Cour d’appel administrative de Marseille, le 4 juillet 2025, n°24MA02490

Par un arrêt en date du 4 juillet 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’application de la dérogation pour urgence à l’obligation de mise en concurrence pour l’occupation du domaine public à des fins économiques. Cette décision illustre l’office du juge du contrat lorsqu’il est saisi par un tiers et doit apprécier la gravité d’un vice affectant la passation d’une convention domaniale.

En l’espèce, une commune avait autorisé, par une convention signée le 11 mars 2021, une société de restauration à occuper une partie de son domaine public pour y installer une terrasse, pour une durée d’un an. Cette autorisation fut délivrée sans procédure de sélection préalable, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour lutter contre l’épidémie de COVID-19, afin de soutenir les restaurateurs ne disposant pas d’espaces extérieurs.

Une autre société, exploitant un restaurant à proximité et disposant déjà de terrasses, a saisi le tribunal administratif de Nice d’un recours de pleine juridiction contestant la validité de cette convention. Par un jugement du 23 juillet 2024, les premiers juges ont annulé la convention, estimant que l’absence de procédure de sélection caractérisait une intention de favoriser la société attributaire. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’urgence justifiait l’absence de publicité et de sélection, et qu’en tout état de cause, le vice n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier l’annulation.

Il était ainsi demandé à la juridiction d’appel de déterminer si le contexte de l’état d’urgence sanitaire pouvait caractériser l’urgence justifiant de déroger à la procédure de sélection préalable prévue par le code général de la propriété des personnes publiques et, à défaut, d’apprécier si l’absence d’une telle procédure constituait un vice d’une gravité suffisante pour entraîner l’annulation du contrat.

La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance et rejette la demande d’annulation de la convention. Elle juge que, compte tenu du contexte sanitaire et de l’objectif de la commune de soutenir les établissements sans espace extérieur, il ne résultait pas de l’instruction une volonté de favoriser un candidat. Par conséquent, le vice tiré de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence, bien que réel, n’était pas d’une gravité telle qu’il justifiait l’annulation du contrat. Cette solution met en lumière une application pragmatique des règles de la domanialité publique face à des circonstances exceptionnelles (I), tout en réaffirmant les limites du pouvoir du juge du contrat en matière d’annulation (II).

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I. L’appréciation pragmatique des obligations de mise en concurrence en situation de crise

La juridiction d’appel a fondé sa décision sur une analyse concrète des circonstances ayant entouré la conclusion de la convention litigieuse. Elle a ainsi admis que le contexte de crise sanitaire pouvait justifier une approche assouplie des règles de mise en concurrence (A), ce qui l’a conduite à écarter l’existence d’une intention délibérée de favoritisme de la part de l’administration (B).

**A. La reconnaissance d’une urgence justifiée par le contexte sanitaire**

L’arrêt s’attache à démontrer que la démarche de la commune n’était pas arbitraire mais répondait à une situation exceptionnelle. Le juge rappelle que la convention a été signée alors que l’état d’urgence sanitaire était en vigueur et que « les restaurants disposant de terrasses ou d’espaces extérieurs étaient susceptibles d’accueillir du public dans des conditions moins restrictives ». Cette contextualisation permet de comprendre l’objectif poursuivi : permettre aux restaurants les plus vulnérables de maintenir une activité minimale.

En se référant explicitement aux dispositions de l’article L. 2122-1-2 du code général de la propriété des personnes publiques, qui autorise une dérogation à la procédure de sélection en cas d’urgence, le juge valide, non pas tant la légalité formelle de la procédure, mais la logique qui l’a sous-tendue. Il est relevé que « la commune, au regard du contexte de l’épidémie de COVID-19, s’est crue de bonne foi dans une telle situation d’urgence ». Cette prise en compte de la bonne foi de l’administration et des contraintes du moment témoigne d’une approche compréhensive, éloignée d’un contrôle purement formel des obligations légales.

**B. L’exclusion de l’intention de favoriser un candidat**

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans son appréciation de l’intention de l’administration. Alors que le tribunal administratif avait vu dans le manquement aux règles de publicité un signe de favoritisme, la cour d’appel renverse cette analyse. Elle estime que le choix de la commune reposait sur un critère objectif et pertinent au regard de la finalité d’intérêt général poursuivie.

Le juge souligne que les restaurateurs qui ont bénéficié d’un titre d’occupation, dont la société attributaire, « ne disposaient pas au préalable d’un espace extérieur en terrasse ». À l’inverse, la société requérante « disposait pour sa part de deux espaces en plein air ». Cette différence de situation factuelle justifiait un traitement différencié. En conséquence, la cour conclut de manière décisive qu’« il ne résulte pas de l’instruction qu’en s’abstenant de soumettre l’attribution des emplacements à une procédure de sélection préalable et à des mesures de publicité, la commune aurait eu la volonté de favoriser un candidat par rapport à d’autres ». Cette absence d’intentionnalité est déterminante pour qualifier la gravité du vice et, par suite, pour choisir la sanction appropriée.

II. La portée limitée du contrôle du juge sur la validité du contrat

En refusant de prononcer l’annulation de la convention, la cour administrative d’appel fait une application rigoureuse de la jurisprudence relative à l’office du juge du contrat. Elle rappelle que la sanction de l’annulation doit être proportionnée à la gravité du vice constaté (A) et que les autres irrégularités soulevées n’étaient pas, en l’espèce, de nature à justifier une telle mesure (B).

**A. La nécessaire proportionnalité de la sanction à la gravité du vice**

L’arrêt s’inscrit dans le sillage des principes dégagés par le Conseil d’État depuis sa décision de 2014, rappelés au considérant 3, qui confèrent au juge du contrat une palette de pouvoirs gradués. Le juge doit apprécier l’importance et les conséquences des vices constatés et ne prononcer l’annulation qu’en présence d’un contenu illicite ou d’un vice d’une particulière gravité.

En l’espèce, une fois l’intention de favoriser écartée, le manquement à l’obligation de sélection préalable n’apparaît plus comme un vice d’une « particulière gravité ». La cour estime donc que la sanction de l’annulation prononcée par les premiers juges était disproportionnée. Même si la convention avait déjà expiré au moment où le juge statue, cette analyse conserve toute sa pertinence pour déterminer si le vice justifiait, sur le principe, une annulation. La décision illustre ainsi que l’absence de mise en concurrence, bien que constituant une illégalité, n’entraîne pas automatiquement l’invalidation du contrat, surtout lorsque l’administration agit de bonne foi dans un contexte de crise.

**B. Le rejet des autres moyens comme insusceptibles d’entraîner l’annulation**

Saisie par l’effet dévolutif de l’appel, la cour examine les autres moyens soulevés par la société requérante et les écarte successivement, confirmant ainsi la validité de la convention. Que ce soit la compétence du maire, la prétendue méconnaissance du principe d’égalité ou la distorsion de concurrence, aucun de ces arguments n’est jugé suffisant pour entraîner l’annulation.

Le juge écarte notamment l’argument tiré de la violation du principe d’égalité en rappelant que, au regard de l’objectif poursuivi, « les restaurateurs disposant d’espaces extérieurs et ceux n’en disposant pas n’étaient pas dans la même situation ». De même, s’agissant de la concurrence, la cour précise qu’une éventuelle distorsion « n’est pas de nature à entacher l’objet de la convention d’illicéité, justifiant l’annulation de cette convention ». Cette motivation démontre que seuls des vices intrinsèques et d’une gravité substantielle affectant le consentement de l’administration ou le contenu même du contrat peuvent conduire à sa disparition rétroactive. La décision réaffirme ainsi une conception restrictive des cas d’annulation, privilégiant la stabilité des relations contractuelles lorsque l’intérêt général n’est pas excessivement atteint.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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