Cour d’appel administrative de Nancy, le 17 juillet 2025, n°23NC02161

Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la légalité d’un permis de construire modificatif délivré par le maire d’une commune. Cette décision apporte un éclairage sur l’articulation entre la procédure du permis modificatif et la persistance d’une illégalité contenue dans le permis de construire initial devenu définitif.

En l’espèce, un pétitionnaire avait obtenu un permis de construire pour une maison individuelle et une piscine, devenu définitif. Par la suite, il a sollicité et obtenu un permis modificatif visant notamment à surélever le niveau du rez-de-chaussée et à modifier une façade. Un voisin immédiat, estimant que ces modifications nécessitaient un nouveau permis de construire et qu’elles méconnaissaient plusieurs dispositions du plan local d’urbanisme, a saisi le tribunal administratif de Besançon d’une demande d’annulation de cet arrêté. Le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 4 mai 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens.

La question de droit posée à la cour administrative d’appel était double. Il s’agissait d’une part de savoir si les modifications autorisées, portant sur une construction inachevée, constituaient un bouleversement du projet initial justifiant le dépôt d’un nouveau permis de construire. D’autre part, et de manière plus substantielle, il revenait aux juges de déterminer si un permis modificatif pouvait être légalement accordé alors que le projet initial, bien que son autorisation fût définitive, ne respectait pas une règle d’urbanisme, et que le projet modifié restait non conforme sur ce point.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que les modifications envisagées n’apportent pas au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. Surtout, elle considère que si le projet méconnaît toujours une règle d’implantation du plan local d’urbanisme, cette méconnaissance n’est pas aggravée par le permis modificatif par rapport à la situation créée par le permis initial devenu définitif. Cette solution conduit la cour à valider le recours au permis modificatif malgré une illégalité persistante (I), consacrant ainsi une approche pragmatique dont la portée doit être mesurée (II).

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I. La validation du recours au permis de construire modificatif en dépit d’une illégalité initiale

La cour administrative d’appel justifie la légalité du permis de construire modificatif en écartant d’abord la qualification de bouleversement du projet (A), puis en neutralisant les effets d’une non-conformité persistante au plan local d’urbanisme (B).

A. Le rejet de la qualification de bouleversement du projet initial

Le recours à un permis de construire modificatif est subordonné à deux conditions cumulatives : la construction ne doit pas être achevée et les modifications ne doivent pas apporter au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature. En l’espèce, la cour constate d’abord, en se fondant sur un constat d’huissier, que les travaux n’étaient pas achevés à la date de délivrance du permis litigieux, rendant la première condition remplie.

Ensuite, elle examine la consistance des modifications pour apprécier l’absence de bouleversement. Celles-ci portaient sur « la surélévation du niveau du rez-de-chaussée, la réalisation de talus pour joindre le niveau du terrain naturel, la réalisation d’une grille de caniveau et la modification du mur Ouest de la façade ». La cour estime que ces changements, bien que non négligeables, ne sont pas d’une ampleur suffisante pour altérer la conception générale du projet initial. Le juge administratif confirme ainsi une approche souple de la notion de bouleversement, appréciée au cas par cas en fonction de la nature et de l’importance des modifications. Le moyen tiré de la nécessité d’un nouveau permis de construire est donc logiquement écarté.

B. La neutralisation d’une non-conformité persistante au plan local d’urbanisme

L’argument central du requérant portait sur la violation de l’article U 7.3 du plan local d’urbanisme (PLU), qui imposait un recul de quatre mètres pour les constructions avec toitures-terrasses. Le permis initial autorisait une implantation à un mètre seulement de la limite séparative, en méconnaissance de cette règle. Le permis modificatif, tout en modifiant la façade et en surélevant la toiture-terrasse, portait la distance à « un peu moins de deux mètres », restant ainsi en deçà des quatre mètres réglementaires.

La cour reconnaît expressément que « le projet résultant du permis de construire modificatif du 3 décembre 2021 méconnaît toujours les règles d’implantation fixées par les dispositions précitées du règlement du PLU ». Cependant, elle ne tire pas de cette constatation une conséquence d’annulation. Elle s’appuie sur le caractère définitif du permis de construire initial pour considérer que l’illégalité qu’il comportait est cristallisée. Dès lors, le permis modificatif ne peut être censuré sur ce fondement que s’il aggrave cette illégalité préexistante. Or, en l’espèce, la cour estime que tel n’est pas le cas.

La constatation de cette illégalité persistante mais non aggravée amène la cour à adopter une solution pragmatique, dont il convient d’analyser la portée.

II. La portée de la neutralisation d’une illégalité préexistante et non aggravée

La décision de la cour administrative d’appel s’inscrit dans une logique jurisprudentielle bien établie visant à ne pas remettre en cause des situations consolidées (A), tout en livrant une solution d’espèce dont la généralisation doit être nuancée (B).

A. L’application du principe de non-aggravation de l’illégalité

En refusant d’annuler le permis modificatif au motif qu’il ne corrigeait pas une illégalité du permis initial, la cour fait prévaloir la sécurité juridique. Le permis initial étant devenu définitif, il ne pouvait plus être contesté. Permettre l’annulation d’un permis modificatif au seul motif qu’il ne purge pas une illégalité antérieure reviendrait à contourner le caractère définitif de l’autorisation primitive. La jurisprudence a donc consacré le principe selon lequel un permis modificatif n’est illégal que s’il aggrave la non-conformité ou en crée une nouvelle.

Dans cet arrêt, le juge applique ce principe avec attention. Il relève que si le projet reste non conforme, « cette méconnaissance n’est, eu égard à l’objet de ces dispositions, pas aggravée par rapport au permis de construire initial devenu définitif ». L’analyse est fine, car le juge examine l’objet de la règle méconnue, à savoir la protection des voisins contre les vues et les effets de surplomb. En l’espèce, la cour note que les modifications n’augmentent pas l’effet de surplomb et que la toiture-terrasse n’est pas destinée à être utilisée comme un lieu de vie. Cette approche finaliste de la règle d’urbanisme permet de conclure à l’absence d’aggravation de la nuisance pour le voisinage.

B. Une solution pragmatique aux conséquences limitées

Cette solution, si elle est juridiquement fondée, peut apparaître comme consacrant une forme d’impunité pour les illégalités non contestées dans les délais. Le pétitionnaire bénéficie d’une construction non conforme, et le permis modificatif vient en quelque sorte conforter cette situation. Toutefois, la cour encadre strictement son raisonnement, ce qui limite la portée de sa décision à un cas d’espèce.

En effet, le juge prend soin de relever plusieurs éléments factuels spécifiques pour justifier l’absence d’aggravation. Il mentionne notamment que la toiture « n’a pas vocation à être utilisée comme une terrasse » et que les modifications « n’augmentent pas son effet de surplomb sur le fonds voisin ». Ces précisions suggèrent qu’une solution différente aurait pu être retenue si les modifications, même sans formellement aggraver la violation de la règle de distance, avaient eu pour effet d’accroître la gêne pour les tiers. De même, l’analyse relative à la qualification des talus, considérés comme n’étant pas des « buttes » interdites par l’article U 11.2 du PLU, repose sur une appréciation concrète de leur hauteur et de leur impact visuel. L’arrêt illustre ainsi un contrôle pragmatique du juge, attentif aux circonstances de l’espèce et peu enclin à une application mécanique des règles d’urbanisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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