Cour d’appel administrative de Toulouse, le 17 juillet 2025, n°23TL01354

Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité de la révision d’un plan de prévention des risques naturels d’inondation.

En l’espèce, l’autorité préfectorale a approuvé, par un arrêté du 20 septembre 2019, la révision du plan de prévention des risques d’inondation applicable au bassin versant d’un cours d’eau. Des habitants de l’une des communes concernées ainsi qu’une association de protection de l’environnement ont formé des recours gracieux à l’encontre de cette décision, lesquels ont été implicitement rejetés. Ces requérants ont alors saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral. Après attribution du dossier au tribunal administratif de Nîmes, celui-ci a, par un jugement du 11 avril 2023, rejeté leur demande. Les requérants ont interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité de la procédure qu’au bien-fondé des dispositions réglementaires du plan. Ils soutenaient notamment que la procédure était viciée, d’une part, par le caractère prématuré de la décision dispensant le projet d’évaluation environnementale et, d’autre part, par l’absence de cette même décision dans le dossier soumis à enquête publique. Sur le fond, ils arguaient que les dispositions relatives aux constructions agricoles en zone à risque étaient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation, méconnaissaient le principe de précaution, et étaient incompatibles avec des documents de planification de rang supérieur.

Il était donc demandé à la cour de déterminer si les dérogations accordées aux bâtiments agricoles au sein d’un plan de prévention des risques d’inondation étaient suffisamment encadrées pour ne pas constituer une erreur manifeste d’appréciation, ni méconnaître le principe de précaution et les objectifs de documents de planification supérieurs, après avoir vérifié la régularité de la procédure d’élaboration de l’acte.

La juridiction d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle juge d’abord que les vices de procédure allégués ne sont pas constitués ou, à tout le moins, n’ont pas eu d’incidence sur la légalité de l’acte. Elle estime ensuite que les dispositions réglementaires contestées, qui encadrent les constructions agricoles en zone inondable, ne sont entachées ni d’erreur manifeste d’appréciation, ni de violation du principe de précaution, ni d’incompatibilité avec les normes supérieures, au motif que les multiples conditions posées par le règlement permettent à l’autorité administrative de garantir la prévention des risques.

La cour écarte d’abord les moyens de légalité externe soulevés par les requérants (I), avant de confirmer la légalité interne des dispositions réglementaires contestées (II).

I. La validation d’une procédure de révision jugée régulière

La cour administrative d’appel a d’abord examiné les critiques portant sur la régularité de la procédure d’élaboration du plan, en confirmant la validité de la dispense d’évaluation environnementale (A), puis en relativisant la portée d’une omission documentaire lors de l’enquête publique (B).

A. L’appréciation de la validité de la dispense d’évaluation environnementale

Les requérants soutenaient que la décision de l’autorité environnementale dispensant le projet de révision d’une évaluation environnementale était irrégulière, car intervenue avant même l’arrêté prescrivant ladite révision, et sur la base d’un dossier qu’ils estimaient incomplet. La cour écarte ce moyen en opérant une analyse concrète des pièces du dossier. Elle constate que l’autorité compétente avait été saisie sur le fondement d’un dossier comportant « l’ensemble des informations prévues à l’article R. 122-18 précité du code de l’environnement ». Ce dossier décrivait de manière suffisante les objectifs de la révision, le contexte et les enjeux du territoire, permettant ainsi à l’autorité de prendre sa décision en connaissance de cause.

De plus, la cour relève que les requérants « n’établissent par ailleurs pas que seraient intervenues, entre la décision de dispense et l’arrêté portant prescription de la révision, des évolutions significatives dans les données utiles à l’appréciation de l’autorité environnementale ». En agissant ainsi, le juge administratif refuse de censurer une décision pour un simple motif de chronologie formelle, dès lors qu’il est établi que l’autorité a disposé, à un stade précoce, des éléments pertinents pour évaluer la nécessité d’une évaluation environnementale. Cette approche pragmatique privilégie la substance de l’information sur un ordonnancement procédural strict.

