Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 4 septembre 2025, n°21/11236

Rendue par la Cour d’appel d’Aix‑en‑Provence le 4 septembre 2025, la décision tranche un contentieux de bail commercial relatif à la fixation du loyer renouvelé d’un local livré brut de décoffrage. Le litige porte sur la méthode d’évaluation de la valeur locative, l’incidence des aménagements réalisés par le preneur et une exception de nullité de procédure.

Les faits tiennent à un bail consenti en 2007, portant sur un local commercial livré brut, destiné à une activité de restauration, cédé à plusieurs reprises. Le preneur a demandé le renouvellement au 1er octobre 2016, puis saisi le juge des loyers pour fixer le loyer à la valeur locative. Une expertise a été ordonnée et déposée fin 2019. Par jugement du tribunal judiciaire de Draguignan du 10 juin 2021, le loyer a été fixé à 34.000 € HT pour le local, outre 2.000 € HT pour les garages.

En appel, la bailleresse soulève la nullité de la procédure au visa de l’article R 145‑31 du code de commerce et, au fond, conteste l’abattement de 20 % appliqué par l’expert et retenu par le premier juge. Les locataires demandent la confirmation, soutenant la pertinence de l’abattement au regard des travaux indispensables à l’exploitation et de la clause d’accession. La cour rejette la nullité, confirme la méthode comparative et l’abattement, puis rectifie une erreur matérielle. Elle relève d’abord que « A titre liminaire, il doit être constaté que le dispositif du jugement entrepris est affecté d’une erreur matérielle, le loyer ayant été fixé à la somme de 34.000 € HT par an, en contradiction avec les motifs qui retiennent une valeur totale de 36.000 € HT par an, soit 34.000 € HT par an pour le local commercial, outre 2.000 € HT par an pour les garages. » Le dispositif « Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf à rectifier l’erreur matérielle affectant le dispositif sur le montant annuel du loyer, à compter du 1er octobre 2016, qui doit être fixé à la somme annuelle totale de 36.000 € hors taxes et hors charges, soit 34.000 € pour le local commercial et 2.000 € pour les garages ».

I. Les bases de l’évaluation à la valeur locative

A. Cadre légal et critères retenus

La cour s’inscrit dans le cadre de l’article L 145‑33 du code de commerce, rappelant que la valeur locative s’apprécie notamment selon les caractéristiques du local, sa destination, les obligations des parties, la commercialité et les prix pratiqués. Elle énonce que « Il y a lieu de relever, au préalable, que le montant de la valeur locative retenu par le premier juge pour les garages ( 2.000 € HT /an) ne fait l’objet d’aucune contestation entre les parties, qui en revanche, s’opposent sur la détermination de la valeur du local commercial. » La base juridique gouverne ainsi la méthode, tandis que le débat se concentre sur le traitement des aménagements et de la surface utile.

L’expertise repose sur des termes de comparaison de voisinage, un calcul de surface pondérée au regard de la charte des évaluations et l’actualisation à la date du renouvellement. La cour approuve la démarche, fixe le prix unitaire et entérine l’assiette de surface. Elle juge en conséquence que « Il convient dès lors comme l’a indiqué le premier juge de prendre en considération un prix de 238 € par m² et par an. » La progression logique de l’analyse conduit ainsi à une valeur avant abattement de 42.870 € HT pour le local.

B. Pondération des surfaces et référence aux usages

L’évaluation retient une surface utile de près de 300 m² et une surface pondérée significativement inférieure, conformément aux pratiques pour des locaux de restauration comportant zones techniques et annexes. La cour valide la pondération opérée, nonobstant les critiques tenant à l’usage effectif du preneur, qui ne peuvent être opposées au bailleur que dans les limites des critères légaux.

La méthode comparative est consolidée par des références homogènes et lissage des écarts par coefficients, sans survaloriser les améliorations d’exploitation. La valeur unitaire arrêtée reflète l’état d’un bien aménagé standard, ce qui prépare la seconde étape sur l’incidence des travaux indispensables au regard des obligations de délivrance et des stipulations d’accession.

II. L’incidence des aménagements du preneur et l’abattement

A. Clause d’accession et prise en charge des travaux

Le bail contient une clause claire d’aménagement à la charge du preneur et une stipulation d’accession en fin de bail. La cour cite la clause selon laquelle « Les locaux étant bruts de décoffrage, l’aménagement de ceux-ci sont à la charge du preneur, y compris les menuiseries extérieures et les fournitures, tous les travaux seront effectués sous la surveillance d’un architecte ou d’un maître d’oeuvre agréé. » Elle en déduit le régime temporel de l’accession: « Lorsque la clause est rédigée de cette manière, l’accession ne peut jouer qu’à la fin des relations contractuelles puisque le renouvellement du bail est incompatible avec la remise des lieux en leur état primitif. » La conséquence est nette: « Dès lors, le bailleur ne peut se prévaloir des améliorations apportées par les différents preneurs aux locaux loués sauf s’il a financé lui-même directement ou indirectement les travaux. »

La cour applique l’article R 145‑8 du code de commerce, dont elle rappelle que « Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge. » Faute d’élément probant d’une contrepartie convenue et significative, elle constate que « C’est donc à juste titre que le premier juge a dit que le bailleur n’établissait pas, même indirectement, avoir financé les travaux litigieux. » La règle d’inopposabilité des améliorations au stade du premier renouvellement est ainsi pleinement assumée.

B. Nécessité des travaux et justification de l’abattement

La cour souligne le caractère inexploitable d’un plateau brut pour un usage de restauration, de sorte que les travaux d’adaptation relevaient de la délivrance conforme au titre et ne procédaient pas d’un choix discrétionnaire du preneur. Elle rattache alors l’ajustement du loyer aux obligations respectives des parties, au sens de l’article R 145‑8, à travers un correctif proportionné.

L’arrêt retient, en synthèse, que « Dès lors, en l’absence dans le contrat d’indice sur la prise en charge par le bailleur des travaux d’aménagement et en considération du fait que les locaux ont été livrés brut de décoffrage avec la circonstance que le preneur a réalisé et financé lui-même les travaux, l’expert a estimé que la valeur locative du local commercial fixée à 42.870 € HT/an, devait subir un abattement de 20% par rapport aux locaux aménagés, soit une valeur locative au 1er octobre 2016, de 34.400 € HT/an. » L’écartement d’un bail de comparaison à usage bancaire confirme, enfin, l’exigence d’homogénéité fonctionnelle des références.

La solution concilie ainsi la méthode comparative, la pondération des surfaces et la neutralisation des améliorations financées par le preneur lors du premier renouvellement. Elle précise la portée de la clause d’accession en fin de bail et clarifie la cohérence entre valeur locative et obligation de délivrance, sans priver le bailleur de la valorisation future attachée à l’accession.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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