Cour d’appel administrative de Nantes, le 28 février 2025, n°24NT00215

En matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, la puissance de l’administration trouve sa contrepartie dans le respect scrupuleux des garanties procédurales offertes aux propriétaires. Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 28 février 2025 illustre avec pragmatisme la manière dont le juge administratif apprécie la portée des éventuelles irrégularités formelles affectant un arrêté de cessibilité. En l’espèce, une commune avait engagé une procédure d’expropriation visant une partie de la parcelle d’un propriétaire privé pour la réalisation d’un parc naturel urbain. Cette opération impliquait la division de l’unité foncière existante. Une première procédure avait abouti à un arrêté de cessibilité, lequel fut annulé en 2020 par la cour administrative d’appel de Nantes au motif qu’un document d’arpentage, nécessaire à la délimitation de la nouvelle emprise, n’avait pas été réalisé. Suite à cette annulation, l’administration a repris la procédure et a émis un nouvel arrêté de cessibilité en 2021, précédé cette fois de l’établissement d’un document d’arpentage. Les propriétaires ont contesté ce nouvel acte devant le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté leur demande. Saisis en appel, les requérants soutenaient que l’arrêté était illégal, d’une part, en raison de vices affectant le document d’arpentage et son absence en annexe de l’acte notifié, et d’autre part, en raison de l’imprécision de la désignation de la nature du bien exproprié. Il revenait donc à la cour de déterminer si le défaut de jonction du procès-verbal d’arpentage à un arrêté de cessibilité et la description imparfaite de la nature du bien étaient des vices de forme suffisamment substantiels pour justifier l’annulation de l’acte. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, considérant que l’absence du procès-verbal d’arpentage n’entachait pas l’arrêté d’irrégularité dès lors que les annexes de ce dernier contenaient les informations précises issues de ce document. De plus, elle a jugé que l’imprécision sur la nature du bien, qualifié de « terrain » alors qu’il supportait des constructions, ne constituait pas une illégalité dans la mesure où les propriétaires étaient, par leurs démarches antérieures, parfaitement informés de la consistance réelle de la partie de leur bien faisant l’objet de l’expropriation.

La décision de la cour administrative d’appel articule son raisonnement autour d’une appréciation concrète de la portée des garanties procédurales, distinguant l’exigence formelle de son but effectif. Ainsi, elle valide une application assouplie des obligations documentaires relatives à l’identification de la parcelle (I), avant de neutraliser une erreur matérielle au regard de l’information effective des administrés (II).

I. L’assouplissement des exigences formelles relatives à l’identification de la parcelle expropriée

La cour examine en premier lieu le grief tiré des irrégularités affectant l’identification de la parcelle. Tout en rappelant le caractère impératif de l’établissement d’un document d’arpentage pour toute division foncière (A), elle en limite la portée en ce qui concerne son annexion matérielle à l’arrêté de cessibilité (B).

A. La réaffirmation du principe d’un arpentage préalable à la division parcellaire

Le juge d’appel prend soin de réaffirmer la règle de droit applicable en matière de division de propriété dans le cadre d’une procédure d’expropriation. Il se fonde sur les dispositions combinées du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et des décrets de 1955 relatifs à la publicité foncière et au cadastre. La cour énonce clairement que « lorsqu’un arrêté de cessibilité déclare cessibles des parties de parcelles, ce qui implique de modifier les limites des terrains concernés, un document d’arpentage doit être préalablement réalisé ». Cette exigence constitue une garantie fondamentale pour les propriétaires, car elle assure que la nouvelle configuration des lieux et, par conséquent, l’assiette de l’expropriation, soient établies de manière rigoureuse et incontestable par un professionnel qualifié. Le document d’arpentage est donc la pièce maîtresse qui permet ensuite à l’administration de désigner les nouvelles parcelles dans l’arrêté de cessibilité avec les références cadastrales mises à jour. Le raisonnement de la cour confirme que l’absence de ce document préalable est un vice de procédure substantiel, comme l’avait d’ailleurs sanctionné l’annulation du premier arrêté de 2017. L’établissement de ce document, visé dans le nouvel arrêté litigieux, constituait donc un prérequis indispensable à la légalité de la suite de la procédure.

