Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°23BX00403

Par un arrêt du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé les conditions de légalité d’un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, des administrés contestaient la délibération d’une communauté d’agglomération ayant approuvé un tel document, notamment en ce qu’il classait leur parcelle en zone agricole et y instituait un emplacement réservé. Ils arguaient également de l’illégalité du classement en zone constructible de terrains appartenant aux parents d’une élue communautaire, vice-présidente de l’établissement public et maire de la commune concernée. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Pau, par un jugement avant-dire droit, avait écarté l’ensemble de leurs moyens à l’exception d’un vice de forme relatif au rapport de présentation, pour la régularisation duquel il avait sursis à statuer. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement en tant qu’il rejetait leurs autres moyens de légalité. La question posée à la cour portait donc sur la validité de ces moyens écartés, et plus particulièrement sur l’existence d’un conflit d’intérêts entachant la délibération et sur la commission d’éventuelles erreurs manifestes d’appréciation dans les choix de classement. La cour administrative d’appel annule partiellement le jugement de première instance ainsi que la délibération litigieuse. Elle juge que la participation de l’élue intéressée à l’adoption du plan a vicié la décision, mais uniquement pour ce qui concerne le classement des parcelles de ses parents, lequel constitue par ailleurs une erreur manifeste d’appréciation.

Cette décision permet de rappeler la double nature du contrôle opéré par le juge administratif sur les documents d’urbanisme, qui porte tant sur la régularité procédurale de leur adoption (I) que sur le bien-fondé des orientations d’aménagement retenues (II).

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I. La sanction d’une irrégularité procédurale affectant l’adoption du plan

La cour administrative d’appel censure la participation d’une conseillère intéressée à l’adoption de la délibération, confirmant une jurisprudence établie en matière de conflit d’intérêts (A), tout en appliquant une sanction mesurée qui préserve l’économie générale du document d’urbanisme (B).

A. La caractérisation de l’intérêt personnel d’un élu à la modification du zonage

La solution retenue par la cour repose sur l’application de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, qui proscrit la participation d’un élu intéressé à une délibération. L’intérêt est ici constitué par le fait que des terrains appartenant aux parents de la maire d’une des communes membres, et vice-présidente de l’intercommunalité, ont bénéficié d’un classement en zone constructible UBr alors qu’ils se situaient auparavant en zone à urbaniser. La cour relève que l’élue a participé au vote approuvant le plan local d’urbanisme, mais également à la séance de son conseil municipal ayant émis un avis sur ce même projet. Pour la juridiction, l’élue avait de ce fait « un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de l’agglomération ». Cette appréciation extensive de l’intérêt personnel, qui inclut l’avantage procuré à des ascendants directs, est une application classique de la théorie du conseiller intéressé. Elle vise à garantir l’impartialité des décisions publiques et à prévenir toute suspicion de favoritisme dans l’exercice d’un mandat électif, particulièrement dans le domaine sensible de l’urbanisme où les enjeux financiers peuvent être considérables.

B. Une annulation partielle fondée sur le caractère divisible de la délibération

Après avoir constaté l’illégalité, la cour en tire des conséquences limitées en ne prononçant qu’une annulation partielle de la délibération. Elle considère en effet que le vice constaté ne rejaillit pas sur l’ensemble du plan local d’urbanisme. Le raisonnement de la cour est explicite : « cet intérêt étant limité au classement de ces trois parcelles, il ne rejaillit pas sur l’ensemble du plan local d’urbanisme et celui-ci, qui est divisible en ce qui concerne cette disposition, ne doit donc être annulé qu’en tant qu’il procède à un changement de zonage ». Cette solution pragmatique repose sur le caractère divisible des actes administratifs, notamment des documents d’urbanisme. Une illégalité qui n’affecte qu’une partie détachable d’un acte n’entraîne pas son annulation totale. En l’espèce, le classement de quelques parcelles sur le territoire d’une seule commune est considéré comme une disposition isolable du reste du plan, qui concerne des dizaines de communes. Cette approche permet de concilier le respect du principe de légalité et la sécurité juridique, en évitant qu’un vice localisé ne remette en cause un document structurant pour l’ensemble d’un territoire.

Outre le contrôle de la procédure, la cour se livre à un examen approfondi des choix de classement opérés par les auteurs du plan, illustrant ainsi l’étendue de son contrôle sur le fond.

II. Le contrôle de l’erreur manifeste dans les choix de classement

La cour administrative d’appel exerce un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation sur les partis d’aménagement, ce qui la conduit à censurer un classement incohérent (A) tout en validant des choix qui relèvent de la large marge d’appréciation de l’autorité de planification (B).

A. La censure d’un classement contraire aux objectifs du plan

La cour annule le classement en zone UBr des parcelles appartenant aux parents de l’élue non seulement pour un motif de procédure, mais également sur le fond. Elle juge que cette décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Pour parvenir à cette conclusion, elle confronte ce classement spécifique aux orientations générales définies dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD). La cour note que ces parcelles se situent « en dehors des tissus urbains constitués » et ouvrent sur un « vaste espace à caractère rural ». Or, le PADD affichait un objectif de densification des zones déjà urbanisées et de protection des espaces agricoles. En classant ces terrains en zone constructible, les auteurs du plan ont donc agi en contradiction avec leurs propres objectifs. Le juge administratif sanctionne ici une incohérence interne au document d’urbanisme. Il rappelle ainsi que si les auteurs d’un plan disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour définir le parti d’aménagement, leurs choix doivent demeurer cohérents avec les grandes orientations qu’ils se sont eux-mêmes fixées.

B. La validation d’un classement conforme à une logique de maîtrise de l’urbanisation

À l’inverse, la cour rejette le moyen des requérants relatif au classement de leur propre parcelle. Cette dernière, bien que précédemment constructible, a été classée en zone agricole (A), et un emplacement a été réservé pour l’extension du cimetière communal. La cour estime que ce choix n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle observe que le terrain se situe en limite de la partie urbanisée et ouvre sur un vaste secteur agricole, rendant son classement en zone A cohérent avec l’objectif de lutte contre l’étalement urbain. De même, la création de l’emplacement réservé est jugée justifiée par les perspectives d’accroissement de la population. Cette partie de la décision illustre les limites du contrôle du juge. Un choix de classement, même s’il est défavorable à un propriétaire et modifie un état antérieur du droit, n’est pas illégal dès lors qu’il se justifie au regard des objectifs d’intérêt général poursuivis par le plan. Le juge n’entend pas substituer son appréciation à celle de l’administration, mais s’assure seulement que celle-ci n’est pas manifestement erronée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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