Par un arrêt en date du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les modalités d’octroi de la décharge de solidarité fiscale entre ex-époux. En l’espèce, une contribuable, après son divorce, a été tenue solidairement avec son ancien conjoint au paiement de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu relatives à des revenus perçus durant leur union. L’administration fiscale lui réclamait à ce titre une somme conséquente. La contribuable a saisi la justice administrative afin d’être déchargée de cette obligation de paiement. Sa demande a été rejetée en première instance par le tribunal administratif de Marseille par un jugement du 30 septembre 2022. La requérante a alors interjeté appel de cette décision. Dans un premier temps, par un arrêt avant dire droit du 11 juillet 2024, la cour administrative d’appel a ordonné un supplément d’instruction pour obtenir les pièces nécessaires à l’évaluation de la situation financière et patrimoniale de l’appelante. Une fois ces éléments versés au dossier, le litige portait sur la question de savoir si un époux divorcé peut obtenir la décharge de son obligation solidaire de paiement de l’impôt sur le revenu et, dans l’affirmative, selon quelles modalités, lorsqu’il existe une disproportion marquée entre la dette fiscale et sa situation financière. La cour administrative d’appel de Marseille répond par l’affirmative, annulant le jugement de première instance. Elle juge qu’une disproportion marquée est bien caractérisée et que, par conséquent, la contribuable est fondée à obtenir une décharge de son obligation de paiement, dont le montant doit être calculé conformément aux règles fixées par l’article 1691 bis du code général des impôts.
La solution retenue par la cour administrative d’appel consacre une application rigoureuse du dispositif de décharge de solidarité fiscale, en s’attachant d’abord à la reconnaissance du droit à la décharge à travers une appréciation concrète de la situation du débiteur (I), pour ensuite en délimiter la portée par une ventilation précise des revenus servant de base au calcul (II).
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I. La consécration du droit à décharge par l’appréciation d’une situation financière dégradée
La cour administrative d’appel conditionne l’octroi de la décharge à l’existence d’une disproportion marquée entre la dette et la situation du demandeur (A), examinée à une date précise qui fige l’analyse des ressources (B).
A. La caractérisation d’une disproportion marquée
La juridiction d’appel procède à une analyse factuelle pour établir la disproportion requise par la loi. Elle met en balance une dette fiscale s’élevant à 695 944 euros avec la situation financière et patrimoniale de la requérante. La cour relève que cette dernière disposait de revenus salariaux modestes, s’élevant à 22 212 euros, tout en étant locataire de son logement et ayant un enfant à charge. Les juges du fond prennent soin d’écarter les éléments de patrimoine qui pourraient paraître significatifs mais qui se révèlent sans substance réelle, notant que les parts détenues dans des sociétés civiles immobilières étaient soit très minoritaires, soit relatives à des sociétés ne détenant aucun actif immobilier. En adoptant une telle démarche pragmatique, la cour affirme que l’appréciation de la situation financière doit dépasser une simple lecture formelle du patrimoine pour s’attacher à la capacité contributive réelle du demandeur. La disproportion est donc « marquée » non seulement par le montant absolu de la dette, mais surtout par l’impossibilité manifeste pour le débiteur d’y faire face avec ses moyens actuels.
B. La cristallisation de la situation à la date de la demande
L’arrêt applique avec rigueur le critère temporel posé par l’article 1691 bis du code général des impôts. La disproportion entre la dette et la situation du demandeur doit être appréciée « à la date de la demande » de décharge. En l’espèce, cette date est fixée au 13 janvier 2020. Ce jalon temporel est déterminant car il neutralise les éventuelles variations de fortune postérieures, qu’il s’agisse d’un enrichissement ou d’un appauvrissement. Le raisonnement de la cour souligne ainsi l’objectif du législateur : évaluer la situation d’un contribuable au moment où il sollicite la protection de la loi, et non au regard de sa situation passée, contemporaine de la naissance de la dette fiscale, ni de sa situation future, par nature incertaine. Cette approche protège l’ancien conjoint de bonne foi contre les conséquences d’une solidarité fiscale qui deviendrait une charge excessive et pérenne, en décalage complet avec sa situation personnelle après la rupture du lien conjugal. L’analyse se concentre sur la situation présente pour déterminer si le maintien de l’obligation de paiement constituerait une rigueur injustifiée.
Une fois le principe de la décharge admis au vu de la situation financière du demandeur, il appartient au juge d’en déterminer l’étendue exacte.
II. La détermination d’une décharge partielle par une ventilation des revenus
La cour administrative d’appel ne prononce pas une décharge totale mais en calcule le montant précis en opérant une distinction stricte entre les revenus personnels et les revenus communs (A), ce qui l’amène à statuer sur le sort des revenus d’origine indéterminée (B).
A. Le calcul de la décharge selon la nature des revenus
L’arrêt illustre le mécanisme de calcul de la décharge prévu au a) du 2 du II de l’article 1691 bis du code général des impôts. La décharge n’est pas laissée à la libre appréciation du juge mais résulte d’une formule légale précise. Elle est égale à la différence entre la cotisation totale du foyer fiscal et la part de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur, augmentée de la moitié des revenus communs. La cour identifie donc méticuleusement les revenus propres de la requérante, constitués de ses salaires et de revenus de capitaux mobiliers pour les années en cause. Ce faisant, elle réaffirme que la solidarité fiscale post-divorce ne saurait être absolue. Le dispositif vise à cantonner la responsabilité de l’ex-conjoint à la part de l’impôt qui correspond logiquement à sa propre contribution aux ressources du foyer et à sa part des ressources partagées, tout en le libérant de la charge afférente aux revenus propres de son ancien époux, auxquels il a pu être totalement étranger.
B. L’imputation des revenus d’origine indéterminée à la masse commune
Un apport significatif de la décision réside dans le traitement des « revenus d’origine indéterminée taxés d’office par l’administration ». Ces revenus, faute de déclaration par l’un ou l’autre des conjoints, auraient pu faire l’objet d’une qualification délicate. La cour administrative d’appel tranche en les réputant « être des revenus communs de Mme A… et de son ex-époux ». Cette solution apparaît protectrice pour la demanderesse. En qualifiant ces sommes de revenus communs, la cour ne fait peser sur elle que la moitié de la charge fiscale correspondante, conformément à la clé de répartition légale. Elle évite ainsi que la totalité de ces revenus, dont l’origine est par définition obscure, ne soit imputée à l’un ou l’autre des ex-conjoints et, en particulier, à la partie qui subit déjà le recouvrement. Cette qualification assure un partage équitable de la charge fiscale sur les sommes non attribuées, limitant ainsi la portée de la solidarité et renforçant la cohérence d’un dispositif dont la finalité est d’alléger le fardeau d’une dette née d’une vie commune révolue.