Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, n°24/03954

Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, statue sur l’appel d’une ordonnance du juge de la mise en état du 3 décembre 2024. L’arrêt précise l’appelabilité des mesures incidentes et délimite l’office du juge de la mise en état face à une demande de provision.

Une société venderesse a cédé un immeuble à une société acquéreuse, avant l’apparition d’infiltrations un mois après la vente lors d’un épisode pluvieux. Une expertise a été ordonnée en référé, puis une action en nullité pour vices cachés engagée contre les associés, le mandataire ad hoc et des intermédiaires.

Devant le juge de la mise en état, l’acquéreur a sollicité une provision ad litem, une provision de relogement, un séquestre du prix et une injonction de communiquer. L’ordonnance a ordonné un sursis à statuer, alloué des provisions, ordonné le séquestre auprès de la Caisse des dépôts et enjoint la production de pièces. Les associés vendeurs ont interjeté appel, l’acquéreur soutenant l’irrecevabilité d’appels immédiats et l’inutilité d’un appel portant sur un séquestre déjà conventionnellement consigné.

La difficulté tenait à l’appel immédiat des mesures de mise en état et aux conditions d’une provision au sens de l’article 789, 3° du code de procédure civile. La cour rappelle que « Selon l’article 795 du code de procédure civile les ordonnances du juge de la mise en état ne peuvent être frappées d’appel ou de pourvoi en cassation qu’avec le jugement sur le fond ». Elle précise encore que « Les ordonnances du juge de la mise en état ne peuvent être par principe frappées d’appel indépendamment du jugement sur le fond sauf les exceptions limitativement énumérées par l’article précité ». S’agissant du séquestre, la cour retient que « L’existence de l’intérêt de faire appel s’apprécie en effet au jour de l’appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures ». Quant à la provision, elle énonce que « Toute contestation de nature à créer un doute sérieux sur le bien-fondé de l’obligation dont se prévaut le demandeur justifie le refus d’octroi de la provision réclamée » et que « Le juge de la mise en état, juge de l’évidence à l’instar du juge des référés, ne peut en effet accorder une provision que si la solution au fond lui paraît évidente mais il n’a pas le pouvoir de trancher des contestations sérieuses ».

I. L’appel immédiat des ordonnances de mise en état

A. Le cadre de l’article 795 du code de procédure civile

L’arrêt réaffirme un principe de clôture des voies de recours avant jugement au fond, hors cas strictement visés par le texte. La cour cite le texte, puis décline sa portée en rappelant la finalité d’économie procédurale et de cohérence du procès. Elle juge, d’abord, que « La disposition de l’ordonnance relative à l’injonction de communiquer divers documents n’est pas susceptible d’appel immédiat car elle n’a porté ni sur un incident mettant fin à l’instance, ni sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir, et qu’elle n’a trait ni à une mesure provisoire ordonnée en matière de divorce ni à une provision ». Elle ajoute ensuite que « La disposition de l’ordonnance relative à la provision ad litem n’est pas non plus susceptible d’appel immédiat ». L’analyse est complétée par un rappel utile du cloisonnement opéré par l’article 789, dont il est dit que « En effet, l’article 789 distingue deux catégories distinctes de provisions susceptibles d’être allouées par le juge de la mise en état ». L’articulation entre ces textes fonde la solution restrictive.

B. Application aux injonctions, provisions ad litem et séquestre

La cour applique ce cadre à chacune des mesures contestées. Pour les injonctions de communiquer et les provisions ad litem, l’absence d’ouverture textuelle d’appel immédiat commande l’irrecevabilité. Pour le séquestre, l’argument tiré d’une convention postérieure ne prive pas l’appel d’intérêt, la cour relevant que « L’existence de l’intérêt de faire appel s’apprécie en effet au jour de l’appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures ». Toutefois, l’obstacle demeure textuel, puisque « L’article 795 4° du code de procédure civile n’ouvre la voie de l’appel immédiat qu’aux dispositions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». La conséquence est nette: les appels dirigés contre le séquestre, l’injonction et l’ad litem sont déclarés irrecevables. La solution renforce la maîtrise du calendrier procédural, tout en retardant tout contrôle de mesures potentiellement lourdes, choix assumé par le législateur.

II. La provision de l’article 789, 3° et l’office du juge de la mise en état

A. L’exigence d’une obligation non sérieusement contestable

L’arrêt recentre l’office du juge de la mise en état autour de l’évidence du droit invoqué, excluant tout tranchage anticipé du fond. Deux formules gouvernent la décision: « Toute contestation de nature à créer un doute sérieux sur le bien-fondé de l’obligation dont se prévaut le demandeur justifie le refus d’octroi de la provision réclamée » et « Le juge de la mise en état, juge de l’évidence à l’instar du juge des référés, ne peut en effet accorder une provision que si la solution au fond lui paraît évidente mais il n’a pas le pouvoir de trancher des contestations sérieuses ». La distinction opérée par l’article 789 entre provision ad litem et provision au créancier conforte ce raisonnement, en réservant la seconde à l’absence de doute sérieux. La cour en déduit l’impossibilité d’allouer une somme destinée au relogement lorsque l’obligation de garantie alléguée dépend d’appréciations au fond.

B. Clause exonératoire et qualité de vendeur professionnel: un débat de fond réservé

La demande de provision reposait sur la garantie des vices cachés et se heurtait à une clause d’exclusion de garantie, dont l’efficacité dépendait de la qualification de vendeur professionnel. Le premier juge avait retenu l’inapplicabilité de la clause en raison de l’objet social et d’éléments tirés de l’habitabilité, appréciations discutées par les vendeurs. La cour censure cette approche, estimant que l’applicabilité de la clause et la qualité de professionnel ne relèvent pas de l’évidence, mais d’un examen du fond, incompatible avec l’office de la mise en état. En conséquence, la provision sollicitée est refusée, l’arrêt réaffirmant une ligne procédurale claire, protectrice de la neutralité du juge de l’instruction civile. La portée pratique est marquée: en présence d’une clause d’exonération discutée et d’une qualification professionnelle incertaine, la provision de l’article 789, 3° demeure exclue, le débat devant être tranché par le juge du principal.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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