Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 26 juin 2025, n°23-16.024

La décision rendue par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, le 26 juin 2025, statue sur un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 30 mars 2023. Le litige, inscrit au rôle de la protection sociale, opposait le demandeur au pourvoi au défendeur à la cassation devant la juridiction suprême. Le demandeur sollicitait la cassation de l’arrêt d’appel, tandis que le défendeur en soutenait la confirmation et réclamait, au surplus, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La procédure est caractérisée par un rejet non spécialement motivé, prononcé à la suite d’une communication au parquet général, après audience publique. Les prétentions respectives s’ordonnaient classiquement autour de la validité des moyens de cassation et de la pérennisation de la solution d’appel. Le dispositif retient le rejet du pourvoi, la condamnation du demandeur aux dépens, et l’allocation d’une somme de 3 000 euros au défendeur sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La question tranchée tenait à l’aptitude des moyens invoqués à justifier un examen spécialement motivé, au regard de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile. La Cour répond que « les moyens de cassation, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Elle en déduit qu’« en application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi ».

I. Le sens de la décision de rejet non spécialement motivé

A. Le cadre normatif de l’article 1014 du code de procédure civile

L’article 1014, alinéa 1er, autorise la Cour de cassation à rejeter un pourvoi par une décision non spécialement motivée lorsque les moyens sont manifestement impropres à emporter la cassation. La formule légale instaure un filtre, distinct des irrecevabilités, qui opère un contrôle de sérieux limité aux évidences contentieuses. La Cour rappelle textuellement qu’« il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée », ce qui signale l’absence de difficulté juridique digne d’un développement circonstancié.

Cette procédure d’économie de motifs suppose un examen préalable de recevabilité et de bien-fondé apparent, sans épuisement des griefs ni discussion détaillée des interprétations en présence. La Cour constate ici que les moyens ne franchissaient pas le seuil de plausibilité exigé, puisqu’ils « ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». La manifestation d’inaptitude équivaut à une évidence objective, appréciée au regard du droit positif et des canons usuels du contrôle de légalité.

B. L’office de la Cour et les effets du rejet sur la décision attaquée

Le rejet non spécialement motivé emporte confirmation pure et simple de la décision attaquée, sans adjonction de motifs déterminants ni substitution de base légale. La Cour ne consacre pas une solution de principe, mais constate l’absence d’atteinte juridique sérieuse imputable à l’arrêt d’appel. L’autorité de la chose jugée demeure cantonnée au litige, l’absence de motifs détaillés limitant la portée normative de la décision.

Le dispositif en tire les conséquences procédurales usuelles. Il rejette le pourvoi, condamne le demandeur aux dépens, et statue sur les frais irrépétibles au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’allocation de 3 000 euros au défendeur traduit l’économie contentieuse du mécanisme, en incitant à l’épuration des moyens manifestement infondés. La décision se referme sans incidence créatrice sur le droit objectif, mais consolide l’arrêt d’appel dans ses propres motifs.

II. La valeur et la portée du rejet sans motivation spéciale

A. La motivation minimale et le standard de contrôle de la Cour

La motivation minimale, permise par l’article 1014, répond à une double finalité de célérité et de sécurité, en évitant des motifs redondants pour des griefs dépourvus d’épaisseur juridique. La formule publiée, qui constate l’inaptitude manifeste des moyens, fournit une justification suffisante au regard du standard légal. Elle indique le critère appliqué et circonscrit l’office de la Cour à un contrôle d’évidence, sans s’aventurer dans un examen comparatif des interprétations proposées.

Une telle économie de motifs ne méconnaît pas l’exigence de motivation, dès lors que la loi définit le cadre et que la formule révèle la raison décisive du rejet. Le standard demeure exigeant pour les parties : il requiert une argumentation de cassation resserrée sur des erreurs de droit avérées, des violations claires de la règle, ou des dénaturations caractérisées. À défaut, l’issue procédurale est scellée par la mécanique de l’article 1014.

B. Les implications pratiques et l’appréciation critique de la solution

La décision présente une portée essentiellement procédurale. Elle confirme la vigueur du filtre légal, désormais bien ancré dans la pratique de la Cour. Son intérêt tient à la méthode : le pourvoi doit porter un grief juridique construit, articulé autour d’une règle, d’un contrôle, ou d’une qualification précis. Les moyens redondants, inopérants, ou contraires à une jurisprudence stable s’exposent à un rejet non spécialement motivé, qui consolide la décision attaquée sans nourrir la doctrine.

L’instrument n’est pas exempt de critiques. La motivation minimale limite la transparence sur l’argument exact jugé décisif, ce qui peut restreindre l’intelligibilité pour les acteurs et la prévisibilité des contentieux futurs. L’atteinte demeure mesurée, car la Cour n’innove pas en droit et n’altère pas la systématique des moyens; elle signale seulement une insuffisance évidente. L’économie argumentative préserve par ailleurs la cohérence de la jurisprudence en évitant des décisions bavardes sur des griefs dépourvus d’enjeu juridique.

La présente décision illustre enfin l’équilibre recherché entre rationalisation du contentieux et garantie d’un contrôle effectif. Les parties conservent la faculté d’un examen approfondi lorsque le moyen révèle une question sérieuse, une divergence d’interprétation, ou une atteinte manifeste au droit. À l’inverse, l’article 1014 opère comme un garde-fou procédural, utile à la lisibilité d’ensemble et à la célérité, sans dénier aux justiciables un contrôle de légalité véritable lorsque la matière l’exige.

Ainsi comprise, la solution s’inscrit dans une ligne constante qui sépare nettement les reconfigurations jurisprudentielles, réservées aux arrêts motivés, des rejets de pure économie, cantonnés au constat de l’inanité manifeste. La Cour renforce, par une formule brève mais normative, la discipline des moyens de cassation et la stabilité des décisions d’appel lorsque aucune erreur de droit crédible n’est identifiée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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