B. La neutralisation de l’omission d’une pièce dans le dossier d’enquête publique

Le second vice de procédure invoqué concernait l’absence de l’arrêté de dispense d’évaluation environnementale au sein du dossier soumis à l’enquête publique, ce qui, selon les appelants, aurait nui à l’information du public. La cour reconnaît qu’il n’est pas possible d’établir avec certitude la présence de cette pièce dans le dossier. Cependant, elle mobilise plusieurs éléments pour neutraliser la portée de cette potentielle omission. Elle relève que l’arrêté en question était « explicitement visé » dans d’autres documents clés du dossier, tels que l’arrêté prescrivant la révision et celui ouvrant l’enquête publique.

Surtout, la cour souligne que la commission d’enquête avait « mentionné expressément l’existence de la décision de dispense dans son rapport ». Par conséquent, elle en déduit que l’éventuelle absence matérielle de la décision « n’a pas été de nature à nuire à l’information complète du public ou à exercer une influence sur les résultats de l’enquête ». Cette motivation est une application directe de la jurisprudence relative à la portée des vices de procédure, selon laquelle une irrégularité n’entraîne l’annulation d’un acte que si elle a privé les intéressés d’une garantie ou a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision.

II. La confirmation du bien-fondé des dispositions réglementaires du plan

Après avoir écarté les moyens de légalité externe, la cour se penche sur le contenu même du plan de prévention des risques, pour rejeter le grief d’erreur manifeste d’appréciation (A) et valider la conformité du plan aux normes supérieures (B).

A. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation et de la méconnaissance du principe de précaution

Le cœur de l’argumentation des requérants reposait sur le caractère jugé trop permissif des règles applicables aux bâtiments agricoles en zone rouge, la plus exposée au risque d’inondation. La cour procède à une analyse détaillée et combinée des articles pertinents du règlement du plan. Elle met en évidence que si des constructions ou extensions de bâtiments agricoles sont possibles, cette faculté est strictement encadrée. L’autorisation est subordonnée au respect de cinq conditions générales, de règles d’implantation précises, et de prescriptions techniques spécifiques, comme la hauteur du plancher par rapport au niveau de la crue de référence.

La cour insiste sur le fait que l’ensemble de ces dispositions offre à l’autorité administrative les outils nécessaires pour « s’opposer aux projets concernant des bâtiments agricoles qui seraient de nature à accroître les risques ». C’est cette lecture globale du dispositif qui la conduit à juger que le préfet « n’a pas commis d’erreur d’appréciation en n’imposant pas des restrictions supplémentaires ». Par ce raisonnement, le juge administratif exerce un contrôle restreint sur une décision technique complexe, se gardant de substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, dès lors que celle-ci n’est pas manifestement erronée. Pour les mêmes motifs, il écarte la méconnaissance du principe de précaution, les mesures étant jugées proportionnées face à un risque avéré.

B. La conformité du plan aux normes supérieures et à l’objectif d’intelligibilité

Les appelants soutenaient enfin que le plan était incompatible avec le plan de gestion des risques d’inondation du bassin Adour-Garonne et qu’il méconnaissait l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme. Sur le premier point, la cour estime que les dispositions réglementaires contestées « ne sont pas de nature à contrarier les orientations du plan de gestion des risques d’inondation et ne sont donc pas incompatibles avec ce document ». Cette analyse de compatibilité, qui s’attache à vérifier l’absence de contradiction entre les normes, est un élément central du contrôle de la légalité des documents d’urbanisme et de prévention des risques.

Sur le second point, le juge écarte le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif d’intelligibilité en affirmant que « les prescriptions contestées sont énoncées en termes suffisamment précis et qu’elles ne présentent, notamment, aucune difficulté d’interprétation particulière qui, eu égard à leur ambiguïté ou à leur caractère contradictoire, serait source d’une insécurité juridique ». Il distingue ainsi la complexité technique inhérente à ce type de réglementation de l’ambiguïté qui seule serait de nature à vicier l’acte. Cette décision confirme que l’exigence d’intelligibilité n’impose pas une simplicité absolue, mais l’absence de confusion ou de contradiction rendant la norme inapplicable en pratique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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