Un litige opposait une société, propriétaire de locaux à usage de bureaux au sein d’un ensemble immobilier, à l’autorité administrative municipale au sujet d’une autorisation d’implanter des enseignes accordée à une autre société exploitant une activité commerciale dans le même ensemble. La société propriétaire avait acquis une partie d’un bâtiment situé sur une place parisienne renommée. L’autorisation contestée permettait à une grande enseigne de bricolage, dont le local de vente se trouvait en cœur d’îlot, d’installer des dispositifs de signalisation, dont une enseigne lumineuse, sur la façade du bâtiment appartenant en partie à la société requérante et donnant sur la place.
La société propriétaire, après avoir vainement exercé un recours gracieux auprès de l’autorité municipale pour obtenir le retrait de l’autorisation, a saisi le tribunal administratif de Paris. Elle soutenait notamment que les dispositifs en cause n’étaient pas des enseignes mais des préenseignes, et qu’ils ne respectaient donc pas la réglementation applicable. Par un jugement du 29 février 2024, le tribunal administratif a rejeté sa demande, estimant que les dispositifs litigieux constituaient bien des enseignes au sens du code de l’environnement. La société a alors interjeté appel de ce jugement, maintenant sa position. Devant la cour administrative d’appel, l’appelante contestait la qualification juridique retenue par les premiers juges. La commune et la société bénéficiaire de l’autorisation concluaient au rejet de la requête, arguant que l’ensemble immobilier formait une seule et même unité foncière, justifiant ainsi la qualification d’enseigne.
Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si des dispositifs de signalisation relatifs à une activité exercée dans un bâtiment en cœur d’îlot, mais apposés sur la façade d’un autre bâtiment du même ensemble immobilier en copropriété donnant sur la voie publique, doivent être qualifiés d’enseignes ou de préenseignes au sens de l’article L. 581-3 du code de l’environnement.
Par l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que les dispositifs litigieux constituent bien des enseignes, car ils sont implantés sur un immeuble où s’exerce l’activité signalée. Pour parvenir à cette conclusion, elle retient que l’ensemble des bâtiments, situés sur une même parcelle cadastrale et soumis au statut de la copropriété, constitue un « même immeuble » au sens des dispositions applicables. La cour ajoute que l’accès principal au local commercial se fait par le porche du bâtiment sur la façade duquel les enseignes sont installées, renforçant l’idée d’une unité fonctionnelle.
Cette décision conduit à analyser la conception extensive de la notion d’immeuble retenue par le juge pour qualifier un dispositif de signalisation (I), avant d’examiner la portée d’une telle solution, qui conforte la lisibilité de l’activité commerciale tout en soulevant des questions quant aux droits des autres occupants (II).
***
I. L’application extensive de la notion d’enseigne au sein d’un ensemble immobilier complexe
Pour écarter la qualification de préenseigne, la cour administrative d’appel s’appuie sur une définition large de l’immeuble d’exercice de l’activité, en confirmant une approche fondée sur l’unité foncière (A) et en la complétant par une recherche pragmatique de l’accès principal du commerce (B).
A. La confirmation du critère de l’unité immobilière
Le code de l’environnement distingue l’enseigne, qui est « apposée sur un immeuble et relative à une activité qui s’y exerce », de la préenseigne, qui indique seulement la « proximité d’un immeuble où s’exerce une activité ». La qualification juridique dépend donc de manière déterminante de la délimitation de l’immeuble. En l’espèce, les juges du fond valident le raisonnement de l’administration en considérant que l’ensemble du complexe immobilier, bien que composé de plusieurs bâtiments distincts, ne forme qu’une seule et même entité.
La cour relève ainsi que « le local dans lequel la société […] exerce son activité est situé sur la même parcelle cadastrale n° 0122 que le bâtiment A, l’ensemble immobilier relève dans sa globalité du statut de la copropriété, et les façades, dont celles du bâtiment A sur lesquelles ont été autorisés les dispositifs en litige, constituent des parties communes ». De ces trois éléments factuels et juridiques, elle déduit que « la totalité de cet ensemble immobilier constitue un même immeuble au sens des dispositions précitées ». Cette approche unitaire, fondée sur les données cadastrales et le régime de la copropriété, permet de considérer que l’activité est bien exercée « dans l’immeuble » sur lequel les dispositifs sont apposés, même si elle ne l’est pas dans le bâtiment spécifique qui leur sert de support matériel. La solution consacre une vision juridique et non purement matérielle de l’immeuble.
