Cour d’appel de Paris, le 9 juillet 2025, n°23/10786
Par un arrêt du 9 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris tranche un litige né d’une relation commerciale trentenaire entre un fournisseur d’articles de prêt‑à‑porter et une centrale d’achat non alimentaire. Après notification, le 26 juin 2018, d’un préavis de vingt‑quatre mois et l’engagement, le 25 octobre 2018, d’un maintien d’un chiffre d’affaires annuel de 4,8 millions d’euros, un désaccord s’est élevé sur l’exécution effective dudit préavis. Le fournisseur, placé en procédure collective, invoquait un chiffre d’affaires insuffisant et réclamait une indemnisation de perte de marge.
Les faits utiles tiennent à la datation des commandes de la collection Automne‑Hiver 2018. Le fournisseur soutenait que des courriels des 14 et 15 juin 2018 emportaient commande ferme, antérieurement à la rupture. L’acheteur soutenait au contraire que les commandes pertinentes avaient été valablement passées, via son système dématérialisé, les 27 et 28 juin puis le 17 juillet 2018, postérieurement à la notification. Trois autres collections avaient, sans contestation, été commandées durant le préavis.
La procédure a connu une première décision du tribunal de commerce de Paris, le 22 mai 2023, déboutant le fournisseur. Appel a été interjeté. Devant la Cour d’appel, le fournisseur, pris en la personne de son liquidateur, demandait réparation sur le fondement de l’article L. 442‑6, I, 5°, du code de commerce dans sa version antérieure, tandis que l’acheteur sollicitait confirmation, ainsi qu’une indemnité de procédure.
La question de droit portait sur l’exécution effective du préavis au sens du texte précité, appréciée au regard du maintien des conditions antérieures et du volume d’affaires garanti. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les commandes Automne‑Hiver 2018 devaient être intégrées au chiffre d’affaires de la période, au vu de leur date et de leur formalisme.
La Cour confirme le jugement. Elle rappelle d’abord que « Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle‑même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. » Elle souligne ensuite l’exigence de continuité: « En outre, l’exécution effective du préavis suppose, pendant toute sa durée, le maintien des conditions antérieures, les modifications apportées à la relation ne devant de ce fait, pas être substantielles (…). » Elle relève enfin que la lettre de rupture fixait clairement la période: « La date d’envoi du présent courrier tient lieu de point de départ de cette période de préavis. Le Préavis qui vous est donc ainsi accordé est d’environ 24 mois. » Constatant que les commandes Automne‑Hiver 2018 pertinentes ont été passées après le 26 juin 2018 via le système dématérialisé contractuel, la Cour retient un chiffre d’affaires total d’environ 9,7 millions d’euros, conforme à l’engagement de maintien.
I. Le sens de la décision: l’exécution effective du préavis garanti
A. La constance du principe de maintien des conditions
La Cour situe sa motivation dans la lignée du contrôle de la brutalité de la rupture, limité à l’absence ou l’insuffisance du préavis. Elle précise le contenu de l’exécution effective, en consacrant la continuité des conditions antérieures pendant toute la période. L’arrêt cite de manière explicite la doctrine prétorienne récente: « En outre, l’exécution effective du préavis suppose, pendant toute sa durée, le maintien des conditions antérieures (…) (en ce sens: Cass. com., 7 sept. 2022, n° 21‑12.704). » Cette formulation, claire et resserrée, recentre le débat sur le fait générateur du grief allégué: la consistance économique du préavis, mesurée par le maintien des volumes usuels.
Le raisonnement s’adosse ensuite à la lettre de rupture, dont la clarté chronologique emporte des conséquences probatoires nettes. La Cour relève que la rupture s’inscrivait « après les livraisons des collections Printemps‑Été 2020 », et que le préavis débutait au jour d’envoi. En retenant l’extrait: « La date d’envoi du présent courrier tient lieu de point de départ (…) », elle verrouille le cadre temporel du calcul. Le préavis devient un segment fermé, au sein duquel il convient de vérifier la continuité opérationnelle et le volume d’affaires.
