Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 13 juillet 1989. – Skatteministeriet contre Morten Henriksen. – Demande de décision préjudicielle: Højesteret – Danemark. – Taxe sur le chiffre d’affaires – Exonération. – Affaire 173/88.

Par un arrêt du 17 mai 1989, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation de l’article 13, partie B, lettre b), de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L’affaire trouve son origine dans un litige fiscal au Danemark. Un propriétaire de plusieurs garages fermés, construits en lien avec un ensemble immobilier résidentiel, contestait l’assujettissement de la location de ces garages à la taxe sur la valeur ajoutée. Ces garages étaient loués tant à des résidents de l’ensemble immobilier voisin qu’à des tiers.

Saisi en première instance, l’Østre Landsret avait donné raison au propriétaire, estimant que la notion d’« emplacements pour le stationnement » ne couvrait pas des garages fermés et que la directive européenne n’imposait pas une interprétation différente. L’administration fiscale a alors formé un pourvoi devant le Højesteret. Cette juridiction, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour l’essentiel de déterminer si la notion de « locations d’emplacement pour le stationnement des véhicules », exclue de l’exonération de TVA applicable aux locations immobilières, englobait la location de garages fermés. La question se posait également de savoir si, dans l’affirmative, les États membres étaient tenus d’assujettir ces locations à la taxe ou s’ils conservaient une faculté d’exonération.

La Cour de justice répond que la notion de « locations d’emplacement pour le stationnement des véhicules » vise bien toutes les surfaces destinées à cet usage, y compris les garages fermés. Elle tempère toutefois cette solution en précisant que ces locations ne sont pas exclues du bénéfice de l’exonération si elles sont étroitement liées à une location principale, elle-même exonérée, de biens immeubles destinés à un autre usage. En outre, la Cour affirme que les États membres ont l’obligation d’assujettir à la taxe les locations qui ne bénéficient pas d’une telle exonération.

L’arrêt clarifie ainsi le périmètre de l’exception à l’exonération de TVA pour les locations immobilières (I), tout en confirmant le caractère impératif de l’assujettissement pour les opérations visées par cette exception (II).

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I. L’interprétation extensive de l’exception à l’exonération de la location immobilière

La Cour adopte une définition large de la notion d’emplacement de stationnement en se fondant sur la finalité de la directive (A), mais elle y apporte une limite importante en consacrant la théorie de l’opération économique unique pour les locations accessoires (B).

A. La primauté d’une interprétation téléologique sur l’approche littérale

Face aux divergences entre les versions linguistiques de la directive, la Cour écarte une interprétation purement textuelle. Elle se réfère à l’économie générale du texte pour dégager le sens de la disposition. Le principe général de la directive est l’assujettissement des opérations à la taxe sur la valeur ajoutée, les exonérations constituant des dérogations. L’article 13, partie B, lettre b), prévoit une exonération pour l’affermage et la location de biens immeubles, mais cette exonération comporte elle-même des exceptions, parmi lesquelles figurent « les locations d’emplacement pour le stationnement des véhicules ». En tant qu’exception à une exonération, cette disposition doit être interprétée de manière à ne pas restreindre la portée du régime général de taxation. La Cour en déduit que « cette clause ne saurait donc recevoir une interprétation restrictive en ce sens que seules les aires de stationnement ouvertes, à l’exclusion des garages fermés, seraient susceptibles d’entrer dans son champ d’application ». Cette approche finaliste permet d’assurer une application uniforme de la taxe, indépendamment du caractère ouvert ou fermé des lieux de stationnement, une conception d’ailleurs partagée par l’ensemble des législations nationales des États membres.

B. La consécration de la théorie de l’accessoire pour les locations connexes

Après avoir posé un principe d’interprétation large, la Cour le nuance de manière significative en introduisant la notion de lien étroit entre deux locations. Elle juge que « ne saurait être exclue de l’exonération ainsi prévue la location d’emplacement pour le stationnement des véhicules, lorsque cette location est étroitement liée à la location, elle-même exonérée, d’immeubles destinés à un autre usage, tels que des immeubles à usage d’habitation ou à usage commercial, en ce sens que les deux locations forment une opération économique unique ». Pour qu’une telle opération unique soit caractérisée, deux conditions cumulatives doivent être remplies. D’une part, l’emplacement de stationnement et le bien principal doivent faire partie du même ensemble immobilier. D’autre part, les deux biens doivent être loués au même locataire par le même propriétaire. Cette solution pragmatique évite de scinder artificiellement la location d’un logement et de son garage, qui sont perçus par le preneur comme un tout indissociable. Elle préserve ainsi la finalité de l’exonération accordée aux locaux d’habitation, en considérant que le garage n’est que l’accessoire de l’habitation principale.

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II. L’affirmation du caractère obligatoire de l’assujettissement à la taxe

La Cour répond à la seconde question en écartant toute marge de manœuvre des États membres pour étendre le champ de l’exonération (A), ce qui a pour conséquence de rendre l’assujettissement contraignant pour les locations exclues de l’exonération (B).

A. Le rejet de la faculté pour les États membres d’étendre le champ de l’exonération

La Cour rappelle que si les États membres peuvent fixer les conditions des exonérations, c’est uniquement « en vue d’assurer l’application correcte et simple » de celles-ci et de prévenir la fraude. Cette compétence ne leur permet en aucun cas de modifier la substance des exonérations définies par la directive. La Cour souligne que « ces « conditions » ne sauraient porter sur la définition du contenu des exonérations prévues ». La détermination du champ d’application de la TVA relève en effet de la compétence communautaire afin de garantir une harmonisation effective de l’assiette de l’impôt. Permettre aux États de redéfinir les notions clés de la directive viderait celle-ci de sa substance et créerait des distorsions de concurrence au sein du marché commun. Par conséquent, un État membre ne peut pas décider d’exonérer une opération que la directive exclut expressément de l’exonération.

B. La portée contraignante de l’exclusion de l’exonération

La Cour analyse ensuite la faculté laissée aux États membres par le dernier alinéa de l’article 13, partie B, lettre b), de prévoir des « exclusions supplémentaires au champ d’application de cette exonération ». Elle en conclut, par une interprétation littérale de cette disposition, que les États ne peuvent que restreindre davantage le bénéfice de l’exonération, et non l’élargir. Autrement dit, ils peuvent décider de taxer des locations immobilières que la directive autorise à exonérer, mais l’inverse n’est pas permis. Il en découle que « si les États membres sont libres de restreindre, par l’institution d’exclusions supplémentaires, la portée de l’exonération en cause, ils ne sont pas autorisés à excepter de l’assujettissement à la taxe des opérations qui sont exclues de cette exonération ». Les États membres sont donc tenus d’assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée les locations d’emplacement pour le stationnement de véhicules, sauf lorsque celles-ci sont l’accessoire d’une location principale exonérée. Cet arrêt réaffirme ainsi avec force le caractère obligatoire des dispositions de la directive définissant l’assiette de la taxe.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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