Cour d’appel administrative de Toulouse, le 31 décembre 2024, n°23TL02707

En l’espèce, une personne occupait un logement pour lequel une décision de justice ordonnant son expulsion avait été prononcée par le tribunal d’instance de Perpignan en date du 6 janvier 2016, puis confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 13 novembre 2018. Le nouveau propriétaire du bien a sollicité du préfet des Pyrénées-Orientales le concours de la force publique afin de procéder à l’expulsion, ce que l’autorité préfectorale a accordé par une décision du 24 novembre 2021. L’occupante a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier d’une demande d’annulation de cette décision préfectorale. Par un jugement du 19 septembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision d’expulsion n’avait pas de caractère exécutoire, faute de signification régulière du jugement de première instance, et que, par conséquent, le préfet ne pouvait légalement accorder son concours. Le préfet ainsi que la société propriétaire concluaient au rejet de la requête.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si le concours de la force publique peut être légalement accordé pour l’exécution d’une mesure d’expulsion lorsque le jugement de première instance l’ordonnant, bien que confirmé en appel, n’a pas été formellement signifié à l’occupant.

Par un arrêt du 31 décembre 2024, la cour administrative d’appel annule le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision préfectorale. Elle juge que l’octroi du concours de la force publique est subordonné au caractère exécutoire de la décision de justice à exécuter. Or, la cour relève que l’exécution forcée d’un jugement confirmé en appel requiert la signification de l’arrêt d’appel mais également celle du jugement de première instance. En l’absence de preuve de la signification de ce dernier, la décision de justice n’avait pas acquis force exécutoire, privant ainsi de base légale l’arrêté préfectoral accordant le concours de la force publique.

Cette décision vient préciser les contours du contrôle exercé par l’autorité administrative sur la validité des titres exécutoires qui lui sont soumis (I), renforçant ainsi la protection procédurale due à l’occupant faisant l’objet d’une mesure d’expulsion (II).

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I. Le contrôle renforcé de l’autorité administrative sur le caractère exécutoire du titre de justice

L’intervention de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice constitue une prérogative de l’État, dont l’exercice est néanmoins strictement encadré. La décision commentée rappelle que si ce concours est un devoir (A), il est conditionné par une vérification préalable de la pleine force exécutoire du titre présenté (B).

A. Le principe du devoir de prêter le concours de la force publique

En vertu de l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, l’État a l’obligation de prêter son concours à l’exécution des jugements et autres titres exécutoires. Ce principe fondamental garantit l’effectivité des décisions de justice, sans laquelle le droit à un recours effectif serait vidé de sa substance. Le refus de l’État d’accorder ce concours, lorsqu’il n’est pas légalement justifié, est susceptible d’engager sa responsabilité et d’ouvrir droit à réparation pour le créancier de l’obligation inexécutée.

Toutefois, ce devoir de l’administration n’est ni absolu ni automatique. Il incombe au préfet, saisi d’une réquisition par un huissier de justice, de ne pas se comporter en simple agent d’enregistrement. Il doit s’assurer que les conditions légales de l’octroi de son concours sont réunies. Parmi celles-ci figure au premier chef le caractère exécutoire de la décision de justice dont l’application est poursuivie. La présente décision illustre avec clarté la rigueur avec laquelle le juge administratif examine l’accomplissement de cette diligence par l’autorité préfectorale.

B. La double signification comme condition de la force exécutoire

La cour administrative d’appel précise l’étendue du contrôle que le préfet doit opérer. Elle ne se limite pas à vérifier l’existence matérielle d’une décision de justice. Le préfet doit s’assurer que cette décision peut légalement faire l’objet d’une exécution forcée. À cet égard, la cour énonce une règle procédurale déterminante en citant sa propre interprétation des textes applicables : « l’exécution forcée des condamnations résultant d’un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l’arrêt et du jugement ».

Cette exigence d’une double signification, celle du jugement de première instance et celle de l’arrêt confirmatif, est essentielle. Elle garantit que la partie condamnée a eu une connaissance formelle et indiscutable de chacune des décisions judiciaires fondant la mesure d’exécution dirigée contre elle. En l’espèce, bien que l’arrêt d’appel de 2018 ait été signifié, l’absence de preuve de la signification du jugement initial de 2016 vicie la procédure. La cour en déduit que le titre n’est pas exécutoire, et que le préfet, en accordant son concours, a commis une erreur de droit.

II. La protection affirmée de l’occupant contre une exécution irrégulière

En annulant la décision préfectorale, la cour ne fait pas seulement œuvre de contrôle de légalité ; elle consacre la primauté des garanties procédurales (A), ce qui emporte des conséquences significatives sur la situation des personnes menacées d’expulsion (B).

A. La sanction d’une garantie procédurale substantielle

La décision commentée confère toute sa portée à l’exigence de signification. Cet acte de procédure n’est pas une simple formalité ; il constitue une garantie fondamentale pour la personne condamnée, en ce qu’il marque le point de départ des voies de recours et conditionne la possibilité d’une exécution forcée. En jugeant que l’absence de signification du premier jugement faisait obstacle à l’exécution, même après un arrêt d’appel signifié, la cour rappelle que les conditions de la force exécutoire doivent être appréciées strictement.

Le fait que la cour annule la décision « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête » démontre le caractère dirimant de cette irrégularité. Peu importent les autres arguments soulevés par la requérante, tenant à sa situation personnelle, au défaut de motivation ou à d’autres vices de procédure. La seule absence de force exécutoire du titre de justice suffit à rendre illégal le concours de la force publique. Cette approche rigoureuse protège l’administré contre une action de la puissance publique qui reposerait sur un fondement juridique imparfait.

B. La portée de la solution pour la sécurité juridique de l’expulsé

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt a une portée pédagogique importante. Il envoie un signal clair aux préfets et aux huissiers de justice quant à la nécessité de vérifier scrupuleusement la régularité de l’ensemble des actes judiciaires avant de requérir ou d’accorder le concours de la force publique. L’expulsion étant une mesure particulièrement grave, portant atteinte au domicile de la personne, elle ne peut être mise en œuvre que si le respect des formes a été irréprochable.

Cette solution renforce la sécurité juridique de l’occupant. Elle lui assure qu’il ne pourra être contraint par la force à quitter son logement qu’après avoir été mis en mesure de prendre connaissance de manière certaine et formelle de l’intégralité du cheminement contentieux ayant abouti à cette issue. En subordonnant l’action de l’État à cette double vérification, le juge administratif consolide le rempart des garanties procédurales face à une mesure d’exécution dont les conséquences humaines et sociales sont considérables.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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