Par une décision rendue le 6 août 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la régularité d’une procédure d’appel relative à la contestation d’honoraires d’expert. À la suite de travaux publics, une propriétaire a sollicité et obtenu en référé la désignation d’un expert afin de constater et décrire des désordres affectant son bien immobilier. Après le dépôt de son rapport, l’expert a présenté une note de frais et honoraires, dont le montant a été fixé par une ordonnance de taxation du président du tribunal administratif de Toulon.
La requérante a contesté ce montant devant le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté sa demande par un jugement du 1er octobre 2020. Saisie en appel par la requérante, la cour administrative d’appel de Marseille a, par un arrêt du 23 janvier 2023, confirmé le jugement de première instance et rejeté les prétentions de l’appelante. C’est contre cet arrêt que la requérante a formé un pourvoi en cassation. Devant la haute juridiction, elle a soulevé plusieurs moyens, dont une irrégularité de procédure tirée de l’absence de mention du caractère public de l’audience dans l’arrêt d’appel, ainsi que plusieurs dénaturations des pièces du dossier relatives au montant des frais et honoraires de l’expert.
Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si l’omission, dans le corps d’un arrêt, de la mention attestant de la publicité de l’audience constitue une irrégularité de procédure de nature à justifier son annulation, quand bien même les parties auraient été préalablement informées de la tenue d’une audience publique.
Le Conseil d’État répond par l’affirmative à cette question. Il juge que dès lors qu’une décision juridictionnelle « ne comporte pas la mention que l’audience a été publique, et en l’absence de tout élément au dossier permettant d’estimer qu’elle l’a effectivement été, la procédure n’a pas été régulière ». La haute juridiction précise que la seule convocation des parties à une audience annoncée comme publique ne suffit pas à établir la réalité de cette publicité. En conséquence, l’arrêt d’appel est annulé pour vice de procédure.
Cette décision réaffirme avec force une exigence formelle dont la portée est substantielle (I), consacrant une solution de principe qui place les garanties procédurales au-dessus de l’examen du fond du litige (II).
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I. Le rappel d’une exigence formelle substantielle : la mention de la publicité de l’audience
La cassation prononcée par le Conseil d’État repose sur l’application rigoureuse d’une obligation textuelle impérative (A), laquelle ne peut être satisfaite par de simples preuves indirectes de la publicité des débats (B).
A. La consécration d’une obligation textuelle impérative
La décision commentée trouve son fondement dans les dispositions de l’article R. 741-2 du code de justice administrative, qui dispose que « la décision mentionne que l’audience a été publique ». Le Conseil d’État ne fait ici qu’appliquer la lettre du texte, mais il lui confère une force particulière en la qualifiant de condition de régularité de la procédure. Cette mention n’est donc pas un simple élément de forme laissé à la discrétion du greffe, mais bien une garantie fondamentale pour le justiciable.
Le principe de publicité des audiences est en effet un pilier de l’État de droit, assurant la transparence de la justice et permettant le contrôle des citoyens sur son fonctionnement. En exigeant que la décision elle-même porte la trace du respect de ce principe, le juge administratif s’assure que cette garantie n’est pas seulement théorique. La solution n’est pas nouvelle, mais son rappel dans ce contexte démontre une volonté de ne tolérer aucune exception, transformant une obligation de rédaction en une condition de validité de l’acte juridictionnel.
B. L’insuffisance des preuves indirectes de la publicité
Face au moyen soulevé par la requérante, le ministre de la justice soutenait que les parties avaient été informées par le greffe de la cour que l’affaire serait examinée lors d’une audience publique. L’argument visait à établir que, en dépit de l’omission dans l’arrêt, le principe de publicité avait bien été respecté en pratique. Le Conseil d’État écarte cependant ce raisonnement de manière catégorique.
Il opère une distinction claire entre la convocation à une audience publique et la constatation de son déroulement effectif. La seule production d’un courrier informant les parties ne constitue pas une preuve suffisante que l’audience s’est réellement et publiquement tenue. En affirmant qu’aucun « élément au dossier permettant d’estimer qu’elle l’a effectivement été » n’était présent, la haute juridiction établit une présomption d’irrégularité en cas d’omission de la mention requise. La charge de la preuve est ainsi implicitement inversée : il appartient à la juridiction de démontrer qu’elle a respecté le principe, et la mention dans sa décision en est le mode de preuve privilégié.
En réaffirmant avec force cette règle de forme, le Conseil d’État ne se contente pas de sanctionner une simple omission matérielle ; il ancre sa décision dans une conception rigoureuse des garanties dues aux justiciables, dont la portée dépasse largement les circonstances de l’espèce.
II. La portée d’une cassation au service des garanties procédurales
Cette décision, en faisant prévaloir une règle de forme, illustre la primauté du formalisme comme instrument de protection du justiciable (A). Elle aboutit cependant à une solution de principe qui se révèle totalement indifférente au fond du litige (B).
A. La primauté du formalisme comme protection du justiciable
L’annulation de l’arrêt pour un vice de procédure, sans examen des autres moyens qui portaient sur le fond du droit, peut sembler être une solution excessivement formaliste. Toutefois, ce formalisme est ici mis au service d’un principe essentiel. En censurant la cour administrative d’appel, le Conseil d’État rappelle à l’ensemble des juridictions administratives l’importance qu’il attache au respect scrupuleux des règles de procédure.
Cette rigueur n’est pas une fin en soi ; elle constitue la meilleure protection contre l’arbitraire et garantit à chaque justiciable que sa cause sera entendue selon des règles connues et identiques pour tous. La publicité de la justice est une composante du droit à un procès équitable. En conséquence, sa violation, ou l’incapacité à en attester le respect, est une atteinte suffisamment grave pour justifier l’anéantissement de la décision rendue, quel que soit le bien-fondé des arguments développés sur le fond. La décision a donc une valeur pédagogique indéniable.
B. Une solution de principe indifférente au fond du litige
Le Conseil d’État, en application de sa technique de cassation, ne se prononce que sur le moyen qui lui paraît suffisant pour justifier l’annulation. En l’espèce, il déclare qu’il n’est « pas besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi ». Cette approche, si elle est irréprochable sur le plan des principes, a pour conséquence de prolonger la procédure sans trancher le litige sur le fond, qui porte sur la juste rémunération d’un expert judiciaire.
L’affaire est renvoyée devant la même cour administrative d’appel, autrement composée, qui devra statuer à nouveau. Pour la requérante, qui conteste le montant des honoraires depuis plusieurs années, cette cassation est une victoire procédurale mais ne résout en rien sa contestation initiale. La décision illustre ainsi la tension qui peut exister entre la nécessité de garantir un procès équitable et l’objectif d’une justice rendue dans un délai raisonnable. La portée de cette décision est donc avant tout de fixer une jurisprudence claire sur une exigence procédurale, laissant entière la question de fond qui avait initialement motivé le recours.