Dans une décision rendue au début de l’année 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions dans lesquelles l’obligation d’exécution d’un jugement doit être regardée comme satisfaite. En l’espèce, des particuliers avaient obtenu, par un jugement d’un tribunal administratif de 2022, l’annulation d’une délibération municipale de 1996 qui autorisait l’échange de parcelles constitutives de chemins ruraux au profit d’un propriétaire privé. Le tribunal avait alors enjoint à la commune d’engager une procédure de résolution amiable de cet échange et, en cas d’échec dans un délai imparti, de saisir le juge du contrat afin qu’il statue sur les conséquences de l’annulation de l’acte administratif.
La procédure a révélé que la commune n’a pas obtenu de résolution amiable, et les particuliers, estimant que l’injonction de saisir le juge n’avait pas été respectée, ont initié une procédure d’exécution forcée. Cette demande a été formulée après qu’un premier arrêt de la cour administrative d’appel, datant de mars 2024, eut confirmé le jugement de première instance et assorti l’injonction de saisir le juge du contrat d’une astreinte financière. Face à la demande d’exécution, la commune a soutenu avoir rempli ses obligations en engageant une action devant le tribunal judiciaire compétent, produisant à cet effet une copie de l’assignation délivrée. Les requérants contestaient la force probante des pièces fournies, les jugeant insuffisantes pour attester de la réalité de la saisine.
La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si la production d’une assignation, dont la notification par commissaire de justice est établie et qui mentionne un numéro d’enregistrement au greffe, suffit à considérer comme exécutée une décision de justice enjoignant à une administration de saisir le juge du contrat.
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative en prononçant un non-lieu à statuer sur la demande d’exécution. Elle estime que la commune, en justifiant de la notification de l’assignation aux tiers concernés et de l’enrôlement de sa requête, a rapporté la preuve qu’elle avait bien saisi le juge du contrat. Dès lors, les conclusions tendant à voir ordonner des mesures d’exécution sont devenues sans objet. Cette solution met en lumière la conception pragmatique retenue par le juge pour apprécier l’exécution d’une injonction (I), tout en confirmant les limites inhérentes au contrôle qu’il exerce dans ce cadre (II).
***
I. La consécration d’une approche pragmatique de la preuve de l’exécution
La décision commentée illustre la manière dont le juge de l’exécution évalue le respect d’une injonction de saisir une autre juridiction. Il se fonde sur une analyse concrète des diligences accomplies par l’administration débitrice de l’obligation. Cette approche repose d’une part sur la nature même de l’injonction de saisir le juge du contrat (A) et d’autre part sur l’appréciation de la valeur probante des actes de procédure présentés (B).
A. L’injonction de saisir le juge du contrat comme mesure d’exécution principale
En annulant la délibération de 1996, le juge administratif ne pouvait, de sa propre autorité, anéantir les effets du contrat d’échange passé sur son fondement, lequel relevait de la compétence du juge judiciaire. L’injonction de saisir ce dernier est l’instrument procédural qui permet de tirer toutes les conséquences de l’illégalité de l’acte détachable. L’arrêt de mars 2024 avait d’ailleurs souligné la nécessité de cette démarche en la renforçant par une astreinte, signifiant que l’obligation principale de la commune était bien de provoquer l’intervention du juge compétent pour statuer sur le sort du contrat. L’objet de l’obligation d’exécution n’était donc pas d’obtenir la résolution effective de l’échange, mais bien d’accomplir les actes procéduraux nécessaires pour y parvenir. Le juge de l’exécution devait ainsi vérifier si cette obligation de faire, à savoir l’introduction d’une instance, avait été matériellement réalisée.
B. La valeur probante des actes de procédure comme critère d’appréciation
Face aux arguments des requérants qui mettaient en doute la réalité de la saisine, la cour adopte une position réaliste. Elle considère que la production par la commune de la copie de l’assignation notifiée par un commissaire de justice, couplée à la mention du numéro d’enregistrement de l’affaire, constitue une preuve suffisante. La cour énonce que « la commune de Noyant-Villages doit être regardée comme établissant qu’elle a saisi le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation de la délibération du 29 novembre 1996 ». Ce faisant, elle ne s’attache pas à des exigences formelles excessives, telles que la production d’un accusé de réception du greffe ou d’autres documents que les requérants réclamaient. Le juge se contente de la preuve de l’accomplissement des deux formalités essentielles qui matérialisent l’engagement d’une procédure : la signification de l’acte introductif d’instance à la partie adverse et son enregistrement par la juridiction.
II. La portée limitée du contrôle du juge de l’exécution
En se satisfaisant des éléments produits par la commune, la cour administrative d’appel rappelle implicitement les frontières de son office. Son contrôle se limite à la vérification de l’exécution matérielle de l’injonction, sans s’étendre à la substance de l’action engagée (A), ce qui conduit logiquement au constat d’un non-lieu à statuer (B).
A. Le refus de contrôler la substance et l’effectivité de l’action engagée
L’office du juge de l’exécution, tel qu’il ressort de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, est de s’assurer que les mesures prescrites par une décision de justice ont été mises en œuvre. Il ne lui appartient pas de se substituer au juge saisi au fond pour apprécier la pertinence, les chances de succès ou la conduite de l’action engagée par l’administration. En validant la saisine sur la base des pièces présentées, la cour se garde de porter un jugement sur la manière dont la commune conduira l’instance devant le tribunal judiciaire. Les doutes des requérants sur la complétude formelle de l’assignation, qui relèvent davantage de la recevabilité de l’action devant le juge judiciaire, ne sont pas de nature à remettre en cause le fait matériel de la saisine aux yeux du juge de l’exécution. Cette retenue est indispensable au respect de la séparation des ordres de juridiction.
B. L’inéluctable constat du non-lieu à statuer
Dès lors que la cour estime que l’obligation a été exécutée, la requête à fin d’exécution perd son objet. Le prononcé d’un non-lieu à statuer est la conséquence directe et mécanique de cette appréciation. La décision énonce clairement que le jugement et l’arrêt « doivent être considérés comme exécutés », ce qui prive de toute justification la poursuite de la procédure d’exécution. Par conséquent, la demande visant à obtenir la liquidation de l’astreinte ou le prononcé de nouvelles mesures coercitives ne peut qu’être écartée. Cette solution, bien que technique, confirme que la procédure d’exécution n’a pas pour finalité de garantir l’issue d’un contentieux ultérieur, mais uniquement de s’assurer que les diligences ordonnées par le juge ont été accomplies. En l’espèce, la saisine du juge judiciaire étant avérée, la mission du juge de l’exécution était terminée.