Cour d’appel administrative de Marseille, le 8 janvier 2025, n°24MA02355

Par une décision en date du 8 janvier 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la recevabilité d’un recours en interprétation formé à l’encontre d’un de ses précédents arrêts.

En l’espèce, des associations de protection de l’environnement avaient contesté la délibération par laquelle une commune avait approuvé son plan local d’urbanisme. Le tribunal administratif avait initialement rejeté leur demande. Saisie en appel, la cour administrative d’appel, par un arrêt du 4 avril 2024, avait procédé à une annulation partielle d’une disposition du règlement de ce plan et accordé à la commune un délai pour régulariser la situation. Estimant que le dispositif de cet arrêt était ambigu quant à la portée exacte de l’annulation prononcée, la commune a saisi la même cour d’un recours en interprétation. Elle soutenait que le numéro de l’alinéa visé dans le dispositif de l’arrêt n’était pas le bon si l’on se référait à une circulaire relative au mode de décompte des alinéas dans les textes réglementaires.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’invocation d’une circulaire technique sur la forme des textes pouvait suffire à caractériser l’ambiguïté d’une décision de justice, justifiant ainsi l’ouverture d’un recours en interprétation, alors même que les motifs de cette décision semblaient clairs.

La cour administrative d’appel juge le recours irrecevable au motif que la décision querellée est « dépourvu[e] de toute ambiguïté ou obscurité ». Elle estime que les motifs de son précédent arrêt permettent d’identifier sans équivoque la disposition annulée, rendant inopérante la référence à une circulaire externe et non pertinente.

Cette décision rappelle avec fermeté les conditions strictes d’appréciation de l’ambiguïté d’un jugement (I), réaffirmant par là même le caractère exceptionnel du recours en interprétation (II).

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I. L’appréciation souveraine de l’ambiguïté par le juge

La cour administrative d’appel, pour rejeter la requête, s’appuie sur une lecture combinée des motifs et du dispositif de sa décision antérieure (A), tout en écartant fermement les éléments extrinsèques invoqués par la requérante pour tenter de démontrer une obscurité (B).

A. La clarté issue de la combinaison des motifs et du dispositif

Le juge administratif rappelle une règle fondamentale de l’interprétation des décisions juridictionnelles : le dispositif doit se lire à la lumière des motifs qui en constituent le « support nécessaire ». En l’occurrence, la cour souligne qu’il « ressort des motifs figurant au point 20 de l’arrêt de la Cour du 4 avril 2024 » que l’intention du juge était d’annuler une disposition spécifique du plan local d’urbanisme. Elle précise que la disposition visée était celle qui, en méconnaissance du schéma de cohérence territoriale, autorisait sous conditions des constructions dans des corridors écologiques devant être rendus inconstructibles.

Ce raisonnement met en évidence que l’intelligibilité d’une décision ne se limite pas à la seule littéralité de son dispositif. Les motifs, qui exposent le raisonnement logique suivi par le juge pour aboutir à sa conclusion, sont indissociables du commandement final. La cour écarte ainsi toute confusion possible en relevant que le passage du règlement reproduit dans les motifs était suffisamment explicite pour identifier la norme annulée, « sans qu’une confusion ne soit possible avec les autres alinéas de cet article dont aucun n’avait une formulation identique ou même similaire ». Cette approche pragmatique garantit la prévalence de l’intention réelle du juge sur une potentielle erreur matérielle de numérotation.

B. Le rejet d’une ambiguïté fondée sur une norme technique externe

La commune requérante tentait de créer une ambiguïté en se fondant sur une « circulaire du 20 octobre 2000 relative au mode de décompte des alinéas lors de l’élaboration des textes ». L’argument est balayé par la cour avec une grande clarté. Elle juge que cette circulaire, qui ne concerne que la technique légistique pour les lois et décrets, « ne peut donc être utilement invoquée pour soutenir l’existence d’une telle ambiguïté ».

Ce faisant, le juge de l’interprétation refuse qu’une norme technique, dépourvue de valeur juridictionnelle et relative à l’édiction de textes généraux, puisse servir de critère pour évaluer la clarté d’une décision de justice. La logique interne de l’arrêt, fondée sur le lien entre les motifs et le dispositif, prime sur toute considération formelle externe. La cour affirme ainsi son autonomie dans l’appréciation de la clarté de ses propres décisions, en se refusant à laisser une partie créer artificiellement une obscurité par le biais d’un référentiel inadapté. Cette position est essentielle pour prévenir les manœuvres dilatoires visant à remettre en cause une décision sous couvert d’un formalisme excessif.

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II. La portée strictement encadrée de l’office du juge de l’interprétation

En déclarant la requête irrecevable, la cour administrative d’appel réaffirme que le recours en interprétation est une voie de droit exceptionnelle (A), ce qui constitue une garantie pour la sécurité juridique et l’autorité de la chose jugée (B).

A. Un recours prévenant l’obscurité, non un moyen de réformation

La décision commentée illustre parfaitement que le recours en interprétation n’est pas une voie d’appel déguisée. Sa seule finalité est de lever une obscurité ou une ambiguïté réelle qui rendrait l’exécution de la décision difficile ou impossible. En l’absence d’une telle difficulté, comme le juge le constate en l’espèce, le recours n’a pas lieu d’être. La cour rappelle d’ailleurs dans son premier considérant les conditions cumulatives de recevabilité : le recours doit émaner d’une partie à l’instance et se fonder sur une obscurité ou une ambiguïté avérée.

Le juge de l’interprétation ne peut donc ni modifier les droits et obligations reconnus par la décision initiale, ni en corriger les éventuelles erreurs de droit ou d’appréciation. En jugeant que son arrêt du 4 avril 2024 était parfaitement clair, la cour refuse de s’engager dans une réformation qui ne dirait pas son nom. Elle se borne à son office, qui est de dire le droit, non de le refaire une fois qu’il a été définitivement tranché. Cette rigueur préserve l’équilibre des voies de recours et évite que l’interprétation ne devienne un moyen de contourner les délais et les règles de la chose jugée.

B. La sauvegarde de la sécurité juridique

En refusant d’admettre qu’une chicane sur la numérotation d’un alinéa puisse rendre ambigu un arrêt dont le raisonnement est limpide, la cour assure la prééminence de la substance sur la forme. Cette solution renforce la sécurité juridique pour l’ensemble des parties. Admettre le contraire reviendrait à ouvrir la porte à d’innombrables recours fondés sur des arguties formelles, paralysant l’exécution des décisions de justice et prolongeant indéfiniment les litiges.

La décision a une portée pédagogique : elle invite les justiciables et leurs conseils à une lecture attentive et complète des décisions, incluant les motifs qui éclairent la solution. Elle rappelle que l’autorité de la chose jugée attachée à un arrêt ne saurait être ébranlée par des arguments qui sont étrangers à la logique interne de la décision. En définitive, cette décision, bien que se prononçant sur un cas d’espèce, constitue un rappel utile des limites de l’office du juge de l’interprétation, garant de la stabilité et de l’effectivité des décisions de la justice administrative.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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