Cour d’appel de Nancy, le 3 juillet 2025, n°24/02171

Par un arrêt du 3 juillet 2025, la Cour d’appel de Nancy, chambre de l’exécution, statue sur l’appel d’une décision du juge de l’exécution de Nancy du 18 octobre 2024 ayant liquidé une astreinte provisoire à 5 000 euros. Le litige trouve son origine dans des infiltrations affectant des immeubles contigus et dans l’inexécution de travaux ordonnés sous astreinte après des décisions antérieures. La question posée tient aux critères de liquidation d’une astreinte provisoire, à la charge de la preuve pesant sur le débiteur d’une obligation de faire, et à la proportionnalité du quantum au regard de l’enjeu. La Cour répond en rappelant l’indépendance de l’astreinte par rapport au préjudice, en consacrant un contrôle concret de proportionnalité, et en fixant le montant liquidé à 10 000 euros.

Les faits utiles sont les suivants. Des désordres d’infiltrations ont été imputés à des cheminées accolées au pignon d’un immeuble privatif. Par jugement du tribunal de grande instance de Nancy du 19 novembre 2018, confirmé par la Cour d’appel de Nancy le 8 juin 2020, la responsabilité du propriétaire des cheminées a été retenue et des travaux de réfection, évalués à 5 500 euros, ont été ordonnés. Saisie d’une requête en rectification, la Cour d’appel de Nancy a, le 6 septembre 2021, assorti l’injonction à exécuter les travaux d’une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour. L’arrêt a été signifié le 16 février 2022. La Cour de cassation a constaté la péremption du pourvoi le 11 janvier 2024.

La procédure d’exécution a conduit l’appelante, créancière de l’obligation de faire, à saisir le juge de l’exécution, qui, par jugement du 18 octobre 2024, a liquidé l’astreinte à 5 000 euros et alloué des frais irrépétibles. L’appelante a demandé, en cause d’appel, la liquidation à 694 000 euros pour la période du 16 février 2022 au 11 janvier 2024. L’intimée n’a pas constitué avocat. La Cour d’appel de Nancy confirme le principe de la liquidation pour cette période et réforme le quantum à 10 000 euros.

La question de droit porte sur l’office du juge liquidateur d’astreinte provisoire, spécialement sur la charge de la preuve de l’exécution pesant sur le débiteur, sur l’indépendance de l’astreinte à l’égard des dommages et intérêts, et sur l’exigence d’un montant proportionné à l’enjeu. La Cour énonce, d’une part, que « En application des dispositions de l’article 1353 du code civil, il appartient au débiteur d’une obligation de faire assortie d’une astreinte d’apporter la preuve de ce qu’il a exécuté cette obligation » ; d’autre part, que « Il ressort par ailleurs de l’article L 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, tel qu’interprété à la lumière de l’article 1 du protocole numéro 1 à la Convention européenne (…), que le juge qui statue sur la liquidation d’une astreinte provisoire peut vérifier d’office, de manière concrète, que le montant de l’astreinte est raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige ». Elle rappelle, enfin, que « Il ressort de l’article L 131-2 code des procédures civiles d’exécution que l’astreinte est indépendante des dommages et intérêts et n’a pas vocation à réparer un préjudice ». Constatant l’absence de justification d’exécution et l’inertie persistante, la Cour arrête le montant liquidé à 10 000 euros en jugeant que « Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige de liquider l’astreinte à un montant de 10 000 euros ».

I. Le régime de la liquidation d’une astreinte provisoire et l’office du juge

A. La fonction de l’astreinte et l’indépendance à l’égard de la réparation
L’astreinte exerce une pression sur le débiteur afin d’obtenir l’exécution en nature d’une obligation de faire et ne répare aucun dommage. La Cour en déduit, à juste titre, que le quantum liquidé ne doit pas s’indexer sur l’ampleur des désagréments subis par le créancier. L’extrait « l’astreinte est indépendante des dommages et intérêts et n’a pas vocation à réparer un préjudice » écarte ainsi toute assimilation de la liquidation à une indemnisation. Le juge de l’exécution ne compense pas un préjudice ; il convertit, dans une mesure appropriée, une sanction comminatoire en somme exigible.

