5ème chambre du Conseil d’État, le 19 août 2025, n°498702

Par une décision en date du 19 août 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de computation du délai de recours dans le cadre de la procédure du droit au logement opposable. En l’espèce, une personne, reconnue prioritaire et devant être logée d’urgence par une commission de médiation le 20 juillet 2023, n’avait pas reçu de proposition de logement dans le délai imparti. Elle a donc saisi le tribunal administratif de Paris d’un recours visant à ce qu’il soit enjoint à l’État de la reloger. Par une ordonnance du 11 juillet 2024, le juge de première instance a rejeté sa demande comme tardive. La requérante a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance. Le tribunal administratif avait en effet considéré que la requête, enregistrée à son greffe le 31 mai 2024, avait été introduite après l’expiration du délai de quatre mois. La requérante soutenait pour sa part que la date à retenir était celle de l’expédition de sa demande par voie postale, soit le 21 mai 2024, date qui rendait son recours recevable. La question de droit soumise au Conseil d’État était donc de déterminer si, pour apprécier la tardiveté d’un recours introduit par voie postale, il convient de se référer à la date d’enregistrement au greffe de la juridiction ou à la date d’expédition attestée par le cachet de la poste. La Haute Juridiction administrative censure l’analyse du premier juge en réaffirmant le principe selon lequel la date d’expédition fait foi. Elle annule par conséquent l’ordonnance et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif de Paris.

Cette décision, en censurant une appréciation restrictive du délai de recours (I), vient garantir l’effectivité du droit au recours pour les personnes les plus démunies (II).

I. La censure d’une appréciation erronée du délai de recours contentieux

Le Conseil d’État rappelle avec fermeté le principe directeur en matière de computation des délais pour les recours postaux (A), ce qui le conduit logiquement à sanctionner l’erreur de droit commise par le juge du fond (B).

A. Le rappel de la règle du cachet de la poste faisant foi

La Haute Juridiction administrative énonce de manière claire et didactique le principe applicable en la matière. Elle juge que « sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi ». Ce faisant, elle ne crée pas une règle nouvelle mais réaffirme une solution jurisprudentielle ancienne et constante. Ce principe vise à sécuriser la situation juridique du requérant, en ne faisant pas peser sur lui les aléas liés à l’acheminement du courrier ou au traitement administratif de sa requête par le greffe de la juridiction. L’acte qui interrompt le délai est l’acte de diligence accompli par le justiciable, matérialisé par la remise de son pli aux services postaux. La date retenue est donc celle que le requérant peut maîtriser et prouver, et non une date qui dépend de circonstances postérieures et extérieures à sa volonté.

B. L’erreur de droit commise par le juge de première instance

L’application de ce principe au cas d’espèce conduit inéluctablement à la censure de l’ordonnance attaquée. En effet, le juge de première instance avait rejeté la requête pour irrecevabilité en se fondant uniquement sur « sa date d’enregistrement au greffe, soit le 31 mai 2024 ». Une telle démarche est juridiquement erronée car elle ignore la règle de principe de la date d’expédition. Le Conseil d’État relève que la requérante était en mesure de prouver avoir « expédié sa requête par voie postale le 21 mai 2024 ». Cette date se situant à l’intérieur du délai de recours de quatre mois, qui avait commencé à courir à l’issue d’un délai de six mois suivant la décision de la commission de médiation, la requête était parfaitement recevable. Le juge de cassation qualifie donc l’analyse du tribunal administratif d’« erreur de droit », sanctionnant ainsi le non-respect d’une règle fondamentale de la procédure contentieuse administrative. L’ordonnance est par conséquent annulée.

II. La portée de la solution au service de l’effectivité du droit au recours

Au-delà de son aspect technique, cette décision revêt une portée particulière en ce qu’elle constitue une solution protectrice des droits des justiciables (A), réaffirmant un principe essentiel de la procédure administrative (B).

A. Une solution protectrice des droits des justiciables

Le contexte de l’affaire, celui du droit au logement opposable, donne un relief particulier à cette décision. Cette procédure a été instaurée pour garantir un droit fondamental à des personnes se trouvant dans une situation de particulière vulnérabilité. Exiger de ces requérants qu’ils anticipent les délais de la poste et du greffe pour que leur recours soit enregistré à temps constituerait une charge excessive et contraire à l’esprit de la loi. En confirmant que seule la date d’expédition engage la responsabilité du justiciable, le Conseil d’État adopte une lecture de la procédure qui favorise l’accès au juge. Cette solution est d’autant plus justifiée que les requérants dans ce type de contentieux ne sont pas toujours assistés d’un avocat et peuvent être peu familiers des subtilités du droit processuel. La règle du cachet de la poste faisant foi apparaît ainsi comme une garantie simple et efficace pour la préservation de leurs droits.

B. La confirmation d’un principe fondamental de la procédure administrative

En statuant de la sorte, le Conseil d’État ne se contente pas de trancher un cas d’espèce mais il vient consolider un principe cardinal de la procédure contentieuse. La règle de la date d’expédition est une manifestation de la confiance légitime que le justiciable peut placer dans les mécanismes de saisine de la justice. Elle assure une prévisibilité et une sécurité juridiques indispensables au bon fonctionnement de l’État de droit. En la rappelant dans un arrêt publié, la Haute Juridiction adresse un message clair aux juridictions du fond, les invitant à ne pas adopter d’interprétations qui, sous couvert d’une stricte application des textes, aboutiraient à priver des requérants de leur droit à un recours effectif. Cette décision s’inscrit donc dans une jurisprudence établie visant à concilier la nécessaire rigueur des règles de délais avec le droit fondamental d’accès au prétoire, réaffirmant ainsi le rôle régulateur du juge de cassation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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