Par un arrêt en date du 11 octobre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une demande de décision préjudicielle par la Cour de cassation française, s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec les principes de la libre circulation des capitaux.
En l’espèce, une société holding de droit luxembourgeois, propriétaire de plusieurs immeubles en France, s’est vue assujettie à une taxe annuelle de 3 % sur la valeur vénale de ces biens. La législation française prévoyait une exonération de cette taxe pour les sociétés établies en France, ainsi que pour celles situées dans un pays lié à la France par une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude fiscale. Or, un accord bilatéral entre la France et le Luxembourg excluait spécifiquement les sociétés holding luxembourgeoises du champ de l’échange d’informations. L’administration fiscale française a donc refusé à la société l’exonération sollicitée. Saisie du litige, la société a vu ses demandes rejetées successivement par le tribunal de grande instance de Paris le 28 octobre 1999, puis par la cour d’appel de Paris le 5 juillet 2001. Un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation, qui a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si l’article 73 B du traité CE (devenu l’article 56 CE) s’opposait à une législation nationale qui subordonne l’exonération d’une taxe immobilière pour une société non-résidente à l’existence d’une convention d’assistance administrative, sans lui permettre d’apporter elle-même la preuve de l’absence d’intention frauduleuse.
La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant qu’une telle législation instaure une restriction à la libre circulation des capitaux. Elle estime que si la lutte contre la fraude fiscale constitue une raison impérieuse d’intérêt général pouvant justifier une restriction, la mesure en cause est disproportionnée. En effet, elle instaure une présomption irréfragable de fraude à l’égard de certaines sociétés non-résidentes en les privant de toute possibilité de démontrer la transparence de leur actionnariat.
L’arrêt permet ainsi de clarifier la portée du contrôle exercé par la Cour sur les dispositifs fiscaux nationaux au regard des libertés de circulation. La Cour commence par qualifier la mesure litigieuse comme une entrave discriminatoire à la circulation des capitaux (I), avant d’opérer un contrôle strict de la proportionnalité de la justification avancée par l’État membre (II).
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I. La qualification d’une entrave discriminatoire à la libre circulation des capitaux
L’analyse de la Cour s’articule en deux temps. Elle identifie d’abord le cadre juridique applicable à la taxe litigieuse au regard du droit communautaire (A), pour ensuite caractériser l’existence d’une restriction injustifiée fondée sur le lieu d’établissement des sociétés (B).
A. La double inclusion de la taxe dans le champ du droit communautaire
La Cour procède à une double qualification de la taxe en cause. Premièrement, elle la rattache au champ d’application de la directive 77/799/CEE sur l’assistance mutuelle en matière fiscale. Elle juge que la taxe sur la valeur vénale des immeubles, bien que non explicitement listée, « constitue une taxe de nature analogue à celle des impôts visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive […], qui est perçue sur des éléments de la fortune au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive ». Cette interprétation large confirme le caractère non exhaustif de l’énumération contenue dans la directive et ancre le litige dans un contexte de coopération fiscale européenne.
Deuxièmement, la Cour détermine que la situation relève principalement de la libre circulation des capitaux, prévue à l’article 73 B du traité, plutôt que de la liberté d’établissement. Elle rappelle que les investissements immobiliers effectués par des non-résidents constituent des mouvements de capitaux. En l’absence d’éléments prouvant une gestion active et une présence permanente, la simple détention de biens immobiliers ne suffit pas à caractériser un établissement. Ce choix de la liberté de circulation des capitaux est déterminant car il étend la protection du traité à des investissements passifs.
B. La caractérisation d’une restriction fondée sur le siège de la société
La Cour met en évidence la différence de traitement instaurée par la législation française. Les sociétés établies en France peuvent obtenir l’exonération en communiquant directement à l’administration fiscale les informations sur leurs actionnaires. En revanche, les sociétés établies dans un autre État membre, comme le Luxembourg en l’espèce, ne peuvent en bénéficier que si cet État est lié à la France par une convention d’assistance administrative applicable.
Cette condition supplémentaire, qui dépend de la seule volonté des États et non du comportement du contribuable, crée une restriction manifeste. La Cour souligne que ce mécanisme « rend l’investissement immobilier en France moins attrayant pour les sociétés non-résidentes ». En subordonnant l’avantage fiscal à un critère externe et aléatoire pour la société, la législation française décourage les investissements transfrontaliers, ce qui contrevient directement à l’objectif de l’article 73 B du traité. La restriction étant ainsi établie, il restait à la Cour d’en examiner la justification éventuelle.
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II. Le contrôle rigoureux de la proportionnalité de la mesure anti-fraude
Après avoir reconnu la légitimité de l’objectif poursuivi par l’État français (A), la Cour censure néanmoins le dispositif pour son caractère disproportionné, car il instaure une présomption irréfragable de fraude (B).
A. La reconnaissance de la légitimité de la lutte contre l’évasion fiscale
La Cour admet sans difficulté que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction aux libertés fondamentales. Elle reconnaît la pertinence de l’objectif du gouvernement français, qui vise à empêcher que des personnes physiques assujetties à l’impôt sur la fortune en France ne s’y soustraient en interposant des sociétés écrans établies à l’étranger.
La Cour valide le principe selon lequel un État membre peut chercher à s’assurer de l’identité des bénéficiaires effectifs de biens immobiliers situés sur son territoire. L’exigence de transparence pour l’octroi d’un avantage fiscal est donc considérée comme un moyen approprié pour atteindre cet objectif. La légitimité de la finalité de la taxe n’est donc pas remise en cause, mais la Cour déplace son analyse sur les modalités de sa mise en œuvre.
B. La censure d’un mécanisme instaurant une présomption irréfragable de fraude
C’est sur le terrain de la proportionnalité que la législation française est jugée incompatible avec le droit communautaire. La Cour rappelle qu’une mesure restrictive ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé. Or, le dispositif français instaure une présomption générale et irréfragable de fraude pour toute société non-résidente dont le pays d’établissement n’a pas conclu la convention requise.
La Cour juge qu’une telle approche est excessive. Elle souligne que rien n’empêche les autorités fiscales nationales « d’exiger du contribuable les preuves qu’elles jugent nécessaires pour l’établissement correct des impôts et taxes concernés ». En l’espèce, la législation française « ne permet pas à la société établie dans un autre État membre de fournir des éléments de preuve permettant d’établir l’identité de ses actionnaires personnes physiques ». Ce refus catégorique de prendre en compte les preuves que le contribuable pourrait fournir pour démontrer sa bonne foi et la transparence de sa structure constitue la faille décisive du système. Par cette décision, la Cour réaffirme avec force qu’un objectif de lutte contre la fraude, aussi légitime soit-il, ne saurait justifier de priver un contribuable de son droit de prouver qu’il ne participe à aucun montage artificiel.