B. La qualification des commandes automne‑hiver 2018 et la preuve du formalisme
Le cœur du litige réside dans la datation et la qualification des commandes Automne‑Hiver 2018. La Cour constate que les échanges des 14 et 15 juin 2018 comportaient des incertitudes matérielles, relevées par elle: mentions « TBC », compositions incertaines, volumes « potentiels ». L’instance souligne, en termes précis, l’insuffisance des preuves du fournisseur quant à un lancement de fabrication antérieur. Cette approche, centrée sur les éléments objectifs, évite tout formalisme excessif et privilégie la réalité contractuelle.
La Cour accorde une valeur déterminante au cadre contractuel de passation. Elle rappelle qu’« il est mentionné à l’article 2.1 des conditions générales (…) que les commandes doivent être passées prioritairement via le système dématérialisé (…) et “exceptionnellement selon d’autres formes en usage en matière commerciale” ». Cette clause, citée, confère au flux dématérialisé une présomption d’exhaustivité et de fiabilité. Les « précommandes » du 27 et du 28 juin, puis du 17 juillet, via le système, emportent engagement ferme, ce que confirme l’absence d’incertitudes affectant leur objet. L’intégration de ces commandes au volume du préavis s’impose donc, et conduit mécaniquement au respect du seuil de 9,6 millions d’euros.
II. Valeur et portée: cohérence normative et implications pratiques
A. Conformité au droit positif et méthode d’examen du grief
La solution emporte l’adhésion par sa sobriété et son assise textuelle. En rappelant que « Demeure en litige la seule question de l’exécution effective du préavis accordé », la Cour circonscrit rigoureusement l’office du juge sous l’empire de l’article L. 442‑6, I, 5°. Le contrôle ne porte pas sur la rupture en elle‑même, mais sur la teneur économique et temporelle du délai accordé. L’arrêt qualifie avec constance la pratique contractuelle, en refusant d’ériger des échanges préparatoires en commandes fermes lorsqu’ils restent affectés d’aléas objectifs.
La méthode probatoire se caractérise par une hiérarchisation des pièces au regard du contrat. Les flux dématérialisés, normés et datés, prévalent logiquement sur des courriels préparatoires. L’approche protège la sécurité des transactions et l’intelligibilité de la période de préavis, sans priver le partenaire d’un débat sur des circonstances exceptionnelles dûment établies. En l’espèce, aucune circonstance exogène ni manquement imputable au fournisseur n’imposait d’écarter les modalités convenues.
B. Conséquences pour les opérateurs et articulation avec les procédures collectives
L’arrêt comporte deux enseignements pratiques majeurs. D’abord, en matière de relations commerciales établies, la preuve de l’exécution effective du préavis se joue dans la concordance entre l’engagement chiffré et les commandes formalisées selon le canal contractuel. Les opérateurs doivent donc sécuriser l’écrit utile et aligner leur preuve sur le système de passation convenu. Les échanges préalables par courriels, encore évolutifs, ne sauraient suffire, sauf stipulation ou usage contraires établis.
Ensuite, pour les entreprises en procédure collective, l’arrêt éclaire l’articulation entre le contentieux du préavis et le régime des créances nées pour les besoins de la procédure. La Cour rappelle la logique des articles L. 622‑22 et L. 622‑17, en relevant l’utilité de l’action pour l’actif, tout en statuant sur les dépens et l’indemnité de procédure. La condamnation au titre de l’article 700, jointe à la confirmation du débouté, signale une vigilance accrue sur l’opportunité des recours et la consistance des preuves. La portée est pragmatique: sécuriser l’EDI, tracer les engagements de volume, et anticiper les débats probatoires dès la lettre de rupture.
Au total, la Cour d’appel de Paris, le 9 juillet 2025, réaffirme une lecture exigeante mais cohérente de l’exécution effective du préavis. Elle conforte la centralité des modalités contractuelles de commande, tout en assurant la stabilité des engagements de volume sur la période annoncée. L’équilibre recherché favorise la sécurité juridique des relations établies, sans élargir indûment le champ de la brutalité de la rupture.
Par un arrêt du 9 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris tranche un litige né d’une relation commerciale trentenaire entre un fournisseur d’articles de prêt‑à‑porter et une centrale d’achat non alimentaire. Après notification, le 26 juin 2018, d’un préavis de vingt‑quatre mois et l’engagement, le 25 octobre 2018, d’un maintien d’un chiffre d’affaires annuel de 4,8 millions d’euros, un désaccord s’est élevé sur l’exécution effective dudit préavis. Le fournisseur, placé en procédure collective, invoquait un chiffre d’affaires insuffisant et réclamait une indemnisation de perte de marge.
Les faits utiles tiennent à la datation des commandes de la collection Automne‑Hiver 2018. Le fournisseur soutenait que des courriels des 14 et 15 juin 2018 emportaient commande ferme, antérieurement à la rupture. L’acheteur soutenait au contraire que les commandes pertinentes avaient été valablement passées, via son système dématérialisé, les 27 et 28 juin puis le 17 juillet 2018, postérieurement à la notification. Trois autres collections avaient, sans contestation, été commandées durant le préavis.
La procédure a connu une première décision du tribunal de commerce de Paris, le 22 mai 2023, déboutant le fournisseur. Appel a été interjeté. Devant la Cour d’appel, le fournisseur, pris en la personne de son liquidateur, demandait réparation sur le fondement de l’article L. 442‑6, I, 5°, du code de commerce dans sa version antérieure, tandis que l’acheteur sollicitait confirmation, ainsi qu’une indemnité de procédure.
La question de droit portait sur l’exécution effective du préavis au sens du texte précité, appréciée au regard du maintien des conditions antérieures et du volume d’affaires garanti. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les commandes Automne‑Hiver 2018 devaient être intégrées au chiffre d’affaires de la période, au vu de leur date et de leur formalisme.
La Cour confirme le jugement. Elle rappelle d’abord que « Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle‑même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. » Elle souligne ensuite l’exigence de continuité: « En outre, l’exécution effective du préavis suppose, pendant toute sa durée, le maintien des conditions antérieures, les modifications apportées à la relation ne devant de ce fait, pas être substantielles (…). » Elle relève enfin que la lettre de rupture fixait clairement la période: « La date d’envoi du présent courrier tient lieu de point de départ de cette période de préavis. Le Préavis qui vous est donc ainsi accordé est d’environ 24 mois. » Constatant que les commandes Automne‑Hiver 2018 pertinentes ont été passées après le 26 juin 2018 via le système dématérialisé contractuel, la Cour retient un chiffre d’affaires total d’environ 9,7 millions d’euros, conforme à l’engagement de maintien.
I. Le sens de la décision: l’exécution effective du préavis garanti
A. La constance du principe de maintien des conditions
La Cour situe sa motivation dans la lignée du contrôle de la brutalité de la rupture, limité à l’absence ou l’insuffisance du préavis. Elle précise le contenu de l’exécution effective, en consacrant la continuité des conditions antérieures pendant toute la période. L’arrêt cite de manière explicite la doctrine prétorienne récente: « En outre, l’exécution effective du préavis suppose, pendant toute sa durée, le maintien des conditions antérieures (…) (en ce sens: Cass. com., 7 sept. 2022, n° 21‑12.704). » Cette formulation, claire et resserrée, recentre le débat sur le fait générateur du grief allégué: la consistance économique du préavis, mesurée par le maintien des volumes usuels.
Le raisonnement s’adosse ensuite à la lettre de rupture, dont la clarté chronologique emporte des conséquences probatoires nettes. La Cour relève que la rupture s’inscrivait « après les livraisons des collections Printemps‑Été 2020 », et que le préavis débutait au jour d’envoi. En retenant l’extrait: « La date d’envoi du présent courrier tient lieu de point de départ (…) », elle verrouille le cadre temporel du calcul. Le préavis devient un segment fermé, au sein duquel il convient de vérifier la continuité opérationnelle et le volume d’affaires.
B. La qualification des commandes automne‑hiver 2018 et la preuve du formalisme
Le cœur du litige réside dans la datation et la qualification des commandes Automne‑Hiver 2018. La Cour constate que les échanges des 14 et 15 juin 2018 comportaient des incertitudes matérielles, relevées par elle: mentions « TBC », compositions incertaines, volumes « potentiels ». L’instance souligne, en termes précis, l’insuffisance des preuves du fournisseur quant à un lancement de fabrication antérieur. Cette approche, centrée sur les éléments objectifs, évite tout formalisme excessif et privilégie la réalité contractuelle.
La Cour accorde une valeur déterminante au cadre contractuel de passation. Elle rappelle qu’« il est mentionné à l’article 2.1 des conditions générales (…) que les commandes doivent être passées prioritairement via le système dématérialisé (…) et “exceptionnellement selon d’autres formes en usage en matière commerciale” ». Cette clause, citée, confère au flux dématérialisé une présomption d’exhaustivité et de fiabilité. Les « précommandes » du 27 et du 28 juin, puis du 17 juillet, via le système, emportent engagement ferme, ce que confirme l’absence d’incertitudes affectant leur objet. L’intégration de ces commandes au volume du préavis s’impose donc, et conduit mécaniquement au respect du seuil de 9,6 millions d’euros.
II. Valeur et portée: cohérence normative et implications pratiques
A. Conformité au droit positif et méthode d’examen du grief
La solution emporte l’adhésion par sa sobriété et son assise textuelle. En rappelant que « Demeure en litige la seule question de l’exécution effective du préavis accordé », la Cour circonscrit rigoureusement l’office du juge sous l’empire de l’article L. 442‑6, I, 5°. Le contrôle ne porte pas sur la rupture en elle‑même, mais sur la teneur économique et temporelle du délai accordé. L’arrêt qualifie avec constance la pratique contractuelle, en refusant d’ériger des échanges préparatoires en commandes fermes lorsqu’ils restent affectés d’aléas objectifs.
La méthode probatoire se caractérise par une hiérarchisation des pièces au regard du contrat. Les flux dématérialisés, normés et datés, prévalent logiquement sur des courriels préparatoires. L’approche protège la sécurité des transactions et l’intelligibilité de la période de préavis, sans priver le partenaire d’un débat sur des circonstances exceptionnelles dûment établies. En l’espèce, aucune circonstance exogène ni manquement imputable au fournisseur n’imposait d’écarter les modalités convenues.
B. Conséquences pour les opérateurs et articulation avec les procédures collectives
L’arrêt comporte deux enseignements pratiques majeurs. D’abord, en matière de relations commerciales établies, la preuve de l’exécution effective du préavis se joue dans la concordance entre l’engagement chiffré et les commandes formalisées selon le canal contractuel. Les opérateurs doivent donc sécuriser l’écrit utile et aligner leur preuve sur le système de passation convenu. Les échanges préalables par courriels, encore évolutifs, ne sauraient suffire, sauf stipulation ou usage contraires établis.
Ensuite, pour les entreprises en procédure collective, l’arrêt éclaire l’articulation entre le contentieux du préavis et le régime des créances nées pour les besoins de la procédure. La Cour rappelle la logique des articles L. 622‑22 et L. 622‑17, en relevant l’utilité de l’action pour l’actif, tout en statuant sur les dépens et l’indemnité de procédure. La condamnation au titre de l’article 700, jointe à la confirmation du débouté, signale une vigilance accrue sur l’opportunité des recours et la consistance des preuves. La portée est pragmatique: sécuriser l’EDI, tracer les engagements de volume, et anticiper les débats probatoires dès la lettre de rupture.
Au total, la Cour d’appel de Paris, le 9 juillet 2025, réaffirme une lecture exigeante mais cohérente de l’exécution effective du préavis. Elle conforte la centralité des modalités contractuelles de commande, tout en assurant la stabilité des engagements de volume sur la période annoncée. L’équilibre recherché favorise la sécurité juridique des relations établies, sans élargir indûment le champ de la brutalité de la rupture.