B. La portée limitée de l’obligation de communication du document d’arpentage

Après avoir posé le principe, la cour en précise la portée pratique, marquant une distinction importante entre l’existence du document et sa notification. Elle juge en effet qu' »il n’en résulte pas que le procès-verbal d’arpentage doive être joint à l’arrêté de cessibilité dès lors que les annexes de cet arrêté, établies d’après un document d’arpentage, délimitent avec précision la fraction expropriée ». Cette interprétation pragmatique dissocie la formalité de son objectif. L’essentiel n’est pas la remise matérielle du rapport de l’expert-géomètre, mais la parfaite information du propriétaire sur les conséquences de la division. Dès lors que l’état parcellaire annexé à l’arrêté mentionne la nouvelle référence cadastrale, la contenance exacte et la situation du bien, le juge considère que la garantie d’information est remplie. De surcroît, la cour écarte comme inopérants les moyens relatifs à l’absence de caractère contradictoire de l’arpentage, signifiant que la légalité de l’arrêté de cessibilité ne dépend pas des modalités d’établissement du document technique qui le précède. Cette solution privilégie une approche fonctionnelle de la procédure, où la transmission d’une information claire et suffisante l’emporte sur l’exigence d’une communication exhaustive de tous les documents préparatoires.

La même logique pragmatique, qui évalue la régularité d’une formalité à l’aune de son impact concret sur les droits des administrés, se retrouve dans l’analyse de la seconde irrégularité soulevée par les requérants.

II. La neutralisation de l’erreur matérielle relative à la consistance du bien

Le second axe du raisonnement de la cour porte sur l’erreur de description de la parcelle dans l’état parcellaire. Le juge reconnaît l’existence d’une imprécision (A), mais lui dénie toute portée juridique en se fondant sur la connaissance effective que les propriétaires avaient de leur propre bien (B).

A. La constatation d’une imprécision dans la désignation du bien

La cour ne conteste pas le fait matériel avancé par les requérants. Elle admet que « l’état parcellaire annexé à l’arrêté de cessibilité en litige indique de manière imprécise la nature de la parcelle en cause, par les termes « terrain », alors que cette parcelle comportait un bâtiment à usage de garage ». Cette constatation est importante, car elle valide le point de départ de l’argumentation des propriétaires. Les dispositions de l’article 7 du décret du 4 janvier 1955 exigent en effet que tout acte sujet à publicité foncière indique la « nature » de l’immeuble. La mention « terrain » pour une parcelle bâtie constitue objectivement une description inexacte et une méconnaissance de cette exigence textuelle. En théorie, une telle erreur pourrait être considérée comme un vice de forme de nature à entacher la légalité de l’acte, car elle porte sur un élément essentiel de l’objet même de la décision administrative. La cour aurait pu s’arrêter à ce constat et en déduire une irrégularité justifiant l’annulation. Toutefois, elle poursuit son analyse au-delà de la simple existence de l’erreur formelle pour en évaluer les conséquences réelles.

B. Le rôle dirimant de la parfaite information des propriétaires

C’est dans cette seconde étape de son analyse que la solution de la cour prend toute sa signification. Pour écarter le moyen, le juge se livre à un examen des circonstances de l’espèce et de la chronologie de la procédure. Il relève que, lors de l’enquête parcellaire de 2017, les propriétaires avaient eux-mêmes produit des observations écrites s’opposant à la cessibilité de la « portion Est de leur parcelle cadastrée section AR n° 152p, supportant deux garages et un jardin d’agrément ». Cette démarche antérieure démontre, aux yeux du juge, leur connaissance parfaite et non équivoque de la consistance des biens dont l’expropriation était envisagée. Par conséquent, l’erreur matérielle contenue dans l’état parcellaire de 2021 ne les a ni trompés ni lésés dans leur capacité à défendre leurs intérêts. La cour en conclut que « les consorts A… ne sont pas fondés à soutenir qu’ils ont été tenus dans l’ignorance de la consistance de la parcelle déclarée cessible ». Cette approche est une application directe de la jurisprudence relative à la portée des vices de procédure, selon laquelle une irrégularité n’entraîne l’annulation d’un acte que si elle a privé les intéressés d’une garantie ou si elle a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision. En l’espèce, la garantie d’information étant satisfaite par ailleurs, l’erreur de plume est neutralisée et jugée non substantielle.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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