Cour d’appel de Montpellier, le 9 septembre 2025, n°24/06467

Cour d’appel de Montpellier, chambre commerciale, 9 septembre 2025. Le litige concerne l’exercice du droit de retrait d’un associé de SARL au regard de l’article 1869 du code civil et l’articulation avec une expertise de valorisation fondée sur l’article 1843-4. Après des cessions successives de parts, le capital s’est trouvé détenu par deux associés. Époux puis divorcés, l’un d’eux a notifié en 2024 son souhait de se retirer en sollicitant le rachat de ses parts à leur valeur réelle.

Par jugement du tribunal de commerce de Béziers du 25 novembre 2024, le retrait a été autorisé pour justes motifs, et une expertise a été ordonnée pour fixer la valeur des droits sociaux. Les appelants ont critiqué la décision en contestant les justes motifs et en s’opposant à l’expertise, tandis que l’intimé a soutenu l’irrecevabilité de l’appel au motif tiré de l’article 1843-4. La cour d’appel a d’abord statué sur la recevabilité, puis a tranché au fond.

La question posée portait, d’une part, sur la possibilité d’interjeter appel d’un jugement combinant une autorisation judiciaire de retrait et une mesure d’expertise de valorisation, d’autre part, sur les conditions probatoires du « juste motif » exigé par l’article 1869 lorsque les statuts sont silencieux. La cour a jugé que « l’appel d’un jugement de nature mixte est recevable, d’où il suit le rejet de la fin de non-recevoir ». Au fond, elle a rappelé que « Cet article dispose qu’un associé peut se retirer dans les conditions prévues par les statuts […] Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice », avant de relever que « les productions énumérées supra sont insuffisantes à établir l’existence de quelques justes motifs ». Elle en a déduit la réformation intégrale du jugement, en ce qu’« Le jugement déféré sera réformé ».

L’analyse commande d’examiner d’abord la qualification de décision mixte et ses effets sur les voies de recours, puis d’apprécier la rigueur du contrôle des justes motifs au regard de l’office du juge et de la logique de l’expertise de valorisation.

I. La recevabilité de l’appel d’une décision mixte

A. La qualification mixte et l’accès au contrôle de la cour
La cour d’appel consacre une approche fonctionnelle de la voie de recours, en reliant la nature de la décision au périmètre de l’appel. En retenant que « l’appel d’un jugement de nature mixte est recevable, d’où il suit le rejet de la fin de non-recevoir », elle neutralise la fin de non-recevoir tirée du régime particulier de l’article 1843-4. La présence d’un chef statuant sur le principe même d’un droit subjectif (le retrait judiciaire) confère à l’ensemble la nature mixte et autorise l’examen d’appel.

Cette solution s’inscrit dans une logique d’économie du procès et de cohérence des chefs de dispositif. La mesure de valorisation des droits n’est qu’accessoire au principe de sortie, de sorte que l’assiette de l’expertise dépend du sort du retrait. L’admission de l’appel garantit un contrôle utile et immédiat du chef décisif, sans morceler artificiellement le contentieux.

B. L’articulation avec l’expertise de l’article 1843-4 du code civil
La cour n’ignore pas la spécificité de l’article 1843-4, dont la désignation d’expert, autonome par rapport aux mesures d’instruction de l’article 145, connaît un régime de recours restreint. Elle n’y voit toutefois pas d’obstacle lorsque la décision saisie contient un chef définitif sur le droit au retrait. L’expertise est alors indissociable de la solution sur le droit de sortir et sur l’obligation corrélative de rachat.

La réformation « en toutes ses dispositions » confirme l’enchaînement logique des chefs. La disparition du juste motif assèche la cause de la valorisation, rendant superfétatoire la mission de l’expert. La solution prévient le risque d’expertises sans cause juridique établie, qui alourdiraient la procédure sans sécuriser l’issue sur le principe du rachat.

II. Les conditions du retrait judiciaire et le contrôle des justes motifs

A. La charge de la preuve et l’exigence de démarches préalables
La cour rappelle d’abord la règle de principe. « Cet article dispose qu’un associé peut se retirer dans les conditions prévues par les statuts », et, à défaut, par autorisation unanime des autres associés, le retrait pouvant « également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice ». Cette hiérarchie normative place le juste motif en correctif exceptionnel, dont la preuve incombe à celui qui s’en prévaut.

Le contrôle exercé est exigeant et centré sur des éléments objectifs de dysfonctionnement ou de mise à l’écart. La cour constate que « les productions énumérées supra sont insuffisantes à établir l’existence de quelques justes motifs ». Elle souligne, surtout, l’absence de démarches internes, notant que la partie retrayante « n’a jamais vainement sollicité la tenue d’aucune assemblée ». Le défaut de convocation allégué, l’invocation du divorce, ou la non‑communication des comptes exigent des preuves circonstanciées et des relances établies. À défaut, l’atteinte à l’affectio societatis demeure insuffisante.

Cette approche valorise la loyauté procédurale et la subsidiarité des voies judiciaires. Le retrait contentieux ne saurait suppléer une absence d’initiative interne, notamment la demande d’autorisation à l’assemblée ou l’ouverture d’une discussion sur la valorisation. La cour érige ces démarches en préalable pragmatique, signalant que le juste motif se déduit d’une situation objectivée, non d’un simple contexte conflictuel.

B. Les conséquences sur l’office du juge et la mission de valorisation
Une fois posé ce cadre, la conséquence procédurale s’impose. La cour relève que, dans ces conditions, « le tribunal ne pouvait pas prononcer le retrait judiciaire et ordonner une expertise de la valeur des parts sociales ». L’office du juge suppose d’abord la vérification du droit de sortir, puis, seulement, l’organisation de la valorisation lorsque le principe est acquis. Inverser l’ordre reviendrait à mobiliser un mécanisme technique sans assise juridique certaine.

La cohérence du dispositif final en découle. La cour « infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions » et « déboute […] de toutes ses demandes », confirmant que l’expertise ne saurait pallier une carence probatoire sur le juste motif. La solution favorise une saine articulation entre l’article 1869 et l’article 1843-4, en subordonnant la valorisation à la naissance d’une obligation de rachat. Elle évite, enfin, les coûts et délais d’une évaluation inutile, tout en encourageant une résolution amiable préalable des différends.

Le raisonnement concilie ainsi rigueur probatoire et bonne administration de la justice. Le rappel des démarches internes attendues incite les associés à mobiliser les outils statutaires et sociaux avant le juge. En retour, le contrôle strict des justes motifs préserve l’équilibre contractuel de la société, sans fermer la voie au retrait lorsque la mise à l’écart ou la paralysie sont établies par des éléments objectifs et contemporains.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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