Tribunal judiciaire de Paris, le 18 juin 2025, n°24/04127

Tribunal judiciaire de [Localité 9], 18e chambre, 3e section, ordonnance du juge de la mise en état du 18 juin 2025. Le litige naît d’un bail commercial conclu le 5 mars 2020, ajusté par avenant du 12 octobre 2021 prévoyant une réduction de loyer et du dépôt de garantie. Un commandement de payer visant la clause résolutoire est délivré le 9 février 2024, puis le preneur assigne le 18 mars 2024 pour voir juger non écrite la clause d’indexation et contester le commandement.

Au stade de l’incident, le bailleur sollicite, sur le fondement de l’article 789 du code de procédure civile, une provision correspondant à l’arriéré arrêté, le preneur soutenant qu’une telle demande impliquerait de trancher le fond et que l’indexation demeure sérieusement contestée. La juridiction rappelle que « le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Elle ajoute encore que « [i]l juge de la mise en état ne peut exercer les pouvoirs qui lui sont dévolus que si la demande de provision ne se heurte à aucune contestation sérieuse qui implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté ».

La question posée tient à l’étendue du pouvoir d’allouer une provision lorsque seule une composante du décompte, l’indexation, est discutée, et au régime des intérêts contractuels majorés stipulés au bail. La solution retient que, « sans préjuger de la décision du juge du fond sur la validité de la clause d’indexation […] il convient d’allouer […] la somme de 23.468,39 euros à titre de provision, dont le montant n’est pas sérieusement contestable », tout en écartant la majoration d’intérêts comme sérieusement contestable au regard de l’article 1231-5 du code civil, la dette produisant intérêts « au taux légal à compter de la présente décision ». L’exécution provisoire de droit est rappelée.

I – L’office du juge de la mise en état face à une créance locative partiellement litigieuse

A – Critère de l’obligation non sérieusement contestable

Le texte de référence, expressément visé, circonscrit l’intervention du juge de la mise en état à l’hypothèse où l’obligation invoquée ne se heurte pas à une contestation sérieuse. L’ordonnance en précise le standard en relevant que « [l]e juge de la mise en état ne peut exercer les pouvoirs qui lui sont dévolus que si la demande de provision ne se heurte à aucune contestation sérieuse qui implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté ». Cette formule guide l’examen point par point des postes réclamés et commande une appréciation concrète de l’évidence, distincte de toute analyse approfondie du fond.

L’obligation principale du preneur, rappelée par l’article 1728 du code civil, renforce ce cadre en éclairant la nature de la créance de loyers. La juridiction en déduit que la discussion portant exclusivement sur l’indexation ne suffit pas à rendre sérieusement contestable la totalité de l’arriéré. L’évidence demeure pour les sommes issues du loyer de base et des charges non discutées, de sorte que la provision peut être accordée à due concurrence.

B – Neutralisation des postes litigieux et fixation de la provision

La décision illustre méthodiquement la neutralisation des éléments contestés pour préserver la logique de l’article 789. Après avoir constaté la contestation ciblée sur l’indexation, le juge relève que le bailleur a retranché du décompte le supplément indexé et le complément de dépôt de garantie, avant de chiffrer la somme non discutée. Il est d’ailleurs noté, avec prudence probatoire, que « [n]éanmoins, force est de constater qu’elle ne produit aucun décompte actualisé à cette date », ce qui borne la provision au dernier décompte produit.

La portée de cette démarche est explicitée par la réserve de fond: « sans préjuger de la décision du juge du fond sur la validité de la clause d’indexation […] il convient d’allouer […] la somme de 23.468,39 euros […] dont le montant n’est pas sérieusement contestable ». Le juge de la mise en état assume ainsi un office de tri, qui n’annihile pas le débat ultérieur et préserve l’autorité du juge du fond sur les clauses litigieuses.

II – Le traitement des accessoires de la dette et la portée de l’ordonnance

A – La majoration d’intérêts qualifiée de clause pénale et sa contestation

La stipulation contractuelle d’intérêts majorés est reproduite en des termes clairs: « à défaut de règlement à son échéance d’un seul terme de loyer, le preneur sera tenu de plein droit et sans formalité […] au paiement d’un intérêt de retard […] au taux légal […] majoré de trois points ». La juridiction la qualifie d’emblée comme une clause pénale, dès lors qu’elle « détermine par avance l’indemnisation du bailleur causée par le comportement du preneur ».

L’article 1231-5 est alors mobilisé dans sa lettre: « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». En raison de cette possible modulation par le juge du fond, la demande de majoration est jugée sérieusement contestable au stade de l’incident. En conséquence, « la somme de 23.468,39 euros produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision », ce qui maintient l’accessoire dans un régime légal transitoire, sans trancher la validité ni le quantum définitifs de la pénalité.

B – Enseignements pratiques et portée procédurale

Plusieurs enseignements procéduraux se dégagent. D’abord, la charge de la preuve commande un décompte actualisé, à défaut duquel l’allocation est bornée au dernier état produit. La remarque selon laquelle « [n]éanmoins, force est de constater qu’elle ne produit aucun décompte actualisé à cette date » illustre l’exigence documentaire qui pèse sur le créancier en incident de provision. Ensuite, les demandes d’intérêts contractuels majorés se heurtent, devant le juge de l’incident, à l’écran de l’article 1231-5, ce qui incite à cantonner ces prétentions au débat de fond lorsque leur modération est en cause.

Enfin, le dispositif ménage la continuité du procès en réservant l’appréciation des frais irrépétibles et des dépens, et en rappelant l’exécution provisoire. La formule « la présente ordonnance est, de plein droit, exécutoire à titre provisoire » souligne l’effectivité immédiate de la provision, tandis que le renvoi à la mise en état garantit la poursuite du débat sur l’indexation et les pénalités. L’ordonnance concilie ainsi sécurité du créancier pour la part évidente de la dette et sauvegarde du contradictoire sur les griefs techniques restant à trancher.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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