Cour de justice de l’Union européenne, le 15 juin 2006, n°C-264/04

Par un arrêt en date du 15 juin 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation de la directive 69/335/CEE relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une société coopérative avait absorbé une autre coopérative par voie de fusion, entraînant de ce fait un transfert de patrimoine immobilier. Cette opération a nécessité une rectification de l’inscription du propriétaire au registre foncier. Pour cette formalité, une taxe a été réclamée à la société absorbante, calculée sur la base de la valeur des biens immobiliers transférés. La société a contesté cette taxation, soutenant qu’elle était contraire à la directive. Saisie du litige, la juridiction allemande a adressé à la Cour une demande de décision préjudicielle. La question de droit posée consistait essentiellement à déterminer si une taxe perçue pour la rectification d’une inscription au registre foncier, consécutive à une opération de fusion-absorption, relevait de l’interdiction générale de taxation des formalités liées à la vie des sociétés prévue par l’article 10, sous c), de la directive. Il s’agissait également de savoir si une telle taxe pouvait néanmoins être considérée comme un droit de mutation autorisé à titre dérogatoire par l’article 12 de cette même directive. La Cour a jugé qu’une telle taxe relève en principe de l’interdiction, mais peut être admise en tant que droit de mutation, à la condition qu’elle ne soit pas supérieure aux taxes applicables aux opérations similaires dans l’État membre concerné, vérification qui incombe à la juridiction nationale.

I. L’assujettissement de la taxe de rectification foncière à l’interdiction de principe de la directive

La Cour de justice commence son raisonnement par rattacher la taxe litigieuse au champ d’application de l’interdiction générale posée par la directive. Elle considère que la rectification au registre foncier est bien une formalité imposée en raison de la forme juridique de la société (A) et que cette formalité, bien que non strictement initiale, est une condition nécessaire à la poursuite de son activité (B).

A. Une formalité imposée en raison de la forme juridique de la société

L’article 10, sous c), de la directive 69/335/CEE prohibe la perception d’impositions pour toute formalité à laquelle une société peut être soumise « en raison de sa forme juridique ». La Cour examine si la rectification au registre foncier remplit cette condition. Elle constate que l’opération à l’origine de la formalité, une fusion-absorption, est une opération propre aux personnes morales. Le transfert des biens immobiliers d’une entité à l’autre est une conséquence directe de cette fusion. Ainsi, la mise à jour du registre foncier qui en découle est indissociable de l’opération de restructuration sociétaire. La Cour en conclut que « la rectification est donc bien une formalité à laquelle la société est soumise en raison de sa forme juridique ». Le critère de déclenchement de la taxation n’est pas un événement neutre, mais un acte spécifique à la vie d’une personne morale, justifiant l’application du principe d’interdiction.

B. Une condition nécessaire à la poursuite de l’activité sociale

L’interdiction de l’article 10, sous c), vise les formalités « préalables à l’exercice d’une activité ». La Cour adopte une lecture extensive de cette notion. Elle ne se limite pas aux formalités strictement nécessaires à la constitution ou à l’immatriculation initiale de la société. Elle étend la portée de l’interdiction à des formalités qui, sans être préalables à l’existence même de la société, conditionnent la continuation de son activité. Se référant à sa jurisprudence constante, elle rappelle qu’il convient de « déterminer si une rectification au registre foncier, sans constituer formellement une procédure préalable à l’exercice de l’activité de la personne morale concernée, n’en conditionne pas moins l’exercice et la poursuite de cette activité ». Dans la mesure où le droit national impose obligatoirement la rectification au registre foncier pour rendre le transfert de propriété effectif et opposable, cette formalité devient une condition essentielle pour que la société absorbante puisse jouir des actifs acquis et poursuivre son activité économique avec son patrimoine consolidé.

II. La qualification dérogatoire de la taxe en droit de mutation sous conditions

Après avoir établi que la taxe relevait en principe de l’interdiction, la Cour examine si elle peut être sauvée par l’une des dérogations prévues par la directive. Elle admet que la taxe peut être qualifiée de droit de mutation (A), mais soumet cette qualification au respect strict du principe de non-discrimination, dont le contrôle est renvoyé au juge national (B).

A. Une imposition objectivement liée au transfert de propriété

L’article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive autorise les États membres à percevoir des « droits de mutation » sur l’apport de biens immeubles à une société. La Cour analyse si la taxe en cause peut recevoir cette qualification. Elle note que la taxe litigieuse n’est pas un simple droit administratif forfaitaire, mais qu’elle est calculée en proportion de la valeur des biens immobiliers transférés. Ce mode de calcul démontre, selon elle, que la taxe « est objectivement liée au transfert de la propriété des biens immobiliers ». Elle ne frappe pas la fusion en tant que telle, mais bien la mutation de propriété qui en résulte. Cette caractéristique essentielle permet de la distinguer des taxes purement formelles interdites par l’article 10 pour la faire entrer dans la catégorie des droits de mutation autorisés par l’article 12, qui visent précisément la circulation des biens.

B. Le respect nécessaire du principe de non-supériorité du taux d’imposition

La qualification de droit de mutation n’est cependant pas suffisante pour valider définitivement la taxe. L’article 12, paragraphe 2, de la directive pose une condition supplémentaire : ces droits ne peuvent être supérieurs à ceux qui sont applicables aux « opérations similaires » dans l’État membre d’imposition. La juridiction de renvoi avait soulevé une possible discrimination par rapport aux successions, pour lesquelles la rectification était exonérée de taxe sous certaines conditions. La Cour écarte cette comparaison, jugeant que le transfert de biens par succession ne constitue pas une opération similaire à un transfert résultant de la fusion de deux opérateurs économiques. Toutefois, elle ne tranche pas elle-même la question de la conformité. Elle renvoie cette tâche au juge national, affirmant qu’« il appartient à la juridiction nationale de vérifier si cette taxe est conforme aux dispositions de l’article 12, paragraphe 2, de la directive ». Cette dernière étape met en lumière la répartition des rôles entre la Cour de justice et les juridictions nationales, ces dernières étant chargées d’apprécier les faits et le droit interne à la lumière de l’interprétation fournie.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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