Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juin 2010, n°C-491/08

Par l’arrêt soumis à l’analyse, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les obligations incombant à un État membre en matière de conservation des habitats naturels, spécifiquement dans le contexte d’un projet immobilier affectant un site d’importance communautaire. En l’espèce, un projet de complexe touristique et immobilier a été initié sur un territoire que les autorités nationales avaient proposé pour être inclus dans le réseau écologique Natura 2000. Les travaux ont débuté avant même l’inscription formelle du site sur la liste des sites d’importance communautaire par la Commission européenne et se sont poursuivis par la suite.

Saisie par la Commission, la Cour a été amenée à examiner si l’État membre concerné avait manqué à ses obligations de protection, tant avant qu’après l’inscription officielle du site. L’État membre soutenait s’être acquitté de ses obligations en adoptant, postérieurement à l’engagement des travaux, un plan de gestion et en prévoyant une modification du projet initial pour garantir le respect des exigences environnementales. La question de droit qui se posait était donc de déterminer l’étendue des mesures de protection requises pour un site simplement proposé à la classification, puis la nature des obligations applicables une fois le site formellement inscrit, notamment au regard de la poursuite de travaux potentiellement dommageables.

La Cour de justice constate un double manquement de l’État membre. Elle juge d’une part que, même avant l’inscription formelle, l’État aurait dû prendre des mesures pour sauvegarder l’intérêt écologique du site. D’autre part, après l’inscription, il n’a pas adopté les mesures appropriées pour éviter la détérioration des habitats. La décision structure ainsi la responsabilité de l’État en fonction de deux temporalités distinctes, appliquant un régime de protection préventif avant la reconnaissance communautaire du site (I), puis un régime de conservation strict une fois cette reconnaissance acquise (II).

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I. La consécration d’une protection anticipée du site proposé

La Cour affirme que les obligations de protection d’un site naturel ne naissent pas seulement à compter de son inscription formelle sur la liste des sites d’importance communautaire. Elle retient une approche préventive qui impose à l’État membre d’agir en amont (A), dont le non-respect est caractérisé par une inaction face à un projet manifestement préjudiciable (B).

A. L’affirmation d’une obligation de sauvegarde préventive

La décision rappelle avec force que la simple proposition d’un site pour son intégration au réseau Natura 2000 lui confère un statut protecteur. S’appuyant sur une jurisprudence antérieure, la Cour énonce que pour de tels sites, « les États membres sont, en vertu de la directive «habitats», tenus de prendre des mesures de protection propres, au regard de l’objectif de conservation visé par cette directive, à sauvegarder l’intérêt écologique pertinent que ces sites revêtent au niveau national ». Cette obligation d’anticipation vise à garantir que l’objectif de la directive ne soit pas vidé de sa substance avant même que la procédure de classement n’arrive à son terme.

Le raisonnement de la Cour établit qu’il est interdit aux autorités nationales d’autoriser des interventions qui « risquent de compromettre sérieusement les caractéristiques écologiques desdits sites ». Il ne s’agit pas d’une interdiction absolue de tout projet, mais d’une obligation de vigilance renforcée. L’État doit s’opposer à toute initiative qui, par son ampleur ou sa nature, porterait une atteinte significative à la valeur écologique justifiant la proposition du site. La protection est donc graduelle, mais elle existe dès la phase préliminaire de sélection nationale, conférant une portée utile au processus de désignation.

B. La caractérisation du manquement par l’inaction de l’État

En l’espèce, la Cour ne se contente pas d’affirmer un principe, elle en vérifie l’application concrète. Elle constate que le projet immobilier litigieux concernait précisément des zones qui « garantissent la connexion écologique entre les deux zones de pinèdes les plus importantes du site ». L’enjeu n’était donc pas mineur, mais touchait à la cohérence écologique même du site. Le manquement de l’État est d’autant plus manifeste que ses propres autorités avaient elles-mêmes reconnu la nécessité de maintenir un « couloir écologique » et admis que le projet initial entraînait un « impact excessif sur le système des habitats concernés ».

Pourtant, malgré cette prise de conscience, les travaux ont débuté et se sont poursuivis. La Cour relève que l’État membre « n’a pas interdit une intervention susceptible de compromettre sérieusement les caractéristiques écologiques de ce site ». L’engagement de procéder à une révision future du projet n’est pas jugé suffisant pour écarter le manquement. La faute de l’État réside dans son incapacité à agir de manière préventive et décisive, laissant se développer un projet dont la nocivité pour l’environnement était avérée par ses propres services.

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Une fois le site officiellement intégré à la liste communautaire, le régime de protection change de nature et se durcit. L’analyse du manquement se déplace alors sur le terrain de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », révélant la rigueur des obligations qui en découlent.

II. La rigueur du régime de protection après l’inscription du site

Avec l’inscription du site le 19 juillet 2006, un régime de protection renforcé devient applicable. La Cour rappelle l’existence d’une obligation stricte de non-détérioration (A) et juge que les mesures de régularisation proposées par l’État membre ne peuvent effacer le manquement déjà constitué (B).

A. L’application d’une obligation de non-détérioration

La Cour rappelle que dès son inscription sur la liste des sites d’importance communautaire, un site bénéficie du régime de protection prévu à l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4 de la directive « habitats ». Le paragraphe 2 impose notamment aux États membres de prendre les mesures appropriées « pour éviter la détérioration des habitats naturels […] pour lesquels lesdits [sites] ont été désignés ». Cette obligation est une obligation de résultat qui commande d’empêcher toute dégradation significative.

Or, la Cour constate que les travaux du complexe immobilier se sont poursuivis après l’inscription du site, et ce « sur la base du projet de complexe touristique et immobilier originaire ». La simple continuation d’un projet dont l’impact négatif avait été reconnu par les autorités nationales elles-mêmes constitue une violation de cette obligation de non-détérioration. En ne suspendant pas ou en ne modifiant pas immédiatement les travaux, l’État a failli à son devoir de protection active des habitats pour lesquels le site venait d’être officiellement reconnu.

B. L’inefficacité des mesures de régularisation tardives

Face à l’action de la Commission, l’État membre a fait valoir l’adoption ultérieure d’un plan de gestion provisoire. Cependant, la Cour écarte cet argument en se fondant sur une règle temporelle constante dans le contentieux du manquement. Elle rappelle que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Les mesures correctrices adoptées après l’expiration de ce délai ne peuvent être prises en compte pour juger du bien-fondé du recours.

Cette position stricte est fondamentale pour garantir l’effectivité de la procédure en manquement. Elle empêche un État membre de se conformer à ses obligations avec un retard excessif et seulement sous la pression d’une condamnation imminente. En jugeant que le plan de gestion, à supposer même qu’il soit approprié, a été approuvé tardivement, la Cour confirme que la violation du droit de l’Union est consommée au moment où l’État n’agit pas dans les délais impartis. La régularisation a posteriori ne saurait effacer rétroactivement la défaillance initiale.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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