Cour d’appel administrative de Lyon, le 1 juillet 2025, n°24LY02544

L’arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 1er juillet 2025 offre une clarification significative quant à l’office du juge administratif face à une tentative infructueuse de régularisation d’un permis de construire. En l’espèce, une société de construction s’est vu délivrer une autorisation d’urbanisme pour un projet de logements collectifs et d’une micro-crèche, laquelle a été contestée par des requérants. Le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement avant dire droit, a constaté plusieurs illégalités et a décidé de surseoir à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, accordant un délai au pétitionnaire pour régulariser les vices constatés. Un permis de construire de régularisation a été subséquemment délivré par l’autorité compétente. Toutefois, estimant que ce second permis ne purgeait pas l’ensemble des illégalités, et qu’il était lui-même entaché de vices propres, le tribunal a finalement prononcé l’annulation des deux autorisations. La société pétitionnaire a interjeté appel de ce jugement d’annulation, soutenant notamment que les premiers juges auraient dû, à tout le moins, prononcer une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même code plutôt qu’une annulation totale. Se posait ainsi au juge d’appel la question de savoir si, après avoir constaté l’échec d’une mesure de régularisation prise sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il lui était possible de recourir subsidiairement au mécanisme de l’annulation partielle prévu à l’article L. 600-5 pour le même vice. La cour administrative d’appel répond par la négative, en affirmant qu’une fois la voie du sursis à statuer engagée et menée à son terme sans succès, le juge ne peut employer un autre mécanisme de régularisation pour la même illégalité. Elle énonce qu’« il n’appartient pas au juge de poursuivre la recherche de la régularisation du vice considéré en recourant une nouvelle fois à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ou en recourant à l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme pour impartir un délai de régularisation ». Cette décision précise ainsi l’articulation des outils à la disposition du juge pour sauver les autorisations d’urbanisme (I), pour en déduire une sanction rigoureuse de la tentative de régularisation infructueuse (II).

I. Le rappel du caractère alternatif et non successif des outils de régularisation

La cour fonde sa décision sur une analyse en deux temps. Elle confirme d’abord le constat d’échec de la mesure de régularisation sur le plan matériel (A), avant de poser le principe selon lequel le choix initial d’un mécanisme de régularisation par le juge a un effet préclusif sur l’emploi d’un autre (B).

A. L’appréciation de l’insuffisance de la mesure de régularisation

Le litige initial portait sur plusieurs non-conformités du projet au plan local d’urbanisme intercommunal. L’un des vices principaux, retenu par les premiers juges et examiné par la cour, concernait la méconnaissance de l’article UG5 du règlement, qui exige que les bâtiments de grande longueur soient « fractionné[s] en plusieurs volumes » afin d’éviter un effet de masse. Le permis de construire de régularisation prétendait satisfaire à cette exigence par des modifications apportées à la façade nord du bâtiment principal.

Cependant, la cour, dans son analyse souveraine des faits, estime que les aménagements réalisés sont insuffisants pour purger le vice. Elle relève que les changements, consistant en une réduction de la largeur de certains balcons et l’ajout de « balcons rentrants », sont des « modifications apportées au projet […] mineures ». Elle juge qu’elles « n’impactent pas le volume du bâtiment projeté ni son aspect visuel » et « n’emportent aucun fractionnement de cette façade, mais tendent à en maintenir son unité ». Le constat est sans appel : l’illégalité demeure. Cette appréciation factuelle, qui confirme celle du tribunal, est le préalable nécessaire à la question de droit tranchée par l’arrêt. C’est parce que la régularisation a échoué sur le fond que le juge doit se prononcer sur la suite procédurale à donner.

B. L’effet préclusif du choix d’un mécanisme de régularisation

Face à l’échec avéré de la régularisation, l’appelante soutenait que le juge aurait dû basculer sur le mécanisme de l’article L. 600-5, celui de l’annulation partielle, pour tenter à nouveau de sauver le permis. La cour oppose un refus catégorique et motive sa position par une interprétation stricte de l’articulation des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Ces deux articles offrent au juge des options alternatives : soit annuler partiellement l’acte en identifiant une partie divisible du projet (L. 600-5), soit surseoir à statuer pour permettre une régularisation de l’ensemble de l’acte (L. 600-5-1).

L’apport principal de l’arrêt réside dans l’affirmation que ces deux voies ne sont pas cumulatives ou successives pour un même vice au sein d’une même instance. En ayant initialement choisi de recourir au sursis à statuer, le tribunal a ouvert une procédure de régularisation spécifique. L’échec de celle-ci ferme la porte à une seconde chance via l’autre dispositif. La cour énonce ainsi une règle de procédure claire, garantissant que le bénéficiaire de l’autorisation ne puisse multiplier les tentatives de sauvetage jusqu’à trouver la solution adéquate. Le choix opéré par le juge de première instance d’utiliser l’article L. 600-5-1 épuise donc sa faculté de recourir à l’article L. 600-5 pour le même motif d’illégalité.

II. La consécration de l’annulation totale comme sanction de la régularisation manquée

La solution retenue par la cour a pour effet de valider la position des premiers juges et de confirmer la sanction la plus sévère pour le pétitionnaire (A), envoyant ainsi un signal clair sur la portée des mécanismes de régularisation (B).

A. Le refus d’une nouvelle opportunité de sauvetage

En rejetant l’argument de l’appelante, la cour refuse de transformer l’office du juge en une quête perpétuelle de la régularisation. La logique sous-jacente est celle de la responsabilisation du titulaire du permis de construire. Lorsque le juge lui offre la possibilité de régulariser son projet, il lui appartient de proposer une mesure complète et efficace. S’il échoue, il doit en assumer les conséquences. La position de la cour empêche que la procédure contentieuse ne se prolonge indéfiniment par des tentatives successives.

Cette approche renforce la sécurité juridique et l’efficacité de la justice administrative. Permettre un recours successif aux articles L. 600-5-1 puis L. 600-5 reviendrait à accorder un double droit à l’erreur au constructeur, au détriment de la conclusion rapide du litige. La cour confirme que les outils de régularisation sont des facultés offertes pour éviter des annulations pour des motifs de pure forme ou aisément rectifiables, et non une garantie de sauvetage à tout prix. L’échec de la régularisation fait donc logiquement retour à la situation initiale, où le vice constaté doit entraîner la censure de l’acte.

B. La portée de l’annulation totale comme conséquence inéluctable

La conséquence directe de ce raisonnement est la confirmation de l’annulation totale des deux arrêtés. Le permis de construire initial était illégal, et le permis de régularisation n’a pas purgé cette illégalité. Faute de pouvoir recourir à un autre mécanisme de sauvetage, le juge n’a d’autre choix que de prononcer l’annulation. Cette solution, bien que rigoureuse, est la traduction logique du principe de légalité. Un acte administratif entaché d’un vice non régularisé doit être retiré de l’ordonnancement juridique.

Cet arrêt a une portée pédagogique importante. Il rappelle aux constructeurs et aux autorités qui délivrent les permis que la mesure de régularisation ordonnée par un juge doit être prise avec le plus grand sérieux. Les modifications proposées ne sauraient être cosmétiques ou insuffisantes. La décision illustre que la faveur accordée par le législateur au maintien des autorisations d’urbanisme a pour corollaire une exigence de diligence et de pertinence de la part de leur bénéficiaire. L’échec de la tentative de régularisation replace le projet face à sa sanction naturelle, l’annulation, et prive le juge des moyens de lui offrir une nouvelle issue.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture