Cour d’appel administrative de Nancy, le 15 mai 2025, n°23NC00040

Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la qualification de revenus distribués appliquée à des sommes versées entre deux sociétés contrôlées par les mêmes associés. En l’espèce, des époux avaient cédé l’usufruit des parts de leur société civile immobilière à une autre société dont ils étaient les principaux associés. Cette dernière, soumise à l’impôt sur les sociétés, a procédé à des virements au profit de la société civile immobilière afin de couvrir diverses charges, notamment des échéances d’emprunt. L’administration fiscale a considéré que ces versements constituaient des revenus distribués au profit des époux, par l’intermédiaire de la société civile immobilière. Saisis par les contribuables, le tribunal administratif de Besançon a confirmé cette analyse. Les requérants ont alors interjeté appel, contestant la position de l’administration et du premier juge. Se posait dès lors la question de savoir si des avances consenties par une société à une autre, afin de régler les dettes de cette dernière, pouvaient être regardées comme un revenu distribué au profit de l’associé commun aux deux structures, alors même qu’il n’avait pas directement appréhendé les fonds. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative en rejetant la requête, considérant que l’administration établissait que les époux étaient les bénéficiaires réels des sommes, la société civile immobilière n’ayant agi qu’en qualité de société interposée. La solution, qui repose sur une application rigoureuse de la présomption de distribution (I), confirme une approche pragmatique du droit fiscal qui en limite la portée (II).

I. La consolidation de la présomption de distribution par interposition de société

La cour administrative d’appel confirme la qualification de revenus distribués en se fondant sur une analyse approfondie de la notion de mise à disposition, qui met en lumière le véritable bénéficiaire des avances (A), tout en examinant de manière stricte les justifications apportées par les contribuables (B).

A. La recherche du bénéficiaire réel comme critère de la distribution

La juridiction d’appel rappelle que la présomption de distribution posée par l’article 111 a) du code général des impôts s’applique aux sommes mises à la disposition des associés, y compris « par personnes ou sociétés interposées ». L’arrêt précise que pour mettre en œuvre ce texte, il incombe à l’administration d’établir que l’associé est le « bénéficiaire réel de la distribution ». En l’espèce, la cour constate que les fonds versés par la société commerciale ont permis de régler les dettes de la société civile immobilière, notamment le remboursement d’un emprunt. Ce faisant, ces versements ont évité aux associés de la société civile d’avoir à « répondre des dettes sociales » à titre personnel.

Le raisonnement des juges s’attache donc moins à la circulation des flux financiers qu’à l’avantage économique final procuré à l’associé. La circonstance que les sommes « n’ont pas été inscrites à un compte courant d’associé ouvert au nom de M. et Mme B… ni encaissées par les contribuables » est jugée inopérante. Cette approche extensive de la notion de mise à disposition est constante en jurisprudence, celle-ci considérant que l’enrichissement de l’associé peut être indirect. L’interposition d’une société patrimoniale, dont les requérants sont les uniques associés, ne fait donc pas écran à l’application de la loi fiscale.

B. L’appréciation restrictive des éléments de preuve contraire

Face à la présomption de distribution, les contribuables peuvent apporter la preuve contraire. La cour examine minutieusement les arguments des requérants et les écarte successivement. Les appelants ne parviennent pas à démontrer que les versements constituaient un « véritable prêt », notamment en l’absence de toute convention écrite fixant les modalités d’un remboursement. Cette exigence de formalisme souligne la méfiance du juge fiscal à l’égard d’opérations non documentées entre sociétés liées.

En outre, la cour rejette l’idée que les avances auraient été réalisées dans l’intérêt de la société créancière, usufruitière des parts. Elle relève que les requérants ne justifient pas de « l’intérêt de la SC JCJ à prendre en charge le remboursement des mensualités de l’emprunt immobilier », car ces dépenses en capital « n’affectent pas le résultat des exercices ». Le bénéfice pour l’usufruitier est donc inexistant. Le juge se livre ici à une analyse économique concrète de l’opération, refusant de s’en tenir à la simple affirmation d’un intérêt social. La preuve contraire est donc soumise à des conditions strictes de pertinence et de cohérence économique.

II. La portée mesurée d’une solution fondée sur la réalité économique

Cette décision, si elle applique avec rigueur les règles relatives aux revenus distribués (A), illustre également les limites de l’invocabilité de la doctrine administrative comme protection pour le contribuable (B).

A. Une qualification à la frontière de l’abus de droit

En faisant prévaloir la réalité économique sur l’apparence juridique, la cour administrative d’appel se place dans le sillage de la jurisprudence relative à l’abus de droit. Bien que la procédure de l’abus de droit n’ait pas été mise en œuvre, l’esprit de la décision est identique : déceler, derrière un montage juridique, une intention qui contrevient à l’objectif de la loi fiscale. La qualification de société interposée est l’outil qui permet de rétablir la situation fiscale qui aurait dû être celle des contribuables en l’absence du montage.

L’arrêt constitue ainsi une décision d’espèce qui rappelle aux praticiens les risques inhérents aux schémas d’optimisation impliquant un démembrement de propriété de parts sociales et des flux financiers entre les structures. La solution n’est pas nouvelle, mais elle réaffirme avec clarté que la détention croisée de participations et les fonctions de direction assumées par une même personne sont des indices puissants permettant à l’administration d’établir l’existence d’une communauté d’intérêts et, par suite, d’une distribution indirecte. La valeur de la décision est donc avant tout pédagogique.

B. Le rejet pragmatique de la garantie contre les changements de doctrine

Les requérants tentaient de se prévaloir des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, qui protège le contribuable ayant appliqué un texte fiscal selon l’interprétation de l’administration. La cour écarte cet argument en deux temps. D’une part, elle juge que le paragraphe de la doctrine invoqué, selon lequel la présomption de distribution est écartée si les avances sont faites « dans l’intérêt de la société », ne constitue pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle appliquée par le service. Il ne fait que rappeler une condition de la preuve contraire.

D’autre part, concernant le second extrait doctrinal, qui admet des « justifications diverses » confirmées par les écritures comptables, la cour estime qu’il « est relative à la charge de la preuve et donc à la procédure contentieuse ». En conséquence, il ne s’agit pas d’une interprétation de la loi fiscale de fond susceptible d’ouvrir droit à la garantie. Cette analyse, classique, illustre l’interprétation stricte que le juge administratif fait de la notion de doctrine opposable. Le contribuable ne peut se prévaloir que d’une interprétation claire et formelle d’une règle de droit substantielle, et non de simples commentaires sur la procédure ou les moyens de preuve.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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