Cour d’appel de Orléans, le 24 juillet 2025, n°23/01559

La Cour d’appel d’Orléans, chambre commerciale, 24 juillet 2025, confirme le rejet des demandes d’annulation ou de résolution d’une cession de fonds de commerce de pâtisserie, fondées à titre principal sur le dol, à titre subsidiaire sur l’erreur, et plus subsidiairement sur la garantie des vices cachés. Le litige naît d’une étude d’ingénierie réalisée avant la vente à propos de la solidité du plancher du laboratoire, suivie d’un devis de renforcement, non communiqués aux acquéreurs. Après expertise judiciaire en 2018 concluant au dépassement des contraintes admissibles et à une exploitation « très précaire », l’acheteur assigne en 2019 pour obtenir la nullité de la cession et l’annulation des prêts bancaires corrélatifs. Mis en liquidation, l’acheteur voit ses procédures jointes avec une action de la banque contre la caution. Par jugement du 20 avril 2023, le tribunal de commerce d’Orléans déboute l’acheteur, rejette la nullité des prêts, et condamne la caution. En appel, les prétentions sont réitérées. La Cour confirme.

La question de droit portait d’abord sur la qualification d’une réticence dolosive, en présence d’un défaut d’information précontractuelle relatif à la sécurité des locaux, et sur ses effets sur la validité de la cession. En cas d’échec du dol, la Cour devait déterminer si l’erreur pouvait utilement prospérer malgré l’existence d’un défaut rendant la chose impropre à sa destination, ou si la garantie des vices cachés constituait l’unique fondement pertinent. Subsistait, enfin, l’examen des conditions de la résolution au regard de l’impossibilité de restituer un fonds devenu inexploité, ainsi que les effets accessoires sur les conventions de financement et l’engagement de caution.

La Cour rappelle d’abord le cadre du dol et l’exigence d’une intention de tromper, en s’appuyant sur un attendu clair: « Ainsi, le manquement à une obligation précontractuelle d’information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement » (Com., 28 juin 2005, n° 03-16.794 ; Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599). Elle relève un défaut d’information précontractuelle sur l’étude et le devis, mais nie l’intention dolosive, au regard du caractère technique de la note d’ingénierie et de l’absence d’indices extérieurs de conscience du risque. Le fondement principal d’annulation est donc écarté. Sur l’articulation erreur/vice caché, la Cour précise que « En revanche, en dehors du cas de man’uvres ou de réticences dolosives, l’action de l’acheteur, lorsqu’elle est exercée pour un défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale, comme tel est le cas en l’espèce, ne peut être accueillie sur le fondement de l’erreur, la garantie des vices cachés constituant le seul fondement susceptible d’être invoqué » (Civ. 1re, 14 mai 1996, n° 94-13.921 ; Civ. 3e, 17 nov. 2004, n° 03-14.958 ; 30 nov. 2017, n° 16-24.518). L’action en garantie, « n’est pas exclusive d’une action en nullité ou en responsabilité délictuelle pour réticence dolosive » (Civ. 1re, 6 nov. 2002, n° 00-10.192 ; Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-18.104), ce qui justifie l’ordre des examens.

I. Le sens de la décision: frontière des fondements et régime de l’action

A. L’intention dolosive, pierre angulaire du vice de consentement

La Cour opère une distinction nette entre défaut d’information et dol, fidèlement à la jurisprudence constante rappelée. L’expertise révèle un plancher sous-dimensionné, mais la connaissance du risque par les cédants n’est pas suffisamment caractérisée. Le raisonnement s’ancre dans la technicité de la note manuscrite d’ingénierie, l’absence d’alerte intelligible et l’insuffisance d’éléments prouvant que l’information a été tue pour faire contracter. En conséquence, si un manquement précontractuel est relevé, il demeure cantonné à la responsabilité délictuelle, sans vicier le consentement. L’arrêt illustre la charge probatoire renforcée qui pèse sur l’allégateur du dol, surtout lorsqu’un risque technique ne transparaît pas clairement pour un non-spécialiste (v. déjà Civ. 1re, 13 févr. 1996, n° 94-10.908).

B. L’exclusivité de la garantie en cas d’impropriété à l’usage

La Cour refuse l’annulation pour erreur, retenant la règle de spécialité du régime des vices cachés. Elle cite textuellement que l’erreur ne peut être accueillie lorsqu’est poursuivi « un défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale », la garantie des vices cachés étant « le seul fondement susceptible d’être invoqué ». Elle admet l’existence du vice au sens de l’article 1641 du code civil, mais constate que les acquéreurs n’ont choisi que l’action rédhibitoire, sans solliciter la réduction du prix. « Les requérants se situent toutefois uniquement sur le terrain de l’action rédhibitoire, puisqu’ils se limitent à solliciter la résolution de la vente. » La première partie se clôt donc sur une solution équilibrée: rejet du dol, bascule vers le droit commun des défauts cachés, avec une voie de droit théoriquement ouverte.

II. La valeur et la portée: conditions de la résolution et effets accessoires

A. Résolution, restitution et déperdition de la substance du fonds

L’arrêt souligne une condition cardinale de la résolution rédhibitoire, en rappelant un principe acquis: la résolution se heurte à l’impossibilité de restituer, sauf perte causée par le vice. La Cour relève la poursuite d’exploitation pendant des années, la chute de clientèle indépendante, l’inexploitation prolongée, l’incertitude sur le maintien des baux et l’absence de travaux de renforcement. L’enchaînement causal direct entre vice et disparition économique du fonds n’est pas établi. En conséquence, la voie rédhibitoire échoue ici par une impossibilité de restitution objectivement constatée, quand l’action estimatoire aurait pu, à l’inverse, demeurer praticable. La solution est rigoureuse mais conforme à l’économie des articles 1644 et 1647, qui impliquent un retour réciproque des prestations.

B. Prêts corrélatifs et cautionnement: effets d’entraînement maîtrisés

Le rejet des demandes dirigées contre la cession emporte celui des demandes d’annulation des prêts octroyés pour financer l’opération. La Cour confirme en outre la condamnation de la caution, en rappelant la règle probatoire: « la charge de la preuve d’une telle disproportion incombe à la caution qui l’invoque ». La motivation adoptée souligne l’insuffisance d’éléments objectifs sur les revenus et le patrimoine à la date de l’engagement, et la production d’un simple tableau unilatéral. La Cour entérine ainsi, « par des motifs pertinents », l’absence de disproportion manifeste. La conséquence pratique est nette: en l’absence de nullité de la cession, les engagements accessoires demeurent, et la caution ne peut s’exonérer sans preuve circonstanciée, spécialement en présence d’un crédit affecté à des travaux postérieurs.

La solution est cohérente sur les demandes accessoires. Le rejet de l’indemnisation personnelle tient à l’absence de lien de causalité suffisamment établi entre le manquement d’information et la liquidation. Les demandes pour procédure abusive sont écartées faute de faute caractérisée, et les dépens ainsi que l’article 700 sont réglés avec mesure. L’ensemble confirme une ligne directrice ferme: « Aussi la demande des appelants en annulation du contrat de cession du fonds de commerce fondée subsidiairement sur l’erreur doit être écartée », et la décision de première instance est « confirmée en toutes ses dispositions critiquées ».

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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