Par un arrêt en date du 14 février 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur les modalités d’exécution de l’une de ses précédentes décisions, illustrant les limites de l’office du juge de l’exécution face à l’inertie initiale puis à la soumission tardive d’une administration.
En l’espèce, des pétitionnaires s’étaient vu refuser par deux arrêtés du maire d’une commune, en date du 18 mai 2016, la délivrance de permis d’aménager pour la création de deux lotissements. Saisi par les pétitionnaires, le tribunal administratif de Nantes avait rejeté leurs demandes par un jugement du 9 novembre 2018. Sur appel, la cour administrative d’appel de Nantes, par un arrêt du 2 avril 2020, a annulé ce jugement ainsi que les deux arrêtés de refus, condamnant en outre la commune à verser une somme au titre des frais irrépétibles. Face à l’absence d’exécution spontanée de cette décision, les intéressés ont saisi la même cour, le 8 mars 2023, d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à la commune de leur délivrer des certificats de permis d’aménager tacites et de procéder au paiement de la somme due. C’est dans ce contexte que la commune a finalement transmis à la cour, le 11 avril 2024, les certificats attestant de la naissance des permis tacites.
La question soulevée devant le juge de l’exécution était double. D’une part, il s’agissait de déterminer les conséquences de l’exécution par l’administration de son obligation principale en cours d’instance. D’autre part, la cour devait préciser si la procédure d’injonction de droit commun pouvait être mobilisée pour obtenir le paiement d’une somme d’argent alors qu’une procédure spécifique de recouvrement existe.
À cette double interrogation, la cour administrative d’appel juge que la délivrance des certificats en cours de procédure rend la demande d’injonction y afférente sans objet, ce qui la conduit à prononcer un non-lieu à statuer sur ce point. Elle rejette en outre la demande relative au paiement des frais de justice, au motif que les requérants n’ont pas préalablement mis en œuvre la procédure de mandatement d’office qui leur était ouverte. Ainsi, la décision commentée illustre tant la portée d’une exécution administrative tardive (I) que la hiérarchie des voies d’exécution forcée à l’encontre des personnes publiques (II).
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I. La neutralisation de l’office du juge par l’exécution tardive de l’obligation principale
La saisine du juge de l’exécution vise à contraindre une partie récalcitrante à se conformer à une décision de justice. Toutefois, lorsque l’administration s’exécute en cours de procédure, le litige perd sa substance, ce qui conduit le juge à constater la satisfaction des prétentions du requérant (A) et révèle par là même l’efficacité préventive de la procédure d’exécution (B).
A. La satisfaction des prétentions du requérant en cours d’instance
L’objet d’une demande d’exécution est d’obtenir la concrétisation des droits reconnus par une décision de justice devenue définitive. Dans le cas présent, les requérants sollicitaient une injonction pour que la commune leur délivre des attestations de permis d’aménager tacites, nées de l’annulation des refus opposés par le maire. Or, pendant le déroulement de l’instance d’exécution, la commune a finalement obtempéré en produisant les documents demandés.
Cette exécution, bien que tardive, a eu pour effet de priver d’objet les conclusions à fin d’injonction présentées par les administrés. La cour en tire la conséquence logique en affirmant que « les conclusions présentées par M. et Mme B… tendant à ce qu’il soit enjoint à la commune de Roézé-sur-Sarthe (…) de leur délivrer des certificats de permis d’aménager tacites sont devenues sans objet ». Le prononcé d’un non-lieu à statuer s’imposait donc, le litige sur ce point étant éteint et le juge ne pouvant plus ordonner une mesure déjà accomplie.
B. L’effet comminatoire de la saisine du juge de l’exécution
Si la décision se borne à un constat de non-lieu, sa portée ne doit pas être sous-estimée. Elle démontre que la procédure d’exécution forcée, prévue par l’article L. 911-4 du code de justice administrative, produit des effets avant même le prononcé d’une éventuelle injonction ou astreinte. La simple menace de l’intervention du juge suffit souvent à vaincre l’inertie de l’administration.
En l’espèce, l’administration ne s’est exécutée qu’après avoir été attraite devant le juge de l’exécution, près de quatre ans après l’arrêt au fond. Cet enchaînement factuel suggère que la saisine de la juridiction a été le catalyseur de cette exécution. Le pouvoir d’injonction joue ainsi un rôle comminatoire essentiel, agissant comme un moyen de pression efficace pour garantir le respect de la chose jugée sans qu’il soit toujours nécessaire de le mettre formellement en œuvre.
L’analyse de la seconde partie de la requête, relative au paiement d’une somme d’argent, conduit toutefois la cour à une solution de rejet, fondée sur une logique procédurale distincte.
II. Le rappel de la subsidiarité du pouvoir d’injonction en matière de recouvrement de créances
La décision est également l’occasion pour la cour de réaffirmer une règle fondamentale de l’exécution des décisions de justice pécuniaires à l’encontre des personnes publiques. Elle rappelle l’existence d’une procédure de paiement spécifique et dérogatoire (A), dont le défaut de mise en œuvre préalable entraîne nécessairement l’échec de la voie de droit commun (B).
A. L’existence d’une procédure de paiement spécifique et dérogatoire
Pour le recouvrement des sommes d’argent fixées par une décision de justice, le créancier d’une personne publique ne se trouve pas démuni. Le code de justice administrative, en son article L. 911-9, renvoie explicitement aux dispositions de la loi du 16 juillet 1980. Ce mécanisme permet au créancier, après un délai de deux mois suivant la notification de la décision, de saisir directement le représentant de l’État ou l’autorité de tutelle afin que celui-ci procède au mandatement d’office de la dépense.
La cour prend soin de détailler ce régime en citant l’article 1er de la loi précitée, qui constitue une garantie de paiement pour les créanciers des collectivités. Cette procédure administrative, qui ne nécessite pas une nouvelle saisine du juge, est conçue pour être à la fois simple et efficace, en confiant à l’autorité préfectorale le soin de se substituer à l’ordonnateur défaillant.
B. Le rejet de la demande d’injonction en l’absence d’échec de la procédure de mandatement d’office
La cour établit une hiérarchie claire entre les différentes voies d’exécution. Le pouvoir d’injonction général de l’article L. 911-4 du code de justice administrative revêt un caractère subsidiaire par rapport à la procédure spécifique de mandatement d’office. Il ne peut être utilement invoqué que si cette dernière a été tentée et s’est avérée infructueuse, par exemple en cas de refus du comptable public de procéder au paiement.
En l’espèce, la cour rejette la demande des requérants en des termes dénués d’ambiguïté, soulignant qu’ils « n’établissent pas ni même n’allèguent avoir demandé en vain le mandatement d’office de la somme de 1 500 euros ». Cette carence probatoire est fatale à leur prétention. En agissant de la sorte, le juge de l’exécution rappelle aux justiciables l’obligation d’épuiser les voies de recours administratifs qui leur sont spécialement offertes avant de solliciter son intervention, dans un souci de bonne administration de la justice et de respect de la séparation des pouvoirs.