Cour d’appel administrative de Paris, le 21 mai 2025, n°24PA00004

Par un arrêt en date du 21 mai 2025, une cour administrative d’appel a précisé le régime fiscal applicable à une indemnité perçue en exécution d’une promesse de crédit-bail immobilier. En l’espèce, un contribuable, dirigeant et unique associé d’une société, avait conclu avec cette dernière une convention de promesse de crédit-bail immobilier. Ce contrat prévoyait le versement au profit du promettant d’une indemnité d’immobilisation de 650 000 euros, qui lui resterait acquise si l’opération n’était pas réalisée du fait de la société bénéficiaire. L’opération n’ayant pas été menée à son terme, le promettant a conservé ladite somme sans toutefois la déclarer à l’administration fiscale. À la suite d’un contrôle, l’administration a réintégré cette somme dans les revenus du foyer fiscal, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, et a appliqué une majoration de quarante pour cent pour manquement délibéré. Saisi par les contribuables, le tribunal administratif de Paris a confirmé la position de l’administration. Les requérants ont alors interjeté appel du jugement.

La question soumise aux juges d’appel était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une indemnité d’immobilisation perçue dans le cadre d’une promesse de crédit-bail non réalisée constitue un profit imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. D’autre part, il convenait d’établir si l’omission de déclarer cette somme caractérisait un manquement délibéré justifiant l’application d’une majoration des droits. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative à ces deux questions. Elle juge que l’indemnité rémunère bien un service imposable et que les circonstances factuelles révèlent une intention d’éluder l’impôt. La Cour, par une analyse pragmatique des stipulations contractuelles, a ainsi confirmé la nature imposable de l’indemnité (I), avant de valider la sanction appliquée en raison du caractère intentionnel de l’omission déclarative (II).

I. La qualification fiscale de l’indemnité : une approche pragmatique du service rendu

La Cour fonde sa décision sur une analyse économique de la convention, considérant que l’indemnité constitue la contrepartie d’un service, ce qui justifie sa requalification en profit imposable (A). Elle écarte ainsi une lecture purement formaliste de l’acte qui aurait pu faire obstacle à l’imposition (B).

A. La requalification de l’indemnité en profit imposable

Les requérants soutenaient que la somme perçue devait s’analyser comme une indemnité réparant un préjudice né du refus de conclure un contrat synallagmatique, et non comme la rémunération d’un service. La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur les termes mêmes de la convention. Elle relève que selon le contrat, l’indemnité est versée « en contrepartie de la régularisation du présent contrat », ce qui établit un lien direct avec la conclusion de la promesse elle-même. La Cour en déduit que l’indemnité litigieuse « rémunère le service rendu par [le promettant] à la société (…) en immobilisant le bien immobilier au cours de la période courant jusqu’à la date de réalisation de cette promesse et en lui réservant la possibilité de le louer en crédit-bail ».

Cette analyse permet de rattacher le gain réalisé à la catégorie des bénéfices non commerciaux, en application des dispositions de l’article 92 du code général des impôts. Cet article vise en effet toutes les « sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ». La Cour considère que le service de réservation et d’immobilisation d’un bien constitue une telle source de profit. En l’absence de qualification spécifique, ce revenu entre donc dans le champ de cette catégorie fiscale par défaut, confirmant une jurisprudence constante qui privilégie la substance des opérations sur leur apparence.

B. Le rejet d’une analyse purement formaliste du contrat

Pour tenter d’échapper à l’imposition, les contribuables avançaient que l’acte litigieux n’était pas une promesse unilatérale de vente mais une promesse de crédit-bail, et que la promesse de vente n’en était qu’une composante. Cet argument visait à déconnecter l’indemnité de sa qualification usuelle d’indemnité d’immobilisation, typique des promesses unilatérales de vente. Cependant, la Cour écarte cette distinction, la jugeant inopérante pour la qualification fiscale. Peu importe la nature juridique complexe de l’acte global, le juge se concentre sur la fonction économique de la somme versée.

La Cour précise que « alors même que la promesse de crédit-bail immobilier (…) n’est pas par elle-même une promesse unilatérale de vente », l’indemnité rémunère bien un service d’immobilisation. Cette approche pragmatique est essentielle en droit fiscal, car elle permet de prévenir les montages dont la seule finalité serait d’éluder l’impôt par le biais d’une qualification juridique artificielle. La décision réaffirme ainsi le principe de la prééminence de la réalité économique sur l’apparence juridique pour déterminer l’assiette de l’impôt, garantissant une juste application de la loi fiscale.

II. La caractérisation du manquement délibéré : une appréciation souveraine des faits

Après avoir confirmé le bien-fondé de l’imposition, la Cour se penche sur la majoration appliquée par l’administration fiscale. Elle justifie le maintien de la sanction en s’appuyant sur un faisceau d’indices concordants révélant l’intention d’éluder l’impôt (A), adressant par là même un avertissement clair quant aux risques encourus lors de montages contractuels entre parties liées (B).

A. Les indices retenus pour établir l’intention d’éluder l’impôt

La majoration de quarante pour cent prévue à l’article 1729 du code général des impôts suppose que l’administration rapporte la preuve d’un « manquement délibéré ». Dans cette affaire, la Cour estime cette preuve établie. Elle s’appuie sur plusieurs éléments factuels pour forger sa conviction. D’abord, le contribuable, en sa qualité de dirigeant et unique associé de la société cocontractante, a lui-même « entièrement déterminé » les stipulations de la convention, ce qui exclut toute ambiguïté ou contrainte extérieure. Ensuite, le montant de l’indemnité était particulièrement élevé, représentant « 168 % du revenu déclaré du foyer fiscal », rendant peu crédible une simple omission par inadvertance.

L’élément le plus déterminant réside toutefois dans le comportement postérieur du contribuable. La Cour relève qu’après avoir reçu la proposition de rectification, les parties ont signé un avenant requalifiant l’indemnité d’immobilisation en « arrhes ». Cet agissement est interprété comme une tentative de modifier a posteriori la nature de la somme pour échapper à l’imposition, ce qui démontre la conscience qu’avait le contribuable du caractère taxable de ce revenu. La combinaison de ces éléments permet à la Cour de conclure que l’administration établit « la volonté délibérée des requérants d’éluder l’impôt ».

B. La portée de la décision : un rappel à la vigilance des contribuables

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt illustre la sévérité avec laquelle le juge administratif apprécie les opérations conclues entre un dirigeant et sa propre société. La confusion des intérêts entre le promettant et la société bénéficiaire, dont le contribuable était l’unique maître, a manifestement pesé dans l’appréciation du caractère intentionnel de la faute. Le juge se montre particulièrement méfiant envers des schémas contractuels où une partie contrôle l’ensemble de l’opération, car ils peuvent aisément dissimuler une appréhension de revenus sous l’apparence d’une transaction commerciale normale.

La décision rappelle que le contribuable ne peut se prévaloir d’une prétendue complexité juridique pour justifier une omission déclarative, surtout lorsqu’il est à l’origine de cette complexité. Le fait que la société fût en redressement judiciaire depuis plusieurs années a également pu être perçu comme un indice supplémentaire du caractère artificiel du montage. En validant la majoration dans de telles circonstances, la Cour adresse un signal fort aux contribuables : les montages optimisants, lorsqu’ils manquent de substance économique et révèlent une intention frauduleuse, seront non seulement redressés mais aussi lourdement sanctionnés.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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