B. La recherche pragmatique de l’accès principal de l’activité
Au-delà de l’analyse purement foncière, la cour prend soin de vérifier la pertinence de sa solution au regard de la réalité fonctionnelle de l’exploitation commerciale. L’objectif d’une enseigne étant d’informer le public et de lui permettre de localiser une activité, la localisation de l’accès principal devient un indice déterminant pour rattacher l’enseigne à l’immeuble. La juridiction observe que l’entrée majeure du magasin se situe précisément au niveau du bâtiment sur lequel les dispositifs sont implantés.
Elle souligne que « l’accès principal à ce local commercial se fait par le porche situé au 25 place de la Madeleine, à partir duquel il est visible ». Le juge renforce cette constatation en se référant à l’adresse communiquée à la clientèle sur les réseaux sociaux, qui correspond à celle du porche. Il va même jusqu’à puiser dans le constat d’huissier produit par la requérante elle-même un argument confortant sa thèse, relevant que ce document atteste du « caractère d’entrée principale de cet accès ». En combinant ainsi une approche juridique de la notion d’immeuble et une appréciation concrète de sa fonctionnalité commerciale, la cour consolide la qualification d’enseigne et écarte définitivement l’application du régime plus restrictif des préenseignes.
II. La portée de la solution : entre sécurité juridique et risque d’atteinte aux droits des copropriétaires
En retenant une définition large de l’immeuble, la décision offre une solution favorable à la lisibilité de l’activité commerciale (A), mais elle n’est pas sans soulever la question d’une possible interprétation préjudiciable aux autres occupants de l’immeuble (B).
A. Une solution favorable à la lisibilité de l’activité commerciale
La portée de cet arrêt est avant tout de sécuriser la situation des commerces implantés au sein d’ensembles immobiliers complexes, tels que des cours ou des galeries n’ayant pas un accès direct sur la voie publique. En permettant que l’enseigne soit déportée sur la façade principale de l’ensemble, la jurisprudence facilite l’identification du commerce par sa clientèle. La solution s’inscrit dans une logique économique et pragmatique, reconnaissant que l’attractivité d’un commerce dépend de sa visibilité.
Refuser la qualification d’enseigne dans un tel cas de figure aurait contraint l’exploitant à recourir au régime des préenseignes, beaucoup plus encadré et restrictif, voire interdit dans certaines zones. Une telle solution aurait pu entraver de manière significative, voire rendre impossible, l’exploitation de locaux commerciaux situés en cœur d’îlot. La décision commentée apparaît donc comme une confirmation d’une jurisprudence protectrice de la liberté du commerce et de l’industrie, en adaptant l’interprétation des règles d’urbanisme commercial aux configurations immobilières modernes. Elle offre ainsi une prévisibilité bienvenue pour les exploitants et les autorités administratives compétentes.
B. Une interprétation potentiellement préjudiciable aux autres occupants de l’immeuble
Si la solution est cohérente au regard du droit de l’urbanisme et de la réglementation de la publicité extérieure, elle peut néanmoins être discutée sous l’angle du droit de la copropriété et du trouble de jouissance. En effet, la décision autorise l’apposition de l’enseigne d’un copropriétaire sur la façade d’un bâtiment qui abrite les locaux d’un autre copropriétaire, ces façades étant des parties communes. Le propriétaire des bureaux peut légitimement considérer que la présence d’une enseigne commerciale, de surcroît lumineuse, sur son environnement immédiat porte atteinte à la tranquillité ou à l’image de sa propre activité.
L’arrêt ne se prononce pas sur cet aspect du litige, qui relève davantage des rapports de droit privé entre copropriétaires et potentiellement du règlement de copropriété. Toutefois, en validant l’autorisation administrative, il conforte une situation où les intérêts d’un occupant commercial semblent primer sur ceux d’un autre occupant. La décision illustre ainsi la tension qui peut exister entre une règle de droit public, interprétée à la lumière de ses objectifs propres, et les prérogatives attachées au droit de propriété au sein d’une collectivité de copropriétaires. Elle laisse ouverte la question de l’indemnisation ou de la compensation d’un éventuel préjudice de jouissance subi par la société requérante.