Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur l’étendue de la responsabilité d’une commune à la suite de l’annulation d’un refus de permis de construire. En l’espèce, une société de promotion immobilière avait sollicité un permis de construire pour un ensemble de dix-sept logements. Cette demande a fait l’objet d’un refus de la part du maire, décision qui fut retirée puis remplacée par un nouveau refus. Saisi par la société, le tribunal administratif a annulé ce second refus par un jugement devenu définitif après le rejet de l’appel de la commune. La société a alors engagé une action en responsabilité afin d’obtenir réparation des préjudices subis. Le tribunal administratif, saisi de cette demande indemnitaire, a condamné la commune à ne réparer qu’une faible partie du dommage correspondant aux frais engagés, rejetant les conclusions relatives au manque à gagner. La société a interjeté appel de ce jugement, contestant le rejet de sa demande d’indemnisation pour le manque à gagner, tandis que la commune, par la voie d’un appel incident, a contesté le principe même de sa condamnation. Se posait alors la question de savoir dans quelles conditions le refus illégal d’une autorisation d’urbanisme est de nature à engager la responsabilité de l’administration non seulement pour les dépenses exposées par le pétitionnaire, mais également au titre de la perte des bénéfices escomptés de l’opération. La cour administrative d’appel confirme l’engagement de la responsabilité de la commune pour faute, mais en limite la portée à la seule indemnisation des dépenses directement liées à l’illégalité commise. Elle juge que le refus illégal de délivrer un permis de construire constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique. En revanche, elle rappelle que la réparation d’un manque à gagner demeure subordonnée à la preuve de circonstances particulières établissant son caractère direct et certain, condition non remplie en l’absence d’avancement commercial du projet.
La solution retenue par la cour s’inscrit dans une approche classique de la responsabilité administrative, réaffirmant le lien entre l’illégalité fautive et l’engagement de la responsabilité (I), tout en appliquant une conception stricte du préjudice réparable en matière de projets immobiliers (II).
I. La réaffirmation du principe de la responsabilité pour illégalité fautive
La cour administrative d’appel confirme sans ambiguïté que l’illégalité commise par l’administration constitue une faute (A), et écarte les arguments de la commune visant à rompre le lien de causalité de manière rétrospective (B).
A. L’illégalité du refus de permis, faute engageant la responsabilité communale
La juridiction d’appel rappelle un principe fondamental du droit de la responsabilité administrative : « toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité ». Le caractère fautif du refus de permis de construire du 16 juin 2017 avait été définitivement consacré par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 19 décembre 2019. L’autorité de la chose jugée de cette précédente décision s’imposait donc dans le cadre du présent litige indemnitaire. La faute de la commune ne pouvait, par conséquent, plus être discutée. En se fondant sur cette jurisprudence bien établie, le juge écarte logiquement la contestation de la commune sur ce point, qui tentait de remettre en cause le principe même de sa responsabilité. Cette position assure la sécurité juridique et la cohérence des décisions de justice, en empêchant qu’un même fait, déjà qualifié d’illégal, soit privé de son caractère fautif dans une instance ultérieure. Le raisonnement de la cour est ici orthodoxe et ne fait que tirer les conséquences nécessaires de l’annulation contentieuse préalable.
B. L’inopposabilité des motifs de refus non soulevés en temps utile
La commune tentait de s’exonérer de sa responsabilité en soutenant que le permis de construire aurait pu être légalement refusé pour d’autres motifs, tirés de la méconnaissance de certaines dispositions du plan local d’urbanisme. Le juge d’appel rejette cet argument en se fondant sur les dispositions de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme, issues de la loi du 6 août 2015. Ce texte impose à l’autorité compétente de motiver sa décision de rejet en indiquant l’intégralité des motifs justifiant cette dernière. La cour souligne qu’il appartenait à la commune, lors de la première instance ayant mené à l’annulation du refus, de faire valoir ces nouveaux motifs, y compris par le biais d’une demande de substitution de motifs. En ne l’ayant pas fait, elle est forclose à les invoquer pour la première fois devant le juge de l’indemnité. La cour précise que la commune « ne peut utilement invoquer dans la présente instance la circonstance que la demande de permis de construire aurait pu être refusée pour des motifs qu’elle n’a pas opposés en temps utile ». Cette solution renforce la portée de l’obligation de motivation complète des refus d’urbanisme et vise à prévenir les manœuvres dilatoires de l’administration, conformément à l’objectif du législateur d’accélérer la réalisation des projets.
II. Une appréciation restrictive de l’étendue du préjudice réparable
Si la faute de la commune est établie, la cour adopte une lecture différenciée du préjudice, admettant sans difficulté la réparation des frais engagés (A), mais rejetant celle du manque à gagner en raison de son caractère éventuel (B).
A. L’indemnisation certaine des dépenses directement causées par la faute
La cour confirme la décision des premiers juges d’indemniser la société pour les dépenses engagées en pure perte. Sont ainsi retenus les frais relatifs à une étude réglementaire et au bornage du terrain, ainsi que l’indemnité versée aux propriétaires pour la prorogation de la promesse de vente. Pour le juge, ces dépenses présentent un « lien direct de causalité avec la faute de la commune ». Il écarte l’argument de la municipalité selon lequel ces frais seraient liés à une demande de permis antérieure non contestée, considérant qu’ils étaient également nécessaires à la seconde demande ayant fait l’objet du refus illégal. De même, l’indemnité de prorogation est jugée directement liée au refus, car elle a été rendue nécessaire par l’allongement des délais procéduraux résultant de la faute de l’administration. Le juge valide ainsi la réparation des pertes subies qui sont la conséquence directe et nécessaire de la décision illégale, ce qui correspond à une application classique des principes de la responsabilité civile et administrative.
B. Le caractère éventuel du manque à gagner en l’absence de commercialisation avancée
Le cœur de la décision réside dans le rejet de la demande d’indemnisation du manque à gagner et de la perte d’honoraires. La cour rappelle le principe selon lequel « la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal d’autorisation d’urbanisme revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation ». Une exception est admise si le requérant « justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l’état avancé des négociations commerciales ». En l’espèce, la société se prévalait du dynamisme du marché immobilier local, de l’éligibilité du projet à un dispositif fiscal et de la qualité de son programme. La cour juge ces éléments de contexte insuffisants à établir le caractère direct et certain du préjudice. Elle relève que la société admet elle-même que la phase de commercialisation n’avait pas débuté, ce qui prive le préjudice de toute certitude. En exigeant la preuve d’un état de commercialisation avancé, cette décision s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence du Conseil d’État qui vise à ne pas indemniser un préjudice purement spéculatif. Elle protège ainsi les finances publiques contre des demandes fondées sur la seule espérance de gains, tout en préservant le droit à réparation pour les promoteurs dont le projet était suffisamment engagé pour que la perte de bénéfices soit considérée comme certaine.