Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité du retrait d’une parcelle viticole du casier viticole informatisé d’un exploitant, suite à une décision de justice reconnaissant la propriété des plants de vigne à un tiers. En l’espèce, un propriétaire foncier avait donné congé au preneur d’une parcelle viticole afin que ses ayants droit puissent en reprendre l’exploitation. S’est ensuivi un litige devant le juge judiciaire relatif à la propriété des plantations, le bail initial contenant une clause dérogeant au droit d’accession au profit du preneur. Par un arrêt du 27 septembre 2017, la cour d’appel de Reims a définitivement jugé que l’ancien preneur était propriétaire des plantations situées sur la parcelle, ainsi que des droits y afférents. Tirant les conséquences de cette décision, l’administration des douanes, par une décision du 8 juillet 2019, a retiré la parcelle litigieuse du casier viticole informatisé du nouvel exploitant. Ce dernier a contesté cette décision administrative devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a rejeté sa demande par un jugement du 28 avril 2022. Le nouvel exploitant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le droit de propriété de l’ancien preneur était entaché d’irrégularité et que ce dernier, n’ayant aucun titre sur le foncier, ne pouvait légalement avoir cette parcelle inscrite à son compte.
Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si l’administration des douanes, tenue d’assurer la mise à jour du casier viticole informatisé, doit retirer une parcelle du compte d’un exploitant lorsque la propriété des plantations sises sur cette parcelle, et par conséquent du potentiel de production, a été reconnue à un tiers par une décision de justice définitive, indépendamment du titre d’occupation du sol.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’administration, en application des textes régissant le casier viticole informatisé, était tenue de prendre en compte la modification du droit de propriété sur les vignes, telle qu’établie par l’autorité judiciaire, pour assurer la fiabilité des données relatives au potentiel de production. Le juge administratif se fonde ainsi sur la décision du juge judiciaire pour valider l’acte de l’administration, consacrant une distinction entre la propriété des vignes et celle du sol.
La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour de l’autorité de la chose jugée par le juge judiciaire, qui s’impose à l’administration dans la gestion du casier viticole (I). Cette approche conduit à affirmer que la finalité même de cet outil de contrôle justifie la mise à jour des inscriptions sur la base de la propriété réelle du potentiel de production, indépendamment du titre foncier (II).
I. La primauté de l’autorité judiciaire dans la détermination du titulaire du potentiel viticole
La cour administrative d’appel, pour apprécier la légalité de la décision administrative, s’en remet entièrement à l’arrêt de la cour d’appel de Reims. Elle refuse ainsi de contrôler les arguments qui remettraient en cause le droit de propriété sur les plantations (A) et écarte comme inopérants les autres moyens soulevés par la société requérante (B).
A. Le rejet des contestations portant sur le droit de propriété des plantations
Le requérant tentait de remettre en cause le fondement même de la décision administrative en contestant la régularité du droit de propriété de l’ancien preneur sur les vignes. La cour écarte ce moyen avec fermeté en s’appuyant sur l’arrêt civil antérieur. Elle énonce en effet que « par un arrêt du 27 septembre 2017, devenu définitif, la cour d’appel de Reims a jugé que la société Champagne Laurenti père et fils était devenue propriétaire des plantations situées sur la parcelle cadastrée ZI n° 180018P ». De cette constatation, elle déduit que le moyen « qui tend à remettre en cause le droit de propriété reconnu à cette société sur les vignes plantées sur la parcelle litigieuse, ne peut qu’être écarté ».
Ce faisant, le juge administratif fait une stricte application du principe de l’autorité de la chose jugée. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur une question de droit privé, telle que la propriété de biens meubles par nature que sont les plants de vigne, lorsque celle-ci a déjà été tranchée de manière définitive par le juge compétent. De même, la cour administrative d’appel écarte l’argument selon lequel l’ancien preneur ne disposerait pas de l’autorisation d’arracher les vignes en rappelant que la cour d’appel de Reims a « expressément jugé que la société Champagne Laurenti père et fils était autorisée à procéder ou faire procéder à l’arrachage des plantations ». L’ensemble des contestations relatives à l’existence et aux attributs du droit de propriété est ainsi déclaré irrecevable devant la juridiction administrative.
