Par une décision en date du 3 octobre 2025, le Conseil d’État a apporté une clarification essentielle sur la méthode d’appréciation du principe de continuité de l’urbanisation, principe cardinal en droit de l’aménagement du territoire.
En l’espèce, une autorisation d’urbanisme avait été accordée par une autorité municipale pour l’édification de deux constructions distinctes sur un terrain composé de trois parcelles cadastrales. Saisi par l’autorité préfectorale, le tribunal administratif de Marseille a procédé à l’annulation partielle de cette autorisation, considérant que l’une des constructions projetées ne respectait pas l’exigence de continuité avec les zones déjà urbanisées. Les bénéficiaires de l’autorisation ont alors formé un pourvoi en cassation contre ce jugement.
Le litige soulevait ainsi la question de savoir si le principe de continuité de l’urbanisation, tel que prévu par le code de l’urbanisme, doit être évalué en considérant chaque parcelle cadastrale de manière isolée ou s’il doit au contraire s’apprécier au regard de l’unité foncière constituant le terrain d’assiette global du projet.
La haute juridiction administrative répond à cette interrogation en censurant l’analyse des juges du fond. Elle affirme avec force que le respect du principe de continuité doit être examiné en fonction du projet dans son ensemble, et non en se fondant sur une division purement cadastrale. En jugeant qu’en « appréciant le respect du principe de continuité au regard non du terrain d’assiette du projet pris dans son ensemble, mais de chaque parcelle cadastrale le composant, le tribunal a commis une erreur de droit », le Conseil d’État réaffirme la primauté de la cohérence d’un projet d’aménagement sur le morcellement administratif des terres. Cette décision rappelle ainsi la nécessité d’une approche unitaire de l’urbanisation (I), tout en consacrant une vision pragmatique de l’acte de construire qui renforce la sécurité juridique (II).
I. Le rappel de l’approche unitaire de l’urbanisation
La décision commentée s’inscrit dans le cadre de la législation visant à maîtriser l’extension urbaine. En réaffirmant la portée du principe de continuité posé par le code de l’urbanisme (A), le Conseil d’État en précise la méthode d’application en censurant une appréciation fragmentée du terrain d’assiette (B).
A. L’exigence de continuité, un principe directeur de l’aménagement
Le code de l’urbanisme, notamment dans ses dispositions relatives aux zones littorales, encadre strictement les possibilités de construction afin de lutter contre le mitage des espaces naturels et agricoles. L’article L. 121-8 de ce code dispose que « l’extension de l’urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ». Ce principe vise à organiser un développement urbain cohérent et à préserver les paysages. L’appréciation de cette continuité constitue dès lors un enjeu majeur pour la légalité des autorisations d’urbanisme. Elle conditionne la possibilité même de construire en dehors des zones déjà densément bâties, obligeant le juge administratif à un contrôle rigoureux des projets qui lui sont soumis.
B. La censure d’une appréciation morcelée du terrain d’assiette
Dans la présente affaire, le tribunal administratif avait adopté une analyse restrictive en examinant séparément les parcelles composant le projet. Il avait ainsi jugé que l’une des constructions, implantée sur des parcelles ne jouxtant aucune construction existante, méconnaissait le principe de continuité, bien que le projet global s’inscrivît dans une logique d’extension. Le Conseil d’État sanctionne cette démarche. Il juge que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne retenant pas comme périmètre d’analyse le « terrain d’assiette du projet, pris dans sa globalité ». Cette formule souligne que la réalité d’une opération de construction ne peut être artificiellement scindée au gré des divisions cadastrales. Le critère pertinent est celui de l’unité foncière sur laquelle le projet est envisagé dans sa totalité.
En imposant cette vision d’ensemble, la haute juridiction administrative ne se contente pas de corriger une simple erreur méthodologique. Elle promeut une conception plus fonctionnelle et réaliste de l’aménagement, qui se traduit par la consécration d’une approche pragmatique de l’acte de construire.
II. La consécration d’une vision pragmatique de l’acte de construire
Au-delà de son apport méthodologique, la décision revêt une portée pratique considérable. Elle affirme la primauté de la logique fonctionnelle du projet sur la stricte division cadastrale (A), ce qui a pour effet de renforcer la sécurité juridique des porteurs de projets (B).
A. La primauté de l’unité fonctionnelle du projet sur la division cadastrale
En privilégiant l’analyse du terrain d’assiette global, le Conseil d’État reconnaît que le cadastre est un outil à vocation principalement fiscale et foncière, qui ne doit pas dicter l’appréciation des règles d’urbanisme. Un projet de construction forme un tout cohérent, dont la logique ne saurait être brisée par des limites parcellaires qui peuvent être le fruit d’un historique foncier sans rapport avec la configuration actuelle des lieux. Adopter la solution inverse, celle du tribunal administratif, conduirait à des situations paradoxales où la faisabilité d’un projet dépendrait du découpage administratif des terrains plutôt que de son insertion réelle dans le tissu urbain environnant. La solution retenue est donc empreinte de pragmatisme, car elle s’attache à la réalité matérielle et fonctionnelle de l’opération de construction.
B. La portée de la décision : un renforcement de la sécurité juridique
Cette clarification est source de sécurité juridique tant pour les pétitionnaires que pour les autorités compétentes en matière d’urbanisme. Pour les porteurs de projet, elle offre une prévisibilité accrue en établissant qu’un projet unitaire sera évalué comme tel, même s’il s’étend sur plusieurs parcelles. Cela évite l’écueil d’une annulation partielle fondée sur une analyse fragmentée qui méconnaîtrait la cohérence d’ensemble de l’opération. Pour les services instructeurs des autorisations, cette jurisprudence fournit une ligne directrice claire, les invitant à porter leur regard sur l’ensemble de l’unité foncière pour apprécier le respect des règles d’urbanisme. En définitive, cette décision favorise la réalisation de projets d’aménagement cohérents en prévenant les risques liés à une interprétation excessivement littérale et morcelée des dispositions applicables.