plutôt que de se reposer sur une association dont l’objet social est général. La valeur de la décision réside dans sa cohérence juridique : elle préserve la structure du contentieux administratif en refusant de transformer une action en défense d’un intérêt collectif en une action de groupe qui ne dit pas son nom. Elle rappelle ainsi implicitement que le droit français, contrairement à d’autres systèmes, encadre strictement les conditions dans lesquelles un groupement peut agir en justice pour le compte d’intérêts individuels.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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