5ème – 6ème chambres réunies du Conseil d’État, le 24 juillet 2025, n°479690

Par un arrêt du 24 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’un permis de construire contesté par des riverains, apportant des précisions tant sur l’appréciation de l’intérêt à agir que sur l’interprétation des règles d’un plan local d’urbanisme. En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré un permis de construire pour un bâtiment à usage d’habitation et de crèche, permis qui fut ensuite modifié. Des résidents voisins ainsi qu’un syndicat de copropriétaires ont saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour en demander l’annulation. Par un jugement du 9 juin 2023, la juridiction de première instance a fait droit à leur demande, annulant les autorisations d’urbanisme au motif qu’elles méconnaissaient deux articles du règlement du plan local d’urbanisme, l’un relatif à la protection des arbres et l’autre aux règles d’implantation des constructions. Le bénéficiaire du permis et la commune ont alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de ce jugement. Il revenait donc à la haute juridiction de déterminer si le tribunal administratif avait correctement apprécié l’intérêt à agir des requérants et si son interprétation des dispositions du plan local d’urbanisme était exempte d’erreur de droit. Le Conseil d’État, tout en validant le raisonnement des premiers juges sur la violation des règles de protection d’un espace boisé, a censuré l’analyse relative à la distance entre les constructions, considérant que la règle applicable aux façades en vis-à-vis ne pouvait concerner des bâtiments implantés perpendiculairement.

L’arrêt permet ainsi de réaffirmer une conception pragmatique des conditions de recevabilité des recours en matière d’urbanisme tout en rappelant la nécessité d’une application rigoureuse des règles de fond (I), avant de censurer une lecture extensive d’une règle d’implantation et de consacrer une interprétation stricte garantissant la sécurité juridique (II).

I. La consolidation d’une approche protectrice en droit de l’urbanisme

Le Conseil d’État valide la position du tribunal administratif sur deux points essentiels, d’abord en confirmant une appréciation souple de l’intérêt à agir des riverains, ensuite en entérinant la sanction d’un projet ne respectant pas les exigences de protection du patrimoine naturel local.

A. La confirmation d’une appréciation pragmatique de l’intérêt à agir

La haute juridiction administrative examine en premier lieu la recevabilité de la demande initiale, conditionnée par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui exige que le projet soit de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien du requérant. En l’espèce, les juges du fond avaient estimé que les requérants, propriétaires de biens situés à une trentaine de mètres du projet, justifiaient d’un tel intérêt. Le Conseil d’État confirme cette analyse, relevant que la construction d’un immeuble de six étages entre leurs propriétés et un espace boisé classé était de nature à porter atteinte à leur cadre de vie. Il retient que la perte de la vue sur cet espace suffisait à caractériser une affectation directe, peu important que la vue sur un espace vert ne soit pas totalement supprimée. En jugeant que le tribunal administratif a pu « sans erreur de qualification juridique des faits, retenir que le projet litigieux était de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien des requérants », le Conseil d’État s’inscrit dans une jurisprudence constante qui privilégie une analyse concrète des incidences d’un projet sur son voisinage immédiat. Cette solution rappelle que l’intérêt à agir s’évalue au regard de la situation particulière du requérant et de la nature de l’atteinte portée par la construction, la simple proximité visuelle avec un projet d’envergure pouvant suffire.

B. La sanction du non-respect des prescriptions de protection d’un arbre

Sur le fond, le Conseil d’État approuve la décision du tribunal administratif d’annuler le permis de construire pour méconnaissance de l’article UA 13.3.1 du règlement du plan local d’urbanisme. Cette disposition imposait, pour tout aménagement, de tenir compte des arbres « intéressants » et d’éviter leur destruction, sauf impossibilité technique avérée. Le projet litigieux impliquait l’abattage d’un tilleul identifié comme tel. La juridiction suprême souligne qu’il incombait au pétitionnaire de démontrer cette impossibilité. Or, la société bénéficiaire du permis « se bornait à indiquer que cet arbre serait situé trop près de la façade de la construction projetée ». En considérant cet argument insuffisant, le Conseil d’État valide l’appréciation souveraine des juges du fond, qui ont estimé que le pétitionnaire n’avait pas satisfait à la charge de la preuve qui pesait sur lui. Cette position réaffirme la force normative des règles de protection environnementale contenues dans les documents d’urbanisme. L’exception pour impossibilité technique doit être entendue strictement et exige une démonstration circonstanciée, sans laquelle l’objectif de préservation du patrimoine naturel doit prévaloir sur les intérêts du constructeur. L’annulation est ainsi justifiée sur ce seul motif, témoignant de la rigueur du contrôle opéré sur le respect des servitudes environnementales.

II. La censure d’une interprétation extensive d’une règle d’implantation

Si la solution est confirmée sur un premier moyen, le Conseil d’État infirme cependant le jugement sur le second motif d’annulation, tenant à une règle de distance entre constructions. Il opère un rappel à l’ordre quant à la méthode d’interprétation des règles d’urbanisme, réaffirmant la primauté du texte pour garantir la prévisibilité de la norme.

A. Le rejet d’une application analogique des règles de prospect

Le tribunal administratif avait également annulé le permis en se fondant sur l’article UA 8.1.4 du règlement, qui fixe une distance minimale entre des constructions présentant des « façades en vis-à-vis » comportant des baies principales. Le projet consistait en un bâtiment implanté perpendiculairement à une construction existante. Le Conseil d’État juge que le tribunal a commis une erreur de droit en appliquant cette disposition à une telle configuration. Il énonce clairement que les dispositions en cause, « relatives à l’isolement des constructions les unes par rapport aux autres, s’appliquent uniquement à des bâtiments ayant des façades en vis-à-vis ». La haute juridiction précise qu’elles « ne sauraient être interprétées comme applicables à deux bâtiments jointifs perpendiculaires, alors même qu’ils auraient des vues l’un sur l’autre ». Par cette clarification, le Conseil d’État impose une lecture littérale de la notion de « vis-à-vis », qui implique un face-à-face direct entre deux façades et non une simple covisibilité ou une implantation en équerre. Cette interprétation stricte s’oppose à toute extension par analogie des règles de prospect, qui, en tant que contraintes au droit de construire, ne doivent pas être appliquées au-delà de leur champ textuel.

B. La portée de la décision au service de la sécurité juridique

En censurant l’erreur de droit des premiers juges, le Conseil d’État ne se contente pas de trancher un cas d’espèce ; il adresse un message sur la méthode interprétative en matière de droit de l’urbanisme. La portée de cette décision réside dans sa contribution à la sécurité juridique. Les auteurs des documents d’urbanisme, comme les constructeurs, doivent pouvoir se fier à la lettre des règlements. Une interprétation extensive, même guidée par une recherche de cohérence ou de protection des vues, créerait une incertitude normative préjudiciable à la prévisibilité des projets. En affirmant que des termes non définis par le lexique du règlement doivent être entendus dans leur sens courant et technique, la juridiction administrative rappelle que le juge ne saurait se substituer à l’autorité compétente pour étendre le champ d’une contrainte. Cette orthodoxie juridique garantit que les règles qui encadrent l’acte de construire demeurent claires et prévisibles pour tous les acteurs, renforçant ainsi la stabilité du droit positif applicable. L’arrêt, bien que cassant partiellement le jugement, maintient l’annulation du permis sur un autre fondement, mais sa véritable contribution se situe dans ce rappel à une lecture rigoureuse des normes d’urbanisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture