Cour de justice de l’Union européenne, le 14 septembre 2006, n°C-386/04

Une fondation de droit italien, reconnue d’intérêt général dans son État d’origine, est propriétaire d’un bien immobilier en Allemagne dont elle perçoit des revenus locatifs. L’administration fiscale allemande a assujetti ces revenus à l’impôt sur les sociétés, refusant le bénéfice d’une exonération pourtant accordée aux fondations d’intérêt général résidentes. La législation allemande réservait en effet cette exonération aux entités fiscalement résidentes, qualifiées de contribuables soumis à l’impôt de manière illimitée, et l’excluait pour les non-résidents, considérés comme partiellement assujettis à l’impôt. La fondation a contesté cette imposition, arguant de son statut d’organisme d’intérêt général. Après le rejet de sa réclamation et de son recours devant le Finanzgericht München, elle a saisi le Bundesfinanzhof. Cette juridiction, doutant de la conformité de la législation nationale avec le droit communautaire, a posé une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes. Il était ainsi demandé si les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, à la libre prestation de services ou à la libre circulation des capitaux s’opposaient à ce qu’une législation nationale refuse à une fondation d’intérêt général non-résidente une exonération fiscale accordée à une fondation résidente percevant des revenus de même nature. La Cour a jugé qu’une telle réglementation constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, non justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Il convient d’analyser la manière dont la Cour identifie une restriction à la libre circulation des capitaux (I), avant d’examiner le rejet systématique des justifications avancées par l’État membre (II).

I. La qualification de restriction à la libre circulation des capitaux

La Cour procède d’abord à la qualification juridique des faits au regard des libertés fondamentales, retenant exclusivement la libre circulation des capitaux (A), pour ensuite constater l’existence d’un traitement fiscal discriminatoire constitutif d’une restriction (B).

A. L’application exclusive de la liberté de circulation des capitaux

La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur la compatibilité de la mesure fiscale avec plusieurs libertés fondamentales. La Cour écarte d’abord l’application de la liberté d’établissement. Elle rappelle que cette liberté implique « la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État d’origine ». Or, en l’espèce, la fondation ne disposait d’aucun local en Allemagne et la gestion de son bien était assurée par un syndic local, ce qui excluait toute présence permanente et active. La Cour conclut donc que les dispositions régissant la liberté d’établissement ne trouvent pas à s’appliquer.

La Cour se tourne ensuite vers la libre circulation des capitaux. Se référant à une jurisprudence constante, elle rappelle que la nomenclature annexée à la directive 88/361 conserve une valeur indicative pour définir cette notion. Cette annexe inclut, sous la rubrique des « investissements immobiliers », ceux réalisés sur le territoire national par des non-résidents. Par conséquent, la Cour estime que la situation de la fondation, qui est propriétaire d’un bien immobilier dans un autre État membre et l’exploite par la location, relève de cette liberté. Elle juge qu’« il s’ensuit que tant le fait d’être propriétaire dudit bien immobilier que celui de l’exploiter relèvent de la libre circulation des capitaux ». Cette qualification rend inutile l’examen de la situation au regard de la libre prestation de services.

B. La constatation d’un traitement fiscal discriminatoire

Une fois la liberté applicable identifiée, la Cour examine si la législation nationale constitue une restriction à celle-ci. L’article 73 B du traité CE interdit en principe toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres. En l’espèce, la législation allemande subordonne l’exonération de l’impôt sur les sociétés au statut de contribuable soumis à l’impôt de manière illimitée, c’est-à-dire à la résidence fiscale en Allemagne. Une fondation non-résidente, bien que remplissant par ailleurs les critères de l’intérêt général au sens du droit allemand, est privée de cet avantage fiscal.

La Cour en déduit que cette différence de traitement fondée sur le siège de la fondation est de nature à entraver les mouvements de capitaux. En effet, elle rend les investissements immobiliers en Allemagne moins attractifs pour les fondations d’intérêt général établies dans d’autres États membres que pour les fondations allemandes. Ce désavantage fiscal constitue une entrave à l’investissement transfrontalier. La Cour affirme ainsi que « le fait que l’exonération fiscale sur les revenus locatifs s’applique uniquement en faveur des fondations reconnues comme étant d’intérêt général et en principe soumises à l’impôt de manière illimitée sur le territoire allemand désavantage les fondations dont le siège est situé dans un autre État membre et est susceptible de constituer une entrave à la libre circulation de capitaux et de paiements ». Une fois la restriction caractérisée, la Cour examine si celle-ci peut être justifiée au regard du droit communautaire, une analyse qui se solde par un rejet complet des arguments présentés.

II. Le rejet des justifications fondées sur l’intérêt général

La Cour examine les justifications possibles à cette restriction, en commençant par réfuter l’argument tiré de la non-comparabilité des situations (A), pour ensuite écarter une à une les raisons impérieuses d’intérêt général invoquées (B).

A. La réfutation de la non-comparabilité des situations

L’Allemagne et d’autres gouvernements intervenants soutenaient que les fondations résidentes et non-résidentes ne se trouvaient pas dans une situation objectivement comparable. Selon eux, seules les fondations résidentes s’intègrent à la vie sociale nationale et assument des missions qui, autrement, incomberaient à l’État. La Cour rejette cet argument. Elle rappelle que pour qu’une réglementation fiscale qui opère une distinction entre contribuables résidents et non-résidents soit compatible avec le traité, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables.

Or, la Cour constate que, selon les propres informations de la juridiction de renvoi, la législation allemande sur l’intérêt général ne requiert pas que les activités de la fondation profitent spécifiquement à la collectivité allemande. Dès lors, une fondation étrangère qui remplit les conditions matérielles d’intérêt général fixées par le droit allemand se trouve dans une situation comparable à celle d’une fondation allemande. La Cour précise que « lorsque une fondation reconnue d’intérêt général dans un État membre remplit également les conditions imposées à cette fin par la législation d’un autre État membre et a comme objectif la promotion d’intérêts de la collectivité identiques, […] les autorités de cet État membre ne sauraient refuser à cette fondation le droit à l’égalité de traitement pour la seule raison qu’elle n’est pas établie sur leur territoire ». Le critère du siège devient alors une discrimination arbitraire.

B. L’insuffisance des raisons impérieuses d’intérêt général

La Cour examine ensuite les diverses raisons impérieuses d’intérêt général invoquées pour justifier la restriction. La nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux est reconnue comme un objectif légitime, mais la Cour juge la mesure disproportionnée. Refuser catégoriquement l’exonération va au-delà du nécessaire, alors que l’État membre peut exiger des justificatifs pertinents et utiliser les mécanismes d’assistance mutuelle prévus par la directive 77/799/CEE. De simples inconvénients administratifs ne sauraient justifier une restriction à une liberté fondamentale.

L’argument relatif à la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal est également écarté. La Cour rappelle qu’une telle justification suppose un lien direct entre un avantage fiscal et sa compensation par un prélèvement fiscal déterminé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’exonération n’étant pas compensée par une charge fiscale spécifique. De même, la nécessité de préserver l’assiette fiscale est balayée, la Cour réaffirmant, conformément à sa jurisprudence constante, que la réduction des recettes fiscales ne constitue pas une raison impérieuse d’intérêt général. Enfin, l’argument de la lutte contre la criminalité, tel que le blanchiment d’argent, est rejeté comme reposant sur une « présomption générale d’activité criminelle » et constituant une mesure disproportionnée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture