Cour d’appel administrative de Nancy, le 5 juin 2025, n°23NC00777

Par un arrêt du 5 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la qualification et l’évaluation d’un avantage consenti par une société à son gérant dans le cadre d’une opération de lotissement.

En l’espèce, une société civile immobilière avait pour objet l’acquisition de terrains en vue de leur revente après viabilisation. Dans le cadre d’une opération portant sur sept parcelles, la société en a acquis cinq tandis que son gérant se portait acquéreur, à titre personnel, des deux autres. La société a financé l’intégralité des travaux de viabilisation pour l’ensemble du lotissement, sans facturer au gérant la part correspondant aux deux parcelles lui appartenant. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a qualifié cette absence de facturation d’acte anormal de gestion, réintégrant le montant correspondant dans les bénéfices de la société. Corrélativement, elle a imposé cet avantage entre les mains du gérant et de son épouse sur le fondement d’une distribution de revenus occultes. Saisi par les contribuables, le tribunal administratif de Nancy a, par des jugements des 26 janvier et 21 septembre 2023, confirmé le principe des redressements tout en réduisant leur montant. La société et les époux ont interjeté appel de ces décisions, contestant le bien-fondé des impositions et, subsidiairement, l’évaluation de l’avantage retenue par les premiers juges.

Il appartenait donc aux juges d’appel de déterminer si la non-facturation par une société à son gérant de travaux de viabilisation bénéficiant aux parcelles personnelles de ce dernier caractérise un acte anormal de gestion. Il leur fallait ensuite, le cas échéant, se prononcer sur les modalités d’évaluation de l’avantage en résultant, notamment au regard de la situation spécifique des parcelles concernées au sein du lotissement.

La cour administrative d’appel confirme la qualification d’acte anormal de gestion, considérant que l’administration fiscale apporte la preuve que la société a renoncé à une recette sans contrepartie dans l’intérêt de son gérant. Elle juge cependant que l’évaluation de cet avantage ne peut reposer sur une simple répartition arithmétique du coût total des travaux entre les différents lots. La cour estime en effet qu’il convient de pondérer cette évaluation pour tenir compte de l’utilité réelle que les parcelles du gérant, situées à l’entrée du lotissement, ont retirée des travaux, ce qui la conduit à réduire de moitié le montant de la réintégration.

La solution retenue par la cour appelle une analyse en deux temps. Elle confirme d’abord, de manière orthodoxe, la qualification de l’avantage en acte anormal de gestion (I), avant d’adopter une méthode d’évaluation pragmatique fondée sur une appréciation concrète de la situation (II).

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I. La confirmation orthodoxe de la qualification d’acte anormal de gestion

La cour valide sans ambiguïté l’analyse de l’administration fiscale en s’appuyant sur les critères classiques de l’acte anormal de gestion, à savoir le renoncement à une recette (A), tout en écartant les justifications avancées par les requérants au motif de leur absence de preuve (B).

A. Le renoncement à recette, critère essentiel de l’anormalité

La juridiction d’appel rappelle d’abord la définition de l’acte anormal de gestion, lequel s’entend d’un acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. En l’espèce, les juges estiment que la charge de la preuve incombant à l’administration est satisfaite. Le service a en effet établi que la société avait financé des travaux de viabilisation profitant directement à des parcelles n’appartenant pas à son patrimoine, sans exiger de contrepartie financière de la part du propriétaire de celles-ci, qui n’était autre que son gérant.

Le raisonnement de la cour se concentre sur l’élément central qui est la perte de produit pour l’entreprise. En effet, en réalisant à ses frais la viabilisation de l’ensemble du programme, la société a fourni une prestation de services individualisable au profit de son dirigeant. Le fait de ne pas facturer cette prestation constitue une renonciation à une recette qui, sauf à ce qu’elle soit justifiée par l’intérêt propre de l’entreprise, est étrangère à une gestion commerciale normale. La cour écarte ainsi l’argument selon lequel la société n’aurait supporté aucun surcoût, en précisant que « c’est à un produit que la SCI DMG a renoncé sans contrepartie ». Cette formule souligne que la faute de gestion ne réside pas dans une dépense excessive, mais bien dans un manque à gagner délibéré.

B. La charge de la preuve et le rejet des justifications des requérants

Une fois l’existence matérielle de l’avantage établie par l’administration, il revenait aux contribuables de démontrer que cet avantage trouvait une contrepartie ou une justification relevant d’une gestion normale. Or, la cour constate que les requérants échouent à apporter une telle preuve. Ils soutenaient d’une part que le gérant aurait lui-même réalisé des travaux provisoires, et d’autre part que l’avantage aurait été compensé par un supplément de prix versé lors de l’acquisition ultérieure d’autres parcelles.

Cependant, la cour relève que « par les pièces produites les requérants n’établissent pas la réalité des travaux que M. B… aurait personnellement réalisés ». De même, elle juge qu’ils « n’établissent pas davantage que M. B… aurait accepté de payer à la SCI DMG un supplément de prix ». Ce faisant, les juges appliquent strictement les règles relatives à la charge de la preuve en matière fiscale. Le contribuable qui entend justifier une opération apparemment anormale doit produire des éléments probants et circonstanciés, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. La décision confirme ainsi que de simples allégations ne suffisent pas à renverser la présomption d’anormalité qui pèse sur un tel appauvrissement volontaire.

Une fois l’existence de l’avantage établie, sa correcte évaluation conditionne l’assiette de l’impôt. C’est sur ce second point que la cour se distingue de l’analyse des premiers juges en adoptant une solution plus nuancée.

II. L’appréciation pragmatique des modalités d’évaluation de l’avantage

Si elle valide le principe du redressement, la cour d’appel en modère la portée en se livrant à une analyse fine des modalités de calcul de l’avantage. Elle rejette ainsi une méthode de répartition purement forfaitaire (A) pour consacrer une pondération fondée sur le critère de l’utilité réelle des travaux (B).

A. Le rejet d’une répartition forfaitaire des coûts

En première instance, le tribunal administratif avait arrêté la valeur de la renonciation à recette en appliquant une simple règle proportionnelle, correspondant à deux septièmes du coût total des travaux, puisque deux des sept parcelles du lotissement appartenaient au gérant. Cette méthode présentait l’avantage de la simplicité mais ignorait les spécificités physiques du projet. L’administration avait initialement proposé une évaluation fondée sur l’augmentation de la valeur vénale, méthode également écartée.

La cour d’appel censure ce raisonnement arithmétique. Elle considère en effet qu’une répartition uniforme des coûts entre tous les lots n’est pas nécessairement pertinente. Elle relève qu’« il serait inéquitable de répartir les coûts de manière uniforme ou proportionnellement à la superficie des lots » lorsque la configuration des lieux justifie une approche différente. En l’espèce, les parcelles du gérant étant situées à l’entrée même du lotissement, elles n’ont bénéficié que d’une fraction des réseaux et voiries qui ont dû être prolongés pour desservir les parcelles plus éloignées. La méthode de répartition égalitaire conduisait donc à imputer au gérant une part du coût de travaux qui ne bénéficiaient en réalité qu’aux autres lots.

B. La consécration d’une pondération fondée sur l’utilité réelle

Pour corriger cette iniquité, la cour se fonde sur la pratique en matière de travaux de viabilisation. Elle énonce qu’« il est d’usage de pondérer les frais de viabilisation en fonction de la distance des parcelles par rapport à l’entrée du lotissement ou du point de raccordement, lorsque cette plus ou moins grande distance est significative ». Constatant que les parcelles les plus éloignées se situaient à plus de trente-six mètres de l’entrée, elle estime le critère de la distance comme étant rempli.

Dès lors, les juges accueillent la demande des requérants d’appliquer un abattement pour tenir compte de la situation avantageuse de leurs parcelles. Dans les circonstances de l’espèce, ils fixent cet abattement à 50 %, ramenant la valeur de l’avantage imposable de 18 152 euros à 9 076 euros. Cette solution, bien que motivée en équité, témoigne d’une approche pragmatique qui ancre l’évaluation fiscale dans la réalité économique et technique de l’opération. En liant le montant de l’avantage à l’utilité objectivement et personnellement retirée par son bénéficiaire, la cour affine la jurisprudence relative à l’évaluation des avantages occultes et s’assure que l’imposition ne frappe que la libéralité réellement consentie.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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