Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°23BX01902

Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions d’urbanisation dans les zones littorales, en particulier sur l’articulation entre les notions de « secteur déjà urbanisé » et d' »espace proche du rivage ». En l’espèce, une propriétaire s’est vu opposer un refus pour son projet de division d’une parcelle en vue de la construction de plusieurs habitations. Ce refus, initialement fondé sur l’absence de caractère urbanisé du secteur, a été contesté par la requérante.

La procédure a débuté par une demande de certificats d’urbanisme opérationnels déposée auprès d’une commune littorale. Le maire a émis des certificats négatifs au motif que le terrain n’était pas situé dans un « secteur déjà urbanisé » au sens du code de l’urbanisme. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif a rejeté la demande. La propriétaire a alors interjeté appel, soutenant d’une part l’incompétence du signataire des actes, et d’autre part que son terrain relevait bien d’un secteur déjà urbanisé, compte tenu de l’environnement bâti et de sa desserte par les réseaux. En défense, la commune a fait valoir que le projet était de toute façon irréalisable, le terrain étant situé dans un « espace proche du rivage », ce qui constituait un motif d’opposition dirimant.

La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si un terrain, bien que séparé de la mer par des constructions et sans covisibilité directe, pouvait être qualifié d' »espace proche du rivage », faisant ainsi obstacle à une opération de construction qui aurait pu être envisagée au titre de l’exception de « secteur déjà urbanisé ».

La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative. Elle a jugé que l’appartenance à un « espace proche du rivage » s’apprécie au regard de l’ensemble cohérent auquel appartient la parcelle, et non de sa seule situation individuelle. Cette qualification, une fois établie, prime sur les dérogations prévues pour les secteurs déjà urbanisés. La cour a par conséquent procédé à une substitution de motif pour confirmer la légalité des décisions de refus, rejetant ainsi la requête.

L’analyse de cette décision conduit à examiner la manière dont la cour valide la légalité formelle et substantielle des certificats d’urbanisme (I), avant d’étudier comment elle consacre une interprétation stricte de la loi Littoral qui fait prévaloir la protection des espaces côtiers sur les possibilités d’urbanisation (II).

I. La confirmation de la légalité de l’acte par une application rigoureuse du droit de l’urbanisme

La cour administrative d’appel commence par écarter le moyen tiré de l’incompétence avant de justifier le refus sur le fond par le mécanisme de la substitution de motif.

A. La validation de la compétence du signataire de l’acte

La requérante soulevait l’incompétence de l’adjoint au maire ayant signé les certificats d’urbanisme négatifs. Elle arguait que la délégation de fonctions ne visait que « l’instruction et la délivrance des autorisations en matière du droit des sols », catégorie à laquelle n’appartiendraient pas les certificats d’urbanisme. Cet argument repose sur une interprétation restrictive de la notion d’autorisation d’urbanisme.

La cour écarte ce moyen en adoptant une lecture extensive et pragmatique de l’arrêté de délégation. Elle relève que la délégation couvrait non seulement les autorisations du droit des sols mais aussi « l’élaboration et la gestion des opérations d’urbanisme opérationnel » et « la gestion, la préservation et la protection du littoral ». Or, les certificats d’urbanisme litigieux étaient de nature opérationnelle et leur délivrance s’inscrivait directement dans le cadre de l’application de la loi Littoral. En considérant que les actes contestés entraient dans le champ de cette délégation, le juge confirme la compétence de leur signataire. Cette solution est classique et témoigne d’une volonté de ne pas faire prévaloir un formalisme excessif lorsque l’intention du délégant est suffisamment claire.

B. L’admission d’une substitution de motif fondée sur l’application de la loi Littoral

Sur le fond, la cour opère un changement de fondement juridique pour justifier la décision de refus. Initialement, le maire avait motivé son refus par le fait que le terrain ne se situait pas dans un « secteur déjà urbanisé » au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Devant le juge, la commune a invoqué un autre motif : la situation du terrain au sein d’un « espace proche du rivage », qui fait par principe obstacle aux constructions nouvelles.

La cour accepte cette substitution de motif. Elle constate que la requérante a pu débattre de ce nouveau moyen en cours d’instance, ce qui garantit le respect du principe du contradictoire. Surtout, elle estime que l’administration aurait pris la même décision de refus si elle s’était initialement fondée sur ce motif. Cette technique permet de valider une décision administrative dont le fondement initial était fragile ou erroné, dès lors qu’un motif légal et justifié existe. En l’espèce, la substitution déplace le cœur du litige de la notion de « secteur déjà urbanisé » vers celle, plus contraignante, d' »espace proche du rivage ».

II. La portée de la notion d’espace proche du rivage, obstacle à l’extension de l’urbanisation

La décision de la cour est remarquable en ce qu’elle donne toute sa force à la notion d’espace proche du rivage, en précisant ses critères d’identification et en affirmant sa primauté sur les autres régimes dérogatoires.

A. Une définition extensive de l’espace proche du rivage

Pour déterminer si le terrain litigieux relevait d’un espace proche du rivage, la cour rappelle la méthode d’analyse à suivre. Elle énonce que « pour déterminer si une zone peut être qualifiée d’ ‘espace proche du rivage’ au sens des dispositions précitées, trois critères doivent être pris en compte, la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la covisibilité entre cette zone et la mer ». L’apport essentiel de l’arrêt réside dans la précision que la covisibilité ne s’apprécie pas parcelle par parcelle.

Le juge considère en effet que le critère de covisibilité « n’implique toutefois pas que chaque parcelle située au sein de l’espace ainsi qualifié soit située en covisibilité de la mer, dès lors qu’une telle parcelle ne peut être séparée de l’ensemble cohérent dont elle fait partie ». Ainsi, un terrain sans vue directe sur la mer, mais appartenant à un « ensemble cohérent » de parcelles proches du rivage et partiellement en covisibilité, est lui-même inclus dans cet espace protégé. En l’espèce, le terrain, situé à moins de 400 mètres du rivage, est intégré à un tel ensemble. Cette approche globale et non atomistique renforce considérablement l’emprise des espaces proches du rivage.

B. La primauté de la protection du littoral sur les exceptions à l’inconstructibilité

La qualification d’espace proche du rivage emporte des conséquences juridiques déterminantes. L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, qui autorise sous conditions des constructions dans les « secteurs déjà urbanisés », exclut explicitement de son champ d’application les espaces proches du rivage. Dès lors que le terrain de la requérante est situé dans un tel espace, elle ne pouvait plus se prévaloir de cette exception pour justifier son projet.

La cour confirme ainsi une hiérarchie claire des normes de protection. La qualification d’espace proche du rivage constitue un obstacle quasi absolu à l’urbanisation, qui ne peut être levé que dans les conditions très restrictives de l’extension « limitée » prévue à l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, conditions non remplies en l’espèce. L’arrêt illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif applique la loi Littoral. Il réaffirme que la volonté du législateur de préserver les zones côtières de l’urbanisation diffuse l’emporte sur les projets de densification, même dans des secteurs qui peuvent sembler déjà bâtis.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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