Par un arrêt en date du 1er avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé le cadre processuel de la contestation des permis de construire modificatifs et a réaffirmé une interprétation pragmatique des règles d’urbanisme en zone littorale. En l’espèce, des riverains avaient formé un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté municipal ayant accordé un permis de construire pour un immeuble collectif de vingt-sept logements dans une commune du littoral. Durant l’instance devant le tribunal administratif de Rennes, un permis de construire modificatif avait été délivré par le maire et communiqué aux parties, sans que celles-ci ne le contestent. Le tribunal administratif ayant rejeté leur demande initiale, les requérants ont interjeté appel de ce jugement, en sollicitant pour la première fois devant la cour l’annulation dudit permis modificatif.
La procédure suivie mettait en lumière deux problématiques distinctes mais liées à une même opération de construction. D’une part, il s’agissait de déterminer les conditions de recevabilité d’une contestation d’un permis de construire modificatif soulevée pour la première fois en appel. D’autre part, sur le fond, le litige portait sur la conformité du projet initial aux dispositions du code de l’urbanisme, notamment celles relatives à la loi Littoral et à la protection de l’environnement, posant la question de la qualification d’une opération de densification au sein d’un tissu urbain existant. Saisie de ces questions, la cour administrative d’appel annule d’abord le jugement de première instance pour une irrégularité de procédure, avant d’évoquer l’affaire. Elle juge alors irrecevables les conclusions dirigées contre le permis modificatif, au motif qu’elles auraient dû être présentées devant les premiers juges. Statuant ensuite sur la légalité du permis initial, elle écarte l’ensemble des moyens soulevés par les requérants, confirmant la validité de l’autorisation d’urbanisme.
La décision commentée se distingue ainsi par la rigueur de sa solution procédurale, qui encadre strictement l’office du juge d’appel en matière de permis modificatif (I), tout en confirmant une approche mesurée du contrôle de la densification en zone déjà urbanisée (II).
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I. La consolidation du contentieux par la cristallisation des moyens en première instance
La cour administrative d’appel fait une application rigoureuse des dispositions relatives à l’intervention d’un permis modificatif en cours d’instance, rappelant que l’économie générale du procès impose de lier la contestation de l’acte initial et de ses modifications (A), ce qui a pour effet de rendre irrecevable toute contestation nouvelle en appel (B).
A. L’obligation de contester le permis modificatif devant le premier juge
L’arrêt explicite le mécanisme de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, qui vise à concentrer le débat contentieux devant le juge de première instance. En disposant que « la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance », le législateur a entendu assurer une bonne administration de la justice en évitant la dispersion des recours et en permettant au juge initialement saisi de statuer sur l’ensemble des autorisations afférentes à un même projet. La cour relève que le permis modificatif a été régulièrement communiqué aux requérants avant que le tribunal administratif ne statue.
Cette communication n’est pas une simple formalité ; elle a pour effet d’intégrer l’acte modificatif dans le champ du litige pendant et d’ouvrir aux parties la faculté, mais aussi l’obligation, de présenter leurs critiques à son encontre à ce stade de la procédure. En s’abstenant de le faire, les requérants ont manqué à une diligence procédurale essentielle. Le sens de la décision est donc de consacrer l’instance de première instance comme le lieu unique et obligatoire de contestation d’un permis modificatif intervenu avant la clôture de l’instruction, dès lors que sa communication aux parties a été assurée. Cette solution renforce la cohérence du contentieux de l’urbanisme et prévient les manœuvres dilatoires.
B. La sanction de l’inaction par la forclusion en appel
La valeur de cette décision réside dans la sanction claire qu’elle attache à l’omission des requérants : l’irrecevabilité de leurs conclusions en appel. La cour juge que la contestation du permis modificatif ne peut être présentée « pour la première fois devant la cour ». Cette application du principe de forclusion est une conséquence directe de l’obligation de concentration des moyens. Elle prive les justiciables d’une seconde chance de critiquer un acte qu’ils ont sciemment ignoré en première instance, garantissant ainsi la stabilité des situations juridiques et le respect du double degré de juridiction.
La portée de cet arrêt est avant tout pédagogique pour les praticiens et les justiciables, qui sont ainsi fermement incités à une vigilance accrue. Le silence gardé face à un permis modificatif n’est pas neutre et emporte des conséquences procédurales définitives. Cette jurisprudence confirme que le procès administratif, particulièrement en matière d’urbanisme, n’est pas un lieu d’approximations stratégiques mais requiert une réactivité constante des parties à chaque étape de l’instance. La solution, bien que sévère, apparaît juridiquement fondée et indispensable à l’efficacité du contrôle juridictionnel.
II. La validation d’une densification urbaine maîtrisée en zone littorale
Après avoir réglé la question de procédure, la cour examine au fond la légalité du permis initial, adoptant une lecture qui différencie la densification de l’extension de l’urbanisation (A), ce qui neutralise par voie de conséquence l’application des régimes protecteurs les plus stricts (B).
A. La distinction confirmée entre simple construction et extension de l’urbanisation
L’un des apports principaux de l’arrêt sur le fond réside dans l’application de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. Pour la cour, une opération de construction au sein d’un espace déjà urbanisé ne constitue une « extension de l’urbanisation » que si elle « modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier ». En l’espèce, bien que le projet présente une densité plus élevée que le bâti environnant, la juridiction estime qu’il s’agit d’une « simple opération de construction » dans un secteur déjà « significativement urbanisé ».
Le sens de cette analyse est de refuser une approche purement quantitative pour privilégier une appréciation qualitative et contextuelle. La densification est ainsi admise, car elle s’insère dans un tissu existant sans en bouleverser la physionomie générale. Cette interprétation s’inscrit dans un courant jurisprudentiel pragmatique qui cherche à concilier la protection du littoral avec les objectifs de lutte contre l’étalement urbain et de production de logements. La valeur de cette approche est de permettre une optimisation du foncier dans les « dents creuses » des agglomérations littorales, évitant un gel complet de la construction.
B. L’inapplicabilité conséquente des servitudes les plus contraignantes
La qualification retenue par la cour emporte des conséquences directes sur l’ensemble des autres moyens soulevés. Dès lors que le terrain d’assiette est situé en « espace urbanisé », l’interdiction de construire dans la bande littorale de cent mètres, prévue à l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme, devient inapplicable, celle-ci ne visant que les espaces situés « en dehors des espaces urbanisés ». De même, le moyen tiré du défaut d’évaluation environnementale est écarté, le projet se situant en deçà des seuils réglementaires et la cour estimant, après une analyse factuelle, qu’il n’est pas « susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».
La portée de cette partie de l’arrêt est de confirmer que la qualification d’un secteur en « espace urbanisé » constitue la clef de voûte de l’application de nombreuses dispositions de la loi Littoral. Une fois cette qualification acquise, le régime juridique applicable au projet s’en trouve considérablement assoupli. Si cette décision relève en grande partie d’une appréciation d’espèce, elle illustre une tendance de fond du juge administratif à ne pas faire obstacle aux opérations de densification jugées raisonnables, considérant qu’elles participent à un aménagement équilibré du territoire.