B. L’indifférence des autres circonstances de fait invoquées
La société requérante soulevait également des arguments tenant au préjudice financier subi du fait du retrait ou à la chronologie de la revendication de propriété par l’ancien preneur. La cour les rejette successivement en les qualifiant de circonstances sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Le préjudice financier est une conséquence du retrait, mais ne saurait en affecter la validité juridique. De même, la date à laquelle l’ancien preneur a revendiqué son droit de propriété est jugée inopérante, la seule question pertinente étant l’existence de ce droit à la date de la décision administrative.
Ce raisonnement démontre la rigueur de l’analyse du juge administratif, qui se concentre exclusivement sur la légalité de l’acte au regard des pouvoirs et des obligations de l’administration. En écartant ces moyens, la cour confirme que la décision de l’administration n’était pas une mesure discrétionnaire, mais une action en compétence liée, dictée par la nécessité de mettre ses registres en conformité avec une situation juridique établie par une autre autorité. La légalité de l’acte administratif dépend donc entièrement de la correcte application des textes régissant le casier viticole informatisé, à la lumière des faits juridiques constatés.
II. La finalité du casier viticole informatisé comme fondement de la légalité du retrait
La décision de la cour administrative d’appel repose sur une interprétation finaliste du casier viticole informatisé. Celui-ci a pour objet de suivre le potentiel de production, ce qui impose à l’administration de l’aligner sur la réalité du droit de propriété des vignes (A). Il en résulte une dissociation notable entre le titre d’occupation du sol et l’inscription audit casier (B).
A. L’obligation d’identifier le titulaire réel du potentiel de production
Le cœur de l’argumentation du requérant reposait sur l’idée qu’une parcelle ne peut être inscrite au casier viticole d’un exploitant que si celui-ci dispose d’un titre, de propriété ou de jouissance, sur le fonds. La cour réfute cette analyse en se fondant sur l’objet même du casier viticole. Citant les dispositions de l’arrêté du 4 avril 2005, elle rappelle que cet outil vise à la connaissance, la gestion et le contrôle du « potentiel de production ». Or, ce potentiel est intrinsèquement lié aux vignes elles-mêmes.
Dès lors que la propriété des vignes a été attribuée à l’ancien preneur, c’est ce dernier qui détient le potentiel de production correspondant. La cour souligne ainsi qu’« à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Reims du 27 septembre 2017, [l’ancien preneur] est devenue propriétaire des vignes plantées sur la parcelle en cause, et, partant, du potentiel de production, et que pèsent d’ailleurs désormais sur elle les obligations déclaratives afférentes ». L’administration, en charge de la fiabilité de ce registre, « se devait donc de prendre en compte cette modification ». La décision de retrait n’est plus seulement légale, elle est obligatoire.
B. La dissociation entre le titre d’exploitation du sol et l’inscription au casier viticole
La conséquence logique de ce raisonnement est la dissociation entre le droit d’exploiter la terre et le droit lié au potentiel de production viticole. Le requérant, bien que titulaire d’un bail sur la parcelle, n’a plus « aucun droit sur ces vignes ». L’ancien preneur, à l’inverse, est propriétaire des vignes sans pour autant disposer d’un droit de bail ou de propriété sur le sol qui les porte. Cette situation, bien que complexe sur le plan agraire, est claire pour l’administration des douanes : le casier viticole informatisé doit refléter la titularité du potentiel de production, qui a été judiciairement déconnectée de la propriété foncière.
L’arrêt confirme ainsi que la notion d’exploitant, au sens de la réglementation viticole pour l’inscription au CVI, doit s’entendre de celui qui maîtrise le potentiel de production. En l’absence de vignes, le titre d’occupation du sol est sans objet pour le CVI. La décision administrative attaquée n’était donc pas dépourvue de base légale ; elle était au contraire la seule mesure apte à garantir la cohérence et l’exactitude du casier viticole, conformément aux finalités pour lesquelles il a été institué. L’administration a correctement exercé sa compétence en alignant la situation administrative sur la réalité juridique consacrée par le juge judiciaire.