Cour d’appel administrative de Douai, le 6 mars 2025, n°24DA00697

Une société pétitionnaire a déposé une demande de permis de construire pour deux bâtiments collectifs, qui a d’abord fait l’objet d’un sursis à statuer de la part de l’autorité municipale, au motif que le projet risquait de compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme. Saisie d’un recours gracieux, cette autorité a finalement retiré sa décision de sursis pour lui substituer un refus de délivrer l’autorisation d’urbanisme sollicitée, fondé sur plusieurs manquements aux règles d’urbanisme en vigueur. Le tribunal administratif, saisi par le pétitionnaire, a annulé ces deux décisions et a enjoint à l’administration de délivrer le permis. La commune a interjeté appel de ce jugement. La question de droit soulevée par cet arrêt de la cour administrative d’appel en date du 6 mars 2025 porte d’une part sur le degré de précision exigé dans la motivation d’une décision de sursis à statuer, et d’autre part sur la possibilité pour le juge de l’excès de pouvoir de valider un refus d’urbanisme en substituant un nouveau motif à ceux, jugés illégaux, initialement avancés par l’administration. La cour administrative d’appel confirme l’annulation du sursis à statuer en raison de son insuffisance de motivation, mais infirme le jugement de première instance en ce qu’il avait annulé le refus de permis. Elle considère que si les motifs originaux du refus sont bien illégaux, le motif tiré du non-respect des obligations en matière de stationnement, présenté pour la première fois en appel, est fondé et justifie légalement la décision de l’administration.

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I. La censure des illégalités successives de l’action administrative

La cour administrative d’appel, dans un premier temps, confirme l’analyse des premiers juges en sanctionnant tant le défaut de motivation de la décision de sursis à statuer (A) que l’illégalité des motifs sur lesquels reposait explicitement le refus de permis de construire (B).

A. La confirmation de l’illégalité du sursis à statuer

La cour rappelle que si l’administration peut surseoir à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme lorsque le projet est « de nature à compromettre ou à rendre plus onéreux l’exécution du plan local d’urbanisme » en cours d’élaboration, une telle décision doit être suffisamment motivée pour permettre à son destinataire d’en comprendre les raisons précises. En l’espèce, l’arrêté se bornait à reprendre les termes généraux de l’article L. 424-1 du code de l’urbanisme, sans fournir d’éléments concrets sur la manière dont le projet spécifique entravait les futures orientations d’urbanisme. Le juge considère qu’une motivation aussi générale ne satisfait pas aux exigences de l’article L. 424-3 du même code, car elle ne met pas le pétitionnaire « à même d’identifier dans quelle mesure son projet serait, par ses caractéristiques, susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan local d’urbanisme ». Cette solution réaffirme la nécessité pour l’administration de ne pas se contenter de formules abstraites et de lier explicitement sa décision aux particularités du projet examiné, garantissant ainsi les droits du demandeur.

B. La neutralisation des motifs originels du refus de permis

Le juge d’appel examine ensuite les trois motifs initiaux du refus de permis pour les écarter un par un, confirmant sur ce point leur illégalité. D’abord, concernant la méconnaissance de l’article UB 6 du plan local d’urbanisme relatif à l’implantation par rapport aux voies, la cour rectifie l’erreur d’interprétation de la commune. Elle juge que la notion de « voies publiques » doit s’entendre comme incluant les voies privées ouvertes à la circulation publique, ce qui était le cas de la desserte du projet, rendant ainsi le motif inopérant. Ensuite, quant au défaut d’insertion du projet dans son environnement au regard de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, le juge se livre à une appréciation concrète de l’architecture, des matériaux et des gabarits. Il conclut que le projet s’harmonise avec le site, y compris avec la « maison de maître » voisine, et que les critiques de l’architecte des bâtiments de France, dont l’avis n’était pas conforme, ne suffisaient pas à caractériser une atteinte. Enfin, s’agissant de l’atteinte à un espace vert protégé au titre de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme, la cour relève que si le PLU identifiait bien cet espace, il n’y associait aucune « prescription particulière » que le projet aurait méconnue, privant le motif de base légale.

II. La validation du refus par l’office du juge administratif

Après avoir invalidé l’ensemble de la motivation initiale de l’administration, la cour ne prononce pourtant pas l’annulation du refus. Elle use de la technique de la substitution de motifs, qu’elle applique en admettant un moyen nouveau soulevé par la commune (A), ce qui illustre la portée de cet outil jurisprudentiel au service de la sécurité juridique des actes administratifs (B).

A. L’accueil d’un motif de substitution dirimant

L’administration peut, en première instance comme en appel, demander au juge de substituer un nouveau motif, de droit ou de fait, à celui qui justifiait initialement sa décision. La cour examine donc la demande de la commune de substituer un motif tiré de la violation de l’article UB 12 du PLU, relatif aux obligations en matière de stationnement. Il ressort de l’instruction que le projet, qui prévoyait la construction de douze logements, n’intégrait pas le nombre de places de stationnement visiteurs exigé par le règlement, le dossier de demande étant par ailleurs contradictoire sur le nombre total de places. Le juge considère que ce manquement est établi et que le motif tiré de la méconnaissance de ces dispositions « est fondé et de nature à justifier légalement le refus de permis de construire ». Ayant vérifié la légalité de ce nouveau fondement, la cour estime également qu’il résulte de l’instruction que l’autorité administrative « aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ». Les conditions de la substitution étant réunies, le juge procède à celle-ci.

B. La portée de la substitution comme instrument de consolidation de l’acte

Cet arrêt illustre de manière classique l’office pragmatique du juge de l’excès de pouvoir. Plutôt que d’annuler une décision pour une illégalité de motivation initiale alors qu’un autre motif, matériellement fondé à la date de la décision, la justifiait, le juge préfère la « sauver ». Ce mécanisme de substitution de motifs, encadré par des conditions strictes, répond à un objectif d’économie processuelle et de bonne administration de la justice, en évitant à l’administration de devoir reprendre un acte identique sur un nouveau fondement. La décision montre que même face à des erreurs de plume ou de raisonnement initiales, la légalité substantielle peut prévaloir, pourvu que le motif de substitution ne prive le requérant d’aucune garantie procédurale. En validant in fine le refus de permis, la cour administrative d’appel fait prévaloir le respect de la règle d’urbanisme sur les approximations de sa mise en œuvre initiale par la commune, consolidant ainsi la décision administrative sur des bases juridiques assainies.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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