Cour d’appel administrative de Marseille, le 4 juillet 2025, n°25MA00291

Par un arrêt en date du 4 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a examiné les conditions de recevabilité du recours d’un syndicat de copropriétaires contre une décision municipale autorisant la conclusion d’un bail commercial. En l’espèce, le maire d’une commune avait autorisé par une décision la signature d’un bail commercial pour l’exploitation d’un établissement de restauration situé dans un immeuble appartenant à la commune. Un syndicat de copropriétaires d’un immeuble voisin a saisi le tribunal administratif en vue d’obtenir l’annulation de cette décision. Par un jugement du 7 janvier 2025, le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande, considérant que les conditions financières du bail constituaient une libéralité accordée par la commune à l’entreprise preneuse. La commune ainsi que la société cocontractante ont alors interjeté appel de ce jugement. La Cour administrative d’appel, soulevant d’office un moyen d’ordre public, a examiné la question de savoir si le syndicat de copropriétaires justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour agir. Le problème de droit posé à la Cour était donc de déterminer si un syndicat de copropriétaires dispose de l’intérêt nécessaire pour contester la légalité d’une décision administrative autorisant un bail commercial sur une propriété voisine, en se fondant sur des nuisances potentielles ou sur sa qualité de contribuable local. Par sa décision, la Cour administrative d’appel annule le jugement de première instance, jugeant que le syndicat de copropriétaires ne justifiait pas d’un intérêt à agir et rejette par conséquent sa demande comme irrecevable. Ainsi, la Cour opère une appréciation rigoureuse de l’intérêt à agir, condition de recevabilité de tout recours contentieux, en écartant les différents fondements invoqués par le syndicat (I), réaffirmant par là même une conception stricte de l’accès au juge administratif pour les tiers à un contrat (II).

I. L’appréciation restrictive de l’intérêt à agir du syndicat de copropriétaires

La Cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse méticuleuse des arguments soulevés par le syndicat pour justifier de son intérêt à agir. Elle écarte d’abord la perspective de troubles de voisinage, jugée trop hypothétique pour fonder un recours (A), avant de réfuter la qualité de contribuable local comme justification suffisante de l’action (B).

A. Le caractère éventuel des troubles de voisinage invoqués

Le syndicat de copropriétaires soutenait que l’exploitation future du fonds de commerce était susceptible d’engendrer des nuisances, notamment sonores, qui affecteraient les habitants de l’immeuble. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une jurisprudence constante qui exige un préjudice direct et certain. Elle rappelle qu’« un syndicat de copropriétaires n’a intérêt pour agir […] que lorsque les troubles allégués sont susceptibles d’affecter, par leur nature et leur intensité, de manière indivisible, les parties communes et les parties privatives de l’immeuble et présentent ainsi un caractère collectif ». Or, en l’espèce, les nuisances n’étaient, à la date de la décision attaquée, que « purement éventuelles ». La Cour distingue ainsi la décision de signer le bail, acte administratif contesté, de l’exercice futur de l’activité commerciale elle-même. Les troubles potentiels ne découlent pas de l’acte juridique de conclusion du bail mais de son exécution matérielle, qui pourra le cas échéant faire l’objet de recours distincts, notamment devant le juge judiciaire pour troubles anormaux de voisinage. Cette dissociation est classique et permet de contenir le contentieux de l’excès de pouvoir dans des limites strictes, en refusant de statuer sur des situations hypothétiques.

B. L’insuffisance de la qualité de contribuable local

Subsidiairement, le syndicat des copropriétaires invoquait sa qualité de contribuable local pour contester la prétendue libéralité que constituerait le bail consenti à des conditions financières avantageuses. Selon lui, cette perte de recettes pour la commune aurait des répercussions sur les finances locales. La Cour rappelle la règle selon laquelle un contribuable communal est recevable à attaquer une décision emportant des conséquences financières pour la collectivité, à condition que celles-ci soient d’une « importance suffisante ». Toutefois, elle rejette l’argument par une analyse pragmatique des faits. Elle relève que le bien était inoccupé depuis plusieurs années et ne générait aucune recette pour la commune. Par conséquent, la signature du nouveau bail, même avec une gratuité temporaire justifiée par des travaux, était « de nature à procurer à la commune, au contraire, de nouvelles recettes ». L’argument du syndicat est donc jugé paradoxal et inopérant, la décision attaquée n’ayant pas pour effet d’appauvrir la commune mais bien de lui assurer des revenus futurs. La Cour refuse ainsi de reconnaître un intérêt à agir sur un fondement financier qui apparaît manifestement infondé.

Après avoir méthodiquement invalidé les fondements de l’intérêt à agir du requérant, la Cour livre une décision dont la portée dépasse le simple cas d’espèce, en ce qu’elle clarifie les conditions d’accès au prétoire pour les tiers contestant un contrat public.

II. La portée de la décision : une réaffirmation de la stabilité contractuelle

En annulant le jugement de première instance pour un motif de recevabilité, sans même examiner le fond de l’affaire, la Cour administrative d’appel adresse un signal clair sur les conditions de contestation des contrats publics par les tiers (A). Cette solution, empreinte de pragmatisme, vise à garantir la sécurité juridique des relations contractuelles nouées par l’administration (B).

A. Le filtrage des recours des tiers aux contrats administratifs

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence issue de la décision du Conseil d’État « Département de Tarn-et-Garonne » de 2014, qui a ouvert aux tiers la possibilité de contester la validité même du contrat administratif, mais en encadrant cette faculté de manière stricte. En exigeant la preuve d’un intérêt à agir direct et certain, la jurisprudence prévient les recours dilatoires ou ceux fondés sur des préjudices trop généraux ou hypothétiques. La décision commentée est une application orthodoxe de ce principe. Elle rappelle que la qualité de voisin ou de contribuable ne confère pas un droit de recours universel contre toutes les décisions d’une administration. Le juge administratif opère un véritable filtrage, s’assurant que le requérant est bien lésé dans ses intérêts de manière suffisamment spéciale et directe par la décision qu’il attaque. En l’espèce, le syndicat n’est ni un concurrent évincé, ni un usager direct du service public concerné, et le préjudice qu’il allègue est soit éventuel, soit inexistant.

B. La primauté de la sécurité juridique et de la bonne administration

En refusant de laisser prospérer un recours jugé irrecevable, la Cour fait prévaloir un impératif de sécurité juridique. La conclusion de contrats par des personnes publiques serait en effet fragilisée si des tiers pouvaient aisément en obtenir l’annulation sur la base de griefs indirects ou potentiels. Le juge administratif assume ici un rôle de régulateur, qui vise à ne pas paralyser l’action administrative par des contentieux à l’issue incertaine. La solution est également pragmatique : elle renvoie implicitement le syndicat aux voies de droit appropriées si des nuisances avérées venaient à apparaître. En statuant ainsi, la Cour ne laisse pas les copropriétaires sans protection, mais les oriente vers le contentieux pertinent, celui du trouble anomale de voisinage devant le juge judiciaire, qui est le juge naturel de ce type de litige. La décision a donc une portée pédagogique en ce qu’elle réaffirme la juste place de chaque contentieux et contribue à la bonne administration de la justice en évitant l’instrumentalisation du recours pour excès de pouvoir à des fins qui lui sont étrangères.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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