Tribunal judiciaire de Évreux, le 18 juin 2025, n°25/00175

Par ordonnance de référé rendue le 18 juin 2025 par le président du tribunal judiciaire d’Évreux (RG 25/00175), une demande d’extension d’expertise a été rejetée. L’affaire naît d’achats successifs d’un véhicule et d’une avarie moteur révélée peu après la revente au sous-acquéreur.

Le premier vendeur cède en décembre 2021 un camping-car, revendu en juillet 2022 au sous-acquéreur, chez qui survient une avarie importante. Un expert judiciaire, désigné le 31 mai 2023, relève dans un pré‑rapport que « l’avarie moteur est due à la fissure d’une soupape » et « n’était pas décelable au moment de l’achat ».

En avril 2025, les vendeurs intermédiaires assignent le premier vendeur pour rendre communes les opérations et obtenir l’extension de l’expertise. Le défendeur conteste tout motif légitime, invoque la prescription au regard d’une mise en demeure du 22 février 2023 et l’entretien régulier antérieur.

La question portait sur les conditions de l’article 145 du code de procédure civile et sur la viabilité d’une action en garantie contre le premier vendeur. Le président retient l’absence de motif légitime, considère que seul le terrain des vices cachés demeure, et juge l’action « manifestement vouée à l’échec ».

I. Le motif légitime au sens de l’article 145 et son application à l’extension sollicitée

A. Les exigences du texte et leur finalité probatoire

Le juge rappelle le cadre légal en ces termes, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. » Il précise que « la même exigence s’applique à l’extension d’une expertise en cours à une autre partie. »

La motivation précise la notion opératoire : « Le motif légitime est un fait crédible et plausible ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui. » Et d’ajouter, de manière téléologique, « Elle doit être pertinente et utile. » L’ordonnance lie ainsi l’accès à la mesure à l’absence d’inanité de l’action éventuelle, selon une logique de filtre probatoire.

B. L’identification du fondement utile à l’égard du premier vendeur

Appliquant ce cadre, le juge s’appuie sur le pré‑rapport pour constater que le défaut était « le désordre était « en germe » au moment de la cession ». Faute d’indices de faute distincte imputable au premier vendeur, l’ordonnance retient que « seul le fondement des dispositions de l’article 1648 du code civil paraît pouvoir être retenu à l’égard de celui‑ci. »

Ce tri des fondements recentre utilement le débat sur la garantie des vices cachés, adaptée aux chaînes translatives. Il écarte, en l’état, d’autres actions dont l’assise factuelle n’est pas établie, ce qui est cohérent avec l’économie d’une mesure in futurum. Reste alors la question de la recevabilité temporelle de ce fondement, déterminante pour apprécier l’utilité de l’extension.

II. Le filtre de la prescription de l’action en garantie et la portée relative de la suspension

A. La « découverte du vice » comme point de départ du délai biennal

Le juge rappelle le délai applicable : « Ces dispositions prévoient que l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ». Il retient comme date de découverte une mise en demeure du 22 février 2023 mentionnant une expertise amiable concluant au caractère antérieur du défaut.

Cette approche s’inscrit dans une conception matérielle de la découverte, entendue comme connaissance suffisante de la nature et de l’ampleur du vice. Une telle lettre, articulant un diagnostic technique circonstancié, peut fixer ce point de départ avec une sécurité probatoire acceptable. La thèse d’une découverte différée au pré‑rapport judiciaire de mars 2025 se heurte ainsi à la cohérence du régime.

B. La suspension liée à l’expertise judiciaire et sa relativité aux seules parties

L’ordonnance ajoute une précision décisive sur l’effet interruptif ou suspensif des mesures d’instruction : « la suspension de la prescription durant les opérations d’expertise est relative et ne s’applique qu’aux actions entre les parties à l’expertise. » Cette formulation circonscrit l’incidence temporelle de l’expertise aux seuls protagonistes de la mesure ordonnée.

Dès lors, le premier vendeur, non attrait à l’expertise de 2023, ne bénéficie d’aucune suspension à l’égard des vendeurs intermédiaires. L’extension, sollicitée seulement en 2025, ne saurait rétroagir pour neutraliser le délai déjà écoulé. La mesure probatoire ne pouvant améliorer utilement la situation procédurale, l’ordonnance conclut qu’une action en garantie des vices cachés est « manifestement vouée à l’échec ».

Ce raisonnement articule avec rigueur la finalité probatoire de l’article 145 et l’exigence de viabilité de l’action sous‑jacente. Il souligne aussi l’enjeu stratégique d’une mise en cause précoce de tous les maillons de la chaîne translative, afin d’adosser la mesure aux effets temporels utiles et d’éviter l’irréversibilité d’une forclusion biennale.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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