L’acte administratif unilatéral créateur de droits bénéficie d’une stabilité juridique particulière, protégeant son destinataire contre les retraits arbitraires ou tardifs de l’administration. Par un arrêt en date du 29 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue illustrer les conditions encadrant le retrait d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable, tout en offrant une motivation dont la cohérence interroge. En l’espèce, des propriétaires avaient déposé une déclaration préalable en vue de rehausser un muret de clôture. Le silence gardé par l’autorité compétente a fait naître une décision implicite de non-opposition. Quelques mois plus tard, la maire de la commune a rapporté cette décision, estimant le projet contraire au plan de prévention des risques d’inondation local. Saisis par les administrés, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande d’annulation de cet arrêté de retrait. La cour administrative d’appel, statuant sur l’appel des requérants, a d’abord annulé ce jugement pour insuffisance de motivation, avant d’user de son pouvoir d’évocation pour trancher l’affaire au fond. Les requérants soutenaient principalement que le retrait était intervenu au-delà du délai de trois mois prévu par le code de l’urbanisme, arguant que la demande de pièces complémentaires formulée par l’administration était illégale et n’avait pu interrompre le délai d’instruction initial. Se posait donc la question de savoir si une demande de pièces complémentaires, jugée légale par le juge, interrompt valablement le délai d’instruction d’une déclaration préalable au point de permettre à l’autorité administrative de retirer la décision de non-opposition née ultérieurement dans le respect du délai de trois mois. La cour a répondu par l’affirmative, considérant que la demande de pièces était justifiée, qu’elle avait reporté le point de départ du délai d’instruction et que, par conséquent, l’arrêté de retrait n’était pas tardif. Elle a en outre validé le motif de retrait, tiré de la violation du plan de prévention des risques. Si la solution réaffirme les conditions de fond et de forme encadrant le retrait d’une autorisation d’urbanisme (I), elle repose sur une justification fragile quant au décompte du délai de retrait (II).
I. LA CONFIRMATION DES CONDITIONS DE FOND ET DE FORME DU RETRAIT D’UNE DÉCISION DE NON-OPPOSITION
Le retrait d’une décision créatrice de droits, tel qu’une non-opposition à déclaration préalable, est subordonné à la démonstration de son illégalité originelle (A) et au respect d’une procédure contradictoire préalable (B). La cour vérifie scrupuleusement le respect de cette double exigence.
**A. Une illégalité substantielle justifiant le retrait**
La cour confirme que le projet des requérants méconnaissait la réglementation d’urbanisme en vigueur, ce qui constituait un motif d’illégalité justifiant le retrait de l’autorisation tacite. Le litige portait sur le rehaussement d’un muret, qualifié de « mur bahut » par le plan de prévention des risques d’inondation (PPRi) applicable sur le territoire de la commune. Or, ce document d’urbanisme, qui vaut servitude d’utilité publique, interdisait de telles constructions afin de « favoriser le libre écoulement des eaux de crues ». Les juges relèvent que le projet, consistant à « rétablir à une hauteur de 40 cm au-dessus du niveau du sol le muret en béton », constituait bien une modification substantielle d’une clôture existante, et non une simple réparation dispensée de formalité. Ils valident ensuite l’analyse de l’administration selon laquelle l’interdiction posée par le PPRi était justifiée et proportionnée, écartant l’argumentation des requérants qui en contestaient la cohérence. La cour rappelle ainsi que le respect des servitudes d’urbanisme, et notamment de celles édictées pour des motifs de sécurité publique, s’impose à toute autorisation de construire. L’illégalité de la décision de non-opposition était donc établie, ouvrant la voie à son retrait par l’autorité compétente.
**B. Le respect formel de la procédure contradictoire**
Le retrait ne pouvait toutefois intervenir sans que les bénéficiaires de l’autorisation aient été mis à même de présenter leurs observations, conformément à l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration. La cour procède à un examen détaillé de la procédure menée par la commune pour s’assurer que cette garantie essentielle n’a pas été méconnue. Elle constate que les administrés ont été informés par courrier de l’intention de la maire de procéder au retrait et des motifs de cette décision. Ce courrier leur offrait un délai pour présenter des observations écrites ou orales et mentionnait la possibilité de se faire assister d’un conseil. Un entretien a ensuite eu lieu en mairie, permettant un échange oral. La cour écarte les critiques des requérants relatives à la brièveté du délai ou au caractère prétendument dissuasif de la formulation du courrier. Elle considère que le délai global dont ils ont bénéficié entre la convocation et la décision finale était suffisant. Elle juge également que « la circonstance que M. et Mme C… n’aient disposé que d’un délai de 7 jours entre la convocation à l’entretien et celui-ci n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure suivie ». Cette approche pragmatique, centrée sur l’effectivité de la garantie offerte plutôt que sur un formalisme rigide, est classique en contentieux administratif. Le respect du contradictoire étant avéré, et l’illégalité de la décision étant démontrée, le retrait semblait parfaitement régulier, à condition toutefois d’avoir été prononcé dans le délai imparti.
II. UNE JUSTIFICATION FRAGILE DU POINT DE DÉPART DU DÉLAI DE RETRAIT
Le point central du litige résidait dans le calcul du délai de trois mois durant lequel le retrait est possible. Pour le valider, la cour s’attache à démontrer le caractère légal de la demande de pièces complémentaires ayant interrompu le délai d’instruction (A), mais ce faisant, elle aboutit à une conclusion paradoxale quant à la nature même de la décision née du silence de l’administration (B).
**A. L’effet interruptif d’une demande de pièces complémentaires jugée légale**
En vertu de l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme, seule une demande de pièces exigibles par les textes, notifiée dans le délai d’un mois, peut légalement interrompre le délai d’instruction d’une autorisation d’urbanisme. Une demande tardive ou portant sur des pièces non prévues est sans effet, et le silence de l’administration à l’issue du délai initial fait naître une autorisation tacite. En l’espèce, les requérants soutenaient que les pièces réclamées n’étaient pas dues, rendant la demande illégale et le retrait tardif. La cour rejette cette analyse. Elle constate que le service instructeur avait réclamé, dans le délai d’un mois, un document graphique sur l’insertion paysagère du projet et le feuillet fiscal manquant. Or, ces documents sont explicitement requis par les articles R. 431-36 et R. 431-10 du code de l’urbanisme. La cour en déduit que « c’est donc à juste titre que la production de ces pièces a été réclamée par le service instructeur ». Cette demande, étant légale, a bien eu pour effet d’interrompre le délai d’instruction initial, qui n’a recommencé à courir qu’à compter de la réception des pièces manquantes. Ce faisant, le point de départ de la décision implicite était reporté d’autant, préservant ainsi le délai de retrait pour la commune.
**B. Une conclusion paradoxale quant à la nature de la décision implicite**
C’est dans la dernière phase de son raisonnement que la motivation de la cour devient source de perplexité. Après avoir établi que le délai d’instruction a recommencé à courir le 28 décembre 2020, date de réception des pièces, elle affirme que ce nouveau délai a eu pour effet « de faire naître une décision tacite de rejet de la déclaration préalable de M. et Mme C… le 28 janvier 2021 ». Cette conclusion est surprenante, car si une décision de rejet est née tacitement, il ne peut logiquement exister de décision de non-opposition à retirer. L’arrêté de retrait du 8 mars 2021 serait alors dépourvu d’objet, et le litige n’aurait pas lieu d’être. Pourtant, la cour poursuit son analyse en ignorant cette conséquence. Elle conclut que, « dans ces conditions, à la date de l’arrêté attaqué, le 8 mars 2021, le délai de trois mois au cours duquel la maire […] pouvait retirer la décision tacite de non-opposition […] n’était pas expiré ». Il y a là une contradiction manifeste : la cour fonde son calcul sur une prémisse (la naissance d’une décision de rejet) qui rend sa conclusion (la légalité du retrait d’une décision de non-opposition) logiquement impossible. Cette décision semble relever d’une volonté de faire prévaloir la solution de fond, à savoir le respect du PPRi, sur la rigueur du syllogisme juridique. En validant un retrait dont le délai de validité est assis sur une construction aussi précaire, la cour livre une décision d’espèce qui fragilise la sécurité juridique des administrés sans pour autant clarifier le régime complexe des décisions implicites en urbanisme.