Cour d’appel administrative de Marseille, le 19 juin 2025, n°24MA00183

Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a statué sur la légalité d’un permis de construire modificatif délivré par le maire d’une commune littorale. Des acquéreurs en l’état futur d’achèvement d’une villa contestaient cette autorisation, qui modifiait un projet initial de construction de deux villas. Saisis en première instance, les juges du tribunal administratif de Nice avaient rejeté leur demande d’annulation. Les requérants ont alors interjeté appel, soutenant notamment que le permis modificatif portait atteinte à la sécurité publique en supprimant des ouvrages de soutènement nécessaires à la stabilité du terrain. Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si l’administration pouvait légalement autoriser la suppression d’éléments essentiels à la sécurité d’une construction et, en cas d’illégalité, quelle sanction le juge administratif devait prononcer. La cour administrative d’appel a estimé que l’autorisation était effectivement illégale sur ce point, en ce qu’elle méconnaissait les exigences de sécurité publique. Toutefois, plutôt que de prononcer une annulation totale, elle a fait usage des pouvoirs qui lui sont conférés pour n’annuler que la partie viciée de l’autorisation et imposer sa régularisation dans un délai déterminé.

I. La censure ciblée de l’atteinte à la sécurité publique

L’arrêt de la cour administrative d’appel opère une distinction nette entre les différents arguments soulevés par les requérants. Il écarte rigoureusement les moyens relatifs à la violation de leurs droits de propriété avant de sanctionner l’illégalité du permis sur le fondement de la sécurité publique.

A. Le rejet des moyens inopérants tirés de la violation des droits des tiers

Les requérants invoquaient le fait que le permis de construire modificatif autorisait la réalisation de places de stationnement et l’installation d’une fosse septique sur des parties privatives de leur terrain. Cependant, la cour écarte ces arguments en rappelant un principe fondamental du droit de l’urbanisme. Elle juge que « le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers ». Par cette formule, elle signifie que l’autorisation d’urbanisme est accordée au regard des seules règles d’urbanisme applicables. Les contestations relatives à la propriété ou aux stipulations d’un contrat de vente relèvent de la compétence exclusive du juge judiciaire. En conséquence, les moyens tirés de ce « que le déplacement de la fosse septique (…) et la réalisation de places de parkings sur leur partie privative portent atteinte aux droits qu’ils tirent de leur acte de propriété sont sans influence sur la légalité du permis de construire modificatif contesté ». Cette position réaffirme la séparation entre le contentieux administratif de la légalité des autorisations d’urbanisme et le contentieux civil des droits réels.

B. La caractérisation de l’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme

Le cœur de la censure de l’acte litigieux réside dans la violation des règles de sécurité. La cour examine avec attention le moyen fondé sur l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qui permet de refuser un projet s’il est de nature à porter atteinte à la sécurité publique. Les requérants soutenaient que la suppression de murs de soutènement prévue par le permis modificatif créait un risque de glissement de terrain. La cour constate, après comparaison des plans, que le permis modificatif « doit être regardé, dans le cas de l’espèce, comme ayant autorisé leur suppression ». Pour évaluer le risque, elle s’appuie sur un rapport d’expertise, même non contradictoire, qu’elle estime pouvoir prendre en compte « à titre d’élément d’information ». Ce rapport concluait que la pente du terrain était « susceptible de favoriser des glissements de terre vers l’aval avec pour conséquence la mise en danger des tiers ». Forte de cette analyse, la cour conclut qu' »en accordant ce permis de construire modificatif supprimant des murs de soutènement sans garantie de stabilité du projet, le maire de Menton a commis une erreur manifeste d’appréciation ». Le contrôle du juge porte ici sur l’appréciation des faits par l’administration, et la gravité du risque pour la sécurité publique justifie la qualification d’erreur manifeste.

II. La mise en œuvre d’un mécanisme d’annulation pragmatique

Après avoir identifié l’illégalité, la cour ne prononce pas une annulation totale de l’acte. Elle préfère recourir aux outils de régularisation offerts par le code de l’urbanisme, illustrant une approche pragmatique du contentieux de l’urbanisme qui vise à concilier légalité et poursuite des projets.

A. Le choix d’une annulation partielle au service de la sécurité du projet

La cour applique les dispositions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, qui permettent au juge d’opter pour une annulation partielle lorsqu’un vice n’affecte qu’une partie identifiable du projet et peut être régularisé. Elle constate que l’arrêté est « entaché du seul vice tiré de ce qu’il autorise la suppression d’une partie des murs de soutènement ». L’illégalité est donc circonscrite et isolable du reste du projet. La cour estime qu’une régularisation est possible, car la modification à apporter, bien qu’essentielle pour la sécurité, ne constitue pas « un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». Cette approche chirurgicale permet de préserver les éléments légaux de l’autorisation de construire tout en censurant spécifiquement sa partie défaillante. La décision illustre la volonté du juge administratif de ne pas invalider entièrement un projet pour une illégalité localisée.

B. L’injonction de régularisation comme mesure correctrice

L’annulation partielle n’est pas une fin en soi ; elle ouvre la voie à une correction de l’illégalité. Conformément à l’article L. 600-5, la cour assortit sa décision d’une injonction de régularisation. Elle fixe un « délai dans lequel pourra être demandé au maire de la commune de Menton la régularisation de ce vice », soit quatre mois. Cette mesure contraint le titulaire du permis à présenter une demande de permis modificatif corrigeant le vice, c’est-à-dire proposant une solution technique pour garantir la stabilité du terrain. Le juge ne se contente plus de sanctionner le passé, il organise l’avenir de l’acte administratif. Cette décision montre comment le contentieux de l’urbanisme a évolué vers un office du juge plus constructif, cherchant à assurer la conformité au droit positif tout en permettant la réalisation des opérations de construction, une fois celles-ci purgées de leurs illégalités.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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