Par un arrêt en date du 20 janvier 2011, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation fiscale hellénique avec les principes de libre circulation et de non-discrimination. En l’espèce, une loi de la République hellénique prévoyait une exonération de la taxe sur les mutations de biens immobiliers pour l’acquisition d’une première résidence. La Commission européenne a introduit un recours en manquement contre cet État membre, considérant cette législation comme contraire au droit de l’Union sur deux aspects. D’une part, la loi réservait le bénéfice de cette exonération aux seules personnes ayant leur résidence permanente sur le territoire national, excluant ainsi les non-résidents qui projetaient de s’y installer. D’autre part, elle instaurait une exception à cette condition de résidence au profit exclusif des ressortissants grecs ou des personnes d’origine grecque, créant une distinction explicite fondée sur la nationalité. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si une condition de résidence permanente pour l’octroi d’un avantage fiscal et une dérogation à cette condition fondée sur la nationalité constituaient des entraves prohibées aux libertés fondamentales garanties par le traité. La Cour a conclu que la République hellénique avait manqué à ses obligations, jugeant que la condition de résidence constituait une discrimination indirecte injustifiée et que l’exception fondée sur la nationalité représentait une discrimination directe prohibée.
La solution retenue par la Cour de justice invite à examiner successivement la censure de la discrimination indirecte dissimulée derrière le critère de résidence (I), puis celle, plus manifeste, de la discrimination directe fondée sur la nationalité (II).
I. La sanction d’une discrimination indirecte fondée sur le critère de résidence
La Cour analyse d’abord la condition générale de résidence permanente imposée par la loi nationale pour l’obtention de l’avantage fiscal. Elle y voit une restriction déguisée à la libre circulation des personnes, dont le caractère est incompatible avec les traités (A), et dont les justifications avancées par l’État membre ne sauraient prospérer (B).
A. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation
La Cour rappelle que si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent l’exercer dans le respect du droit de l’Union. La législation en cause, en subordonnant l’exonération fiscale à une condition de résidence permanente, instaure une différence de traitement. Bien qu’indistinctement applicable, ce critère de résidence aboutit en pratique à un résultat discriminatoire. La Cour réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle « les règles d’égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination, qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ». En effet, le critère de résidence risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres, car les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux.
En désavantageant les personnes qui souhaitent acquérir une première résidence en vue de s’établir dans l’État membre et d’y exercer leur droit à la libre circulation, la mesure a un effet dissuasif. Elle est donc susceptible d’entraver la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement, garanties par les articles 39 CE et 43 CE, ainsi que le droit de circuler et de séjourner librement pour tout citoyen de l’Union, consacré par l’article 18 CE.
B. Le rejet des justifications d’intérêt général invoquées
L’État membre soutenait que la mesure était justifiée par des objectifs d’intérêt général, notamment la facilitation de l’acquisition d’un premier logement, la prévention de la spéculation immobilière, la lutte contre la fraude fiscale et des considérations de politique sociale. La Cour examine ces arguments au regard du principe de proportionnalité et conclut que la mesure n’est ni appropriée ni nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. S’agissant du caractère approprié, elle relève que la loi « ne prévoit pas l’obligation, pour l’acheteur d’un bien immobilier, d’utiliser celui-ci en tant que résidence permanente et ne lui interdit pas de louer ce bien ». Dès lors, l’objectif de lutte contre la spéculation et de politique sociale en faveur des familles à revenus modestes ne peut être garanti.
Concernant la nécessité de la mesure, la Cour juge que des mécanismes moins contraignants existent pour prévenir les abus et la fraude fiscale. Elle suggère par exemple « l’inscription au registre fiscal ou au cadastre, l’exigence de déclarations fiscales ou de logement ou la mise en œuvre de contrôles effectués par les autorités fiscales ». La condition de résidence permanente va donc au-delà de ce qui est nécessaire. Par cette analyse rigoureuse, la Cour confirme que même des objectifs légitimes ne peuvent justifier une mesure indirectement discriminatoire si celle-ci n’est pas calibrée avec précision pour les atteindre.
II. La condamnation d’une discrimination directe fondée sur le critère de nationalité
Au-delà de la restriction générale liée à la résidence, la Cour examine le second grief de la Commission, portant sur la dérogation exceptionnelle accordée aux seuls ressortissants grecs ou d’origine grecque. Elle y décèle une discrimination directe (A), que ne peuvent justifier les motifs de politique nationale invoqués (B).
A. La constatation d’un traitement manifestement discriminatoire
La loi nationale prévoyait qu’une exonération était accordée, à titre exceptionnel, aux Grecs ou personnes d’origine grecque ayant travaillé à l’étranger, même s’ils ne résidaient pas en Grèce au moment de l’achat. La Cour constate sans difficulté que cette disposition opère une distinction fondée sur le critère de la nationalité. Elle rappelle que le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente. Or, les ressortissants grecs et ceux d’autres États membres ayant l’intention de s’installer en Grèce se trouvent dans une situation comparable quant à l’acquisition d’une première résidence.
Le seul critère de différenciation étant la nationalité, la Cour conclut logiquement que « ce traitement différent, explicitement et uniquement fondé sur la nationalité, constitue une discrimination directe ». Cette analyse met en évidence le caractère flagrant de la violation du principe fondamental d’égalité de traitement, qui est au cœur de la citoyenneté de l’Union.
B. L’irrecevabilité des justifications fondées sur la nationalité
L’État membre tentait de justifier cette discrimination directe par des objectifs de politique sociale et démographique, visant à faciliter le retour des émigrants et à préserver les liens entre la diaspora et l’État d’origine, marqué par une émigration massive. La Cour rejette fermement cette argumentation. Elle juge que de telles justifications, bien que relevant de la politique nationale, ne constituent pas des considérations objectives et indépendantes de la nationalité, susceptibles de justifier une discrimination. Au contraire, elles reposent sur la nationalité même des personnes concernées.
La Cour affirme que « de telles considérations ne sont pas de nature à établir l’existence de circonstances objectives, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, susceptibles de justifier une discrimination […] dans la mesure où elles ont pour fondement la nationalité même des personnes concernées ». Par cette formule, la Cour signifie qu’un État membre ne peut invoquer un objectif lié à la nationalité pour justifier une mesure discriminatoire fondée sur cette même nationalité. Une telle approche reviendrait à vider le principe de non-discrimination de sa substance. La décision réaffirme ainsi avec force la primauté du droit de l’Union sur les politiques nationales lorsque celles-ci entrent en conflit avec les libertés fondamentales.