Tribunal judiciaire de Grenoble, le 19 juin 2025, n°25/00390

Tribunal judiciaire de Grenoble, ordonnance de référé du 19 juin 2025. Un différend consécutif à la cession d’un véhicule a conduit le juge des référés à vérifier la régularité de l’assignation et la recevabilité de demandes provisionnelles. Les demandeurs sollicitaient le prix, des intérêts, le remboursement de frais de crédit et des dommages-intérêts, les défendeurs n’ayant pas comparu. La difficulté portait d’abord sur la validité de l’acte introductif dépourvu d’exposé des moyens, ensuite sur l’existence d’une contestation sérieuse empêchant toute mesure de référé. Le juge a relevé que « En l’espèce, il ressort de l’acte d’assignation du 3 mars 2025 que les demandeurs n’ont pas formulé un exposé des moyens en fait et en droit », en a déduit que « Dans ces conditions, l’acte d’assignation du 3 mars 2025 doit être déclaré nul », puis a, « Au surplus », constaté une contestation sérieuse et invité les demandeurs « à former l’ensemble de leurs demandes devant le juge du fond ».

I – La nullité de l’assignation au regard de l’article 56 du code de procédure civile

A – L’exigence d’un exposé des moyens et la portée de l’adage “Elle vaut conclusions”
L’ordonnance rappelle l’économie de l’article 56 du code de procédure civile, selon lequel « L’assignation contient à peine de nullité […] 2o Un exposé des moyens en fait et en droit », et surtout que « Elle vaut conclusions. » L’extrait souligne que l’acte introductif ne peut se réduire à des prétentions chiffrées, puisqu’il doit porter la discussion de droit et de fait permettant d’identifier le cadre du référé. En l’absence d’un tel exposé, le principe même du contradictoire se trouve vidé de substance, faute pour le défendeur de connaître la cause juridique de la demande et pour le juge d’identifier son office. La décision constate l’omission, et retient explicitement que « les demandeurs n’ont pas formulé un exposé des moyens en fait et en droit », ce qui suffit, en référé comme au fond, à caractériser l’irrégularité substantielle de l’acte.

B – Le contrôle d’office de la régularité et la sanction de nullité en cas de défaut
En défaut de comparution, le juge vérifie la régularité, l’admissibilité et le bien-fondé apparent des prétentions, ce qui inclut l’examen des mentions substantielles de l’assignation. La motivation indique que, privé d’exposé, « Le juge des référés ne peut donc pas déterminer si les demandes […] sont faites sur le fondement de l’urgence […], du trouble manifestement illicite ou du dommage imminent. » L’impossibilité de déterminer la base légale du référé révèle un grief objectif, tant pour le défendeur que pour l’office du juge, justifiant la nullité. La référence aux articles 834 et 835 « du code civil » constitue une évidence de plume sans incidence, l’ordonnance appliquant, en réalité, les textes du code de procédure civile sur l’urgence, le trouble et la provision. La sanction prononcée, « Dans ces conditions, l’acte d’assignation […] doit être déclaré nul », s’inscrit dans une jurisprudence constante sur l’exigence de lisibilité procédurale de l’acte introductif.

II – L’impossibilité de statuer en référé faute de fondement identifié et en présence d’une contestation sérieuse

A – L’indétermination du terrain du référé et l’entrave à l’office juridictionnel
Le juge précise qu’il ne peut « déterminer si les demandes […] sont faites sur le fondement de l’urgence […], du trouble manifestement illicite ou du dommage imminent. » Cette phrase révèle la fonction directrice de l’exposé des moyens pour circonscrire l’instance de référé. Sans indication claire, le contrôle des conditions de l’article 834, ou la caractérisation d’un trouble manifeste ou d’un dommage imminent au sens de l’article 835, devient impraticable. La carence prive également d’assise la demande de provision, subordonnée à l’absence de contestation sérieuse et à l’identification de l’obligation invoquée. Le manquement formel emporte ainsi une conséquence matérielle, en empêchant toute vérification des critères décisifs du juge des référés.

B – La caractérisation d’une contestation sérieuse et le renvoi au juge du fond
Au-delà de la nullité, l’ordonnance retient, « Au surplus », que « les pièces produites ne permettent pas, en l’état, de démontrer l’existence d’un contrat de vente du véhicule litigieux », et relève la discordance entre le certificat de cession et les échanges produits. Cette analyse établit une contestation sérieuse quant à l’existence et à l’étendue de l’obligation alléguée, qui exclut, par nature, l’allocation d’une provision en référé. La conclusion est cohérente avec la suite donnée, « Par conséquent, […] invités à former l’ensemble de leurs demandes devant le juge du fond », conforme à la limite fonctionnelle du référé qui ne tranche pas le principal. Le raisonnement combine une exigence de rigueur procédurale et une prudence substantielle, en réservant au juge du fond l’examen de la preuve du contrat et du prix, seuls propres à lever l’incertitude.

Portée et enseignements. La décision rappelle que l’assignation « vaut conclusions » n’est pas une formule creuse, mais l’armature argumentative du référé. Elle confirme que la nullité sanctionne l’omission d’un exposé, et que la contestation sérieuse ferme la voie à la provision, surtout quand la preuve de l’obligation demeure équivoque. L’ordonnance incite ainsi à une discipline rédactionnelle stricte, garante d’un débat loyal et d’un office juridictionnel précisément circonscrit.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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