Par un arrêt en date du 2 mai 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un permis de construire accordé par un maire pour l’édification d’un garage de dimensions importantes, contesté par des voisins immédiats. En l’espèce, des particuliers, propriétaires d’une parcelle jouxtant le terrain d’assiette du projet, ont saisi la justice administrative afin d’obtenir l’annulation de l’autorisation d’urbanisme initiale, ainsi que d’un premier permis modificatif. Les faits révèlent que la construction autorisée, un bâtiment de cent vingt mètres carrés destiné à un usage de garage, était implantée en limite de leur propriété. Le tribunal administratif, en première instance, a rejeté leur demande, les conduisant à interjeter appel. Au cours de la procédure d’appel, et suite à une initiative de la cour elle-même, un second permis de construire modificatif a été délivré par la commune afin de remédier à une insuffisance du dossier initial concernant la gestion des eaux pluviales. Les requérants persistaient à soutenir que le projet demeurait illégal sur plusieurs points, notamment quant à sa destination, sa compatibilité avec le règlement d’urbanisme local, la sécurité de ses accès et son insertion architecturale, tandis que la commune contestait leur intérêt même à agir. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer si la régularisation d’un permis de construire en cours d’instance, par la délivrance d’un permis modificatif, pouvait purger l’autorisation d’urbanisme de ses vices initiaux et la rendre inattaquable, alors même que l’intérêt à agir des requérants était établi en raison de l’impact direct du projet sur la jouissance de leur bien. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, en rejetant la requête. Tout en reconnaissant la recevabilité de l’action des voisins, elle valide la légalité du projet suite à sa dernière modification, considérant que celle-ci a corrigé les défauts soulevés et que les autres moyens d’illégalité ne sont pas fondés.
L’analyse de la décision révèle une dualité dans le raisonnement du juge, qui consacre d’une part une conception souple de l’intérêt à agir des voisins, tout en rendant ce dernier inopérant face à la puissance du mécanisme de régularisation. Il convient ainsi d’étudier la reconnaissance d’une recevabilité finalement théorique pour les requérants (I), avant d’examiner la confirmation de la validité du permis par l’effet d’une régularisation étendue (II).
I. Une recevabilité du recours admise mais privée d’effectivité
La cour examine en premier lieu la fin de non-recevoir soulevée par la commune, ce qui la conduit à appliquer les critères de l’intérêt à agir du voisin (A), pour finalement conclure à une légalité du projet qui vide cette recevabilité de sa portée pratique (B).
A. L’application des critères d’appréciation de l’intérêt à agir du voisin immédiat
La cour administrative d’appel rappelle la règle posée par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui exige d’un requérant particulier qu’il établisse que le projet est « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ». Pour ce faire, le juge se livre à une appréciation concrète des éléments fournis par les parties. En l’espèce, la qualité de voisins immédiats des requérants est le point de départ de l’analyse, mais elle n’est pas suffisante en soi. La cour s’attache à vérifier l’existence d’une atteinte spécifique en examinant « la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».
Elle retient plusieurs éléments factuels décisifs pour fonder l’intérêt à agir. La construction projetée est un bâtiment de dimensions conséquentes, avec « une longueur de 20 mètres, d’une largeur de 6 mètres et d’une hauteur au faîtage de 5,20 mètres ». De plus, sa localisation est particulièrement préjudiciable aux requérants, puisqu’elle est « implantée en limite séparative de la propriété » des appelants. La cour note que cette implantation aura pour conséquence directe d’obstruer la vue dont ils bénéficiaient jusqu’alors. C’est donc la combinaison de la proximité immédiate, des dimensions importantes et de l’impact visuel direct qui conduit le juge à reconnaître l’intérêt donnant qualité pour agir aux requérants, écartant ainsi la contestation de la commune.
B. Une qualité pour agir rendue inopérante face à la légalité confirmée du projet
Si la reconnaissance de l’intérêt à agir constitue une victoire de principe pour les requérants, elle s’avère sans conséquence sur l’issue du litige. La cour, après avoir franchi cette étape procédurale, se livre à un examen au fond de chaque moyen de légalité soulevé. Or, elle écarte méthodiquement l’ensemble des arguments développés par les appelants. Qu’il s’agisse de la destination du bâtiment, de la sécurité de ses accès, de son implantation ou de son intégration paysagère, le juge considère que le permis de construire, tel que modifié, respecte les dispositions du plan local d’urbanisme et du code de l’urbanisme.
Cette situation illustre une tendance du contentieux de l’urbanisme où la recevabilité du recours, bien que fondée, ne préjuge en rien de son succès. L’intérêt à agir ouvre la porte du prétoire mais ne garantit pas l’annulation de l’acte contesté. Le juge, une fois la recevabilité admise, opère un contrôle de légalité strict et distinct. En l’espèce, la validation complète du projet sur le fond rend la qualité à agir des requérants purement théorique, leur droit au recours s’épuisant dans l’examen de moyens jugés non fondés. La solution met en lumière la distinction nette entre le droit de contester et les chances de succès de la contestation.
La cour, après avoir validé le droit d’agir des voisins, se penche sur la substance du permis de construire, en consacrant notamment la portée d’une régularisation intervenue en cours de procédure.
II. La légalisation du permis de construire par un recours extensif à la régularisation
La force de la décision réside dans sa mise en œuvre pragmatique du mécanisme de régularisation, qui permet de purger le permis de ses vices initiaux. La cour valide ainsi la neutralisation d’un vice de forme majeur (A) avant de confirmer la conformité des aspects substantiels du projet aux règles d’urbanisme (B).
A. La neutralisation du vice de forme par un permis modificatif en cours d’instance
Le point le plus saillant de l’arrêt concerne la gestion des eaux pluviales. Le dossier de demande initial était lacunaire sur ce point, en violation de l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme. La cour note que même un premier permis modificatif n’avait pas suffi à combler cette lacune. C’est la cour elle-même qui, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, a informé les parties qu’elle était susceptible de surseoir à statuer pour permettre la régularisation de ce vice. En réponse, l’autorité compétente a délivré un second permis modificatif, accompagné cette fois de pièces détaillées décrivant précisément le dispositif d’assainissement privé, à savoir un puits perdu.
La cour constate que ce dernier permis modificatif, délivré en cours d’instance d’appel, contient des éléments suffisamment précis pour satisfaire aux exigences réglementaires. Elle en déduit que « les irrégularités ainsi régularisées (…) ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial ». Cette solution illustre la volonté du législateur et du juge de ne pas annuler une autorisation d’urbanisme pour un vice régularisable. Le mécanisme permet de sauver l’acte, d’éviter la reprise de toute la procédure et de garantir la sécurité juridique du pétitionnaire, tout en assurant le respect final de la règle de droit.
B. La validation des caractéristiques substantielles du projet au regard des règles d’urbanisme
Au-delà de la régularisation formelle, la cour procède à une analyse détaillée des autres critiques adressées au projet. Concernant sa destination, elle écarte l’argument selon lequel il s’agirait d’un entrepôt incompatible avec la zone d’habitat. Elle retient la qualification de local accessoire à l’habitation, en se fondant sur l’usage déclaré de « remisage des véhicules de loisirs », l’implantation sur la même unité foncière et les liens fonctionnels avec la maison principale. L’erreur matérielle sur le formulaire initial est ainsi considérée comme rectifiée et sans incidence sur la nature réelle du projet.
De même, la cour écarte les moyens tirés de la violation des règles relatives à l’insertion du projet dans son environnement. Elle juge que le bâtiment, « par sa forme simple ainsi que par la nature des matériaux et la teinte choisis », ne porte pas atteinte au caractère des lieux avoisinants, malgré la proximité d’une église et de constructions anciennes. Le juge administratif exerce ici son pouvoir d’appréciation pour conclure que le projet s’insère de manière harmonieuse dans son contexte. Enfin, les arguments relatifs à la sécurité de l’accès et aux risques liés à la gestion des eaux sont également jugés non fondés, la cour estimant que les pièces du dossier ne démontrent aucune atteinte avérée à la sécurité ou à la salubrité publique.