Cette indépendance commande une méthode de calcul centrée sur la fonction incitative de l’astreinte et sur l’effectivité recherchée. Elle permet de refuser des demandes exorbitantes corrélées aux atteintes alléguées, tout en préservant la crédibilité de la contrainte. La Cour mobilise, en filigrane, la distinction entre la finalité normative de l’astreinte et la logique réparatrice des dommages et intérêts, ce qui empêche de transformer l’astreinte en peine privée.

B. La charge de la preuve et le contrôle de proportionnalité
La Cour rappelle le principe probatoire en ces termes : « il appartient au débiteur (…) d’apporter la preuve de ce qu’il a exécuté cette obligation ». L’intimée, défaillante, ne justifiant ni exécution ni obstacle légitime, la liquidation s’imposait sur la période ouverte par la signification et close par la péremption. Le juge vérifie la période pertinente, la consistance de l’inexécution et l’absence de cause étrangère, ce qui fonde la confirmation du principe.

La Cour affirme un contrôle substantiel du quantum, conforme à l’article L 131-4 CPCE, en citant que le juge peut « vérifier d’office (…) que le montant de l’astreinte est raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige ». La référence à l’article 1 du Protocole n° 1 consacre une exigence de proportionnalité patrimoniale. Le juge liquidateur apprécie concrètement la nature des travaux, leur coût, la durée d’inexécution et le comportement du débiteur, afin d’éviter toute atteinte excessive au droit de propriété.

II. L’application au cas d’espèce et l’appréciation du quantum

A. Le bornage temporel et la confirmation du principe
La liquidation porte sur la période comprise entre la signification de l’arrêt rectificatif et la décision constatant la péremption du pourvoi. La Cour valide ce bornage, retenant l’exigibilité de l’astreinte à compter de la signification et l’absence d’effet suspensif. Le débiteur n’ayant ni exécuté ni justifié d’impossibilités, la Cour maintient le principe de la liquidation, dans la droite ligne de l’office du juge de l’exécution et de la force exécutoire des titres confirmés. La formule « Il convient en conséquence de confirmer le jugement de ce chef » consacre cette stabilité juridique.

Ce rappel de méthode sécurise la prévisibilité procédurale. Il évite que le débat sur le quantum ne vienne, par ricochet, remettre en cause la période d’inexécution ou le caractère exigible de l’astreinte. La Cour distingue clairement ce qui relève du principe de liquidation, attaché à l’inexécution constatée, et ce qui relève de l’évaluation, gouvernée par la proportionnalité.

B. La mesure du quantum: proportion, effectivité et rejet d’une logique indemnitaire
L’appelante sollicitait 694 000 euros en se prévalant de préjudices liés aux infiltrations et de l’inertie prolongée. La Cour oppose le rappel décisif selon lequel « l’astreinte est indépendante des dommages et intérêts et n’a pas vocation à réparer un préjudice ». Elle refuse de transformer la liquidation en évaluation de dommages, d’autant que des indemnisations distinctes avaient déjà été allouées pour la jouissance. La demande est ainsi recadrée dans la finalité comminatoire de l’astreinte.

La Cour retient des paramètres sobres et concrets: coût des travaux évalué à 5 500 euros, durée d’inexécution significative, inertie non justifiée du débiteur et nécessité de préserver l’autorité des décisions. Sur cette base, elle conclut que « Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît raisonnablement proportionné à l’enjeu du litige de liquider l’astreinte à un montant de 10 000 euros ». Le montant, supérieur au coût des travaux sans être confiscatoire, conjugue effet incitatif et respect de l’exigence de proportion. La solution s’inscrit dans la logique de l’article L 131-4 CPCE, éclairé par la protection conventionnelle des biens, et trace une ligne utile: éviter les liquidations symboliques inefficaces comme les montants disproportionnés.

En définitive, la Cour d’appel de Nancy, le 3 juillet 2025, rappelle avec netteté les trois angles directeurs de la liquidation d’une astreinte provisoire: charge probatoire pesant sur le débiteur, indépendance de la sanction par rapport au dommage, et contrôle concret de proportionnalité. La solution retenue, qui confirme le principe et ajuste le quantum, assure l’effectivité de l’injonction sans excéder l’enjeu objectif